C'était un samedi soir. Je rentrais un peu lasse de mon travail. Il fallait quand même que je dîne. Je rentre chez mon boucher, la file d'attente est longue, tant pis, je patiente. Le type que j'avais vu la veille chez mon libraire était là, près de la caisse; il attendait sa commande et plaisantait avec le boucher. Je l'avais trouvé sympathique chez le libraire; je voulais acheter le Code du Travail, j'allais être licenciée et voulais connaître mes droits. Le "type" me dit : pas la peine de l'acheter, R. (le libraire) est mon ami, il va vous le prêter; vous le lui rendrez après avoir noté ce qui vous intéresse. Il est fou me dis-je. Et R. (qui me connaissait) me dit : il a raison, je vous le prête! Je les remercie. Et voilà que ce soir, Il est là, chez le boucher, à faire le bouffon.
Arrive mon tour : un steak svp. Je lui souris, sa commande arrive - un énorme rosbeef - et il me dit, sans discrétion : vous n'allez pas manger votre petit steak toute seule! Regardez, j'ai invité dix amis, ce rosbeef est pour douze (je ne savais pas encore qu'il n'avait invité que des femmes), vous serez la bienvenue. Je ris, je pique un fard et lui dis : c'est très gentil mais non je vous remercie. Il y aura du champagne insiste-t-il. Non vraiment merci. Il avait une clope scotchée sur sa lèvre (en ce temps-là, rien n'était interdit, même pas chez le boucher), des yeux vifs, un sourire bienveillant, une barbe épaisse, un costume en velours un peu avachi mais classe; il sentait bon (j'étais près de lui) et avait de belles mains. Tenez, je vous donne mon adresse, c'est à côté du libraire, atelier n° 1, ça me ferait plaisir. J'étais gênée, la queue derrière moi gloussait, le boucher me fit un clin d'oeil. Je lui dis : bonne soirée et je partis.
C'était un 21 janvier.
En arrivant dans mon studio, je regardai sa petite carte avec son nom, l'adresse et son téléphone. Tiens, il habite en face! Je mets mon steak dans le frigo, je n'ai pas très faim, je suis fatiguée, j'en ai plein le dos. Atelier n° 1! Je savais qu'il y avait des ateliers d'artistes à cette adresse. Il a bien un look d'artiste ce "type" pensais-je. Je mets un disque de Miles Davis, je vais prendre une douche. Pourquoi n'irai-je pas à son invitation? Bon, je ne le connais pas mais le libraire et le boucher le connaissent; je ne crains rien et puis, il a l'air drôle et il émane de lui un vrai charme, une vraie gentillesse. Ma douche m'a ravigotée; je prends sa carte, je l'appelle, mon coeur bat très fort : bonsoir, je suis le petit steak chez le boucher! C'est quoi votre soirée exactement?
- Venez, vous verrez. J'ai invité des amies kinés, toubibs pour arroser la nouvelle année! Elles sont déjà là, je vous attends! Je leur ai parlé de notre rencontre (sic)!
Gonflée, je dis OK, j'apporte une bouteille.
- Inutile, il y a tout ce qu'il faut, venez comme vous êtes, je suis ravi.
Et il part d'un rire tonitruant au téléphone. J'entendais Amstrong et des voix en fond sonore.
J'y suis allée. Coup de foudre pour une toile (et pour lui). Je l'ai achetée. Nuit blanche, nuit de folie. Sa tarte pommes-canelle-fleur d'oranger était sublime. Le lendemain il est venu me livrer mon tableau. Trois mois plus tard je m'installais dans son atelier, définitivement. Et j'avais retrouvé un job.
"Dépêchez vous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne"
Giacomo Casanova.
Arrive mon tour : un steak svp. Je lui souris, sa commande arrive - un énorme rosbeef - et il me dit, sans discrétion : vous n'allez pas manger votre petit steak toute seule! Regardez, j'ai invité dix amis, ce rosbeef est pour douze (je ne savais pas encore qu'il n'avait invité que des femmes), vous serez la bienvenue. Je ris, je pique un fard et lui dis : c'est très gentil mais non je vous remercie. Il y aura du champagne insiste-t-il. Non vraiment merci. Il avait une clope scotchée sur sa lèvre (en ce temps-là, rien n'était interdit, même pas chez le boucher), des yeux vifs, un sourire bienveillant, une barbe épaisse, un costume en velours un peu avachi mais classe; il sentait bon (j'étais près de lui) et avait de belles mains. Tenez, je vous donne mon adresse, c'est à côté du libraire, atelier n° 1, ça me ferait plaisir. J'étais gênée, la queue derrière moi gloussait, le boucher me fit un clin d'oeil. Je lui dis : bonne soirée et je partis.
C'était un 21 janvier.
En arrivant dans mon studio, je regardai sa petite carte avec son nom, l'adresse et son téléphone. Tiens, il habite en face! Je mets mon steak dans le frigo, je n'ai pas très faim, je suis fatiguée, j'en ai plein le dos. Atelier n° 1! Je savais qu'il y avait des ateliers d'artistes à cette adresse. Il a bien un look d'artiste ce "type" pensais-je. Je mets un disque de Miles Davis, je vais prendre une douche. Pourquoi n'irai-je pas à son invitation? Bon, je ne le connais pas mais le libraire et le boucher le connaissent; je ne crains rien et puis, il a l'air drôle et il émane de lui un vrai charme, une vraie gentillesse. Ma douche m'a ravigotée; je prends sa carte, je l'appelle, mon coeur bat très fort : bonsoir, je suis le petit steak chez le boucher! C'est quoi votre soirée exactement?
- Venez, vous verrez. J'ai invité des amies kinés, toubibs pour arroser la nouvelle année! Elles sont déjà là, je vous attends! Je leur ai parlé de notre rencontre (sic)!
Gonflée, je dis OK, j'apporte une bouteille.
- Inutile, il y a tout ce qu'il faut, venez comme vous êtes, je suis ravi.
Et il part d'un rire tonitruant au téléphone. J'entendais Amstrong et des voix en fond sonore.
J'y suis allée. Coup de foudre pour une toile (et pour lui). Je l'ai achetée. Nuit blanche, nuit de folie. Sa tarte pommes-canelle-fleur d'oranger était sublime. Le lendemain il est venu me livrer mon tableau. Trois mois plus tard je m'installais dans son atelier, définitivement. Et j'avais retrouvé un job.
"Dépêchez vous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne"
Giacomo Casanova.