mercredi 27 mai 2015

Monologue ou, dialogue avec un mort

29 ans hier... que tu n'es plus là. Et pourtant tu étais mon ombre sur les greens, mon soleil derrière les nuages. A l'heure du déjeuner, le parcours était déserté, comme d'habitude et j'en ai profité pour m'attarder sur ce qu'on n'a pas le temps de voir, quand on est trop occupé par le jeu, surtout quand les joueurs sont nombreux.


A vagabonder dans ma tête, je n'ai pas très bien joué mais quelle jolie balade j'ai faite. Arrivée sur ce trou, je n'avais jamais remarqué qu'on apercevait l'Odet à travers la forêt. C'est fou ça; je parierai que peu de golfeurs tournent leur regard vers cette forêt, ou seulement pour y chercher leur balle arrivée là malencontreusement; ils sont alors plus préoccupés à la retrouver qu'à contempler la lumière scintillante de la rivière. J'abandonne un instant mon sac et mon chariot, je sais qu'il y a deux joueurs qui me suivent mais j'ai deux trous d'avance; j'ai donc un peu de temps pour aller jusqu'à la rivière.


J'escalade un petit talus et je m'émerveille d'être là dans la clairière de cette petite forêt.



Je crains de ne pas pouvoir vraiment m'approcher de l'eau. Un chemin longe la rivière et on doit pouvoir faire une belle balade. D'ailleurs c'est bien dégagé de broussailles et autres ronces. Je pense que prochainement je reviendrai, sans faire de golf, me promener dans cette forêt en bordure de l'Odet.


Je zoome pour tenter de prendre le bateau (canoë?) qui glisse sur l'eau de l'autre côté mais je n'ai pas été assez rapide même si on les aperçoit (en cliquant pour agrandir).

Ça sent bon, un mélange de mousses et d'algues. Petit-moment-de-bonheur dans le silence. Je ne dois tout de même pas trop traîner. Si les joueurs arrivent et me voient sortir du bois ils vont penser que j'ai fait un arrêt pipi. 
Je continue mon parcours de golf... Trou suivant, drive moyen, petit slice, pas grave puisque je t'imagine caché derrière ces genêts, riant dans ta barbe, ayant évité ma balle de justesse.


Comment veux-tu que je joue bien quand je t'ai dans la tête. Et je t'ai dans la tête à chaque fois que je joue au golf toute seule. Je ne me concentre pas sur ma balle. Tsss! Bon, quelquefois j'arrive à me concentrer en pensant à toi mais aujourd'hui c'est la date de l'anniversaire de ta mort, alors, je pense trop à toi pour bien jouer. Et là, elle a atterri dans un bunker!


Tiens, un caillou bien rond dans le bunker à côté de ma balle. Je m'approche : il a l'air bien lisse ce caillou. Je le prends dans ma main et que vois-je? un oeuf! Comment est-il arrivé là? Tombé d'un nid? Il n'y a pas d'arbre ici. Personne ne me voit, j'ai une envie irrésistible de le sortir du bunker avec mon club; peut-être vais-je délicatement le faire atterrir sur le green. Hum! Splash! Pas sur le green mais dans le bunker. Oups!


C'est la première fois (après 35 ans de golf) que je tape dans un oeuf (0_0). St Andrews me pardonnera.
 

J'ai ratissé le bunker soigneusement pour cacher les traces jaunes mais j'ai laissé la coquille éclatée dans le sable. Hein? Quoi? Pardon? Tu me dis que je suis gonflée? Que ce n'est pas élégant d'avoir pulvérisé cet ouf oeuf? Ah non? Tu me dis que je suis une môme! Ça oui, tu as raison.
Pas de joueurs à l'horizon ni derrière moi (ils ne sont pas rapides depuis le temps que je traîne).
Trou suivant, je change de balle, je vais mieux jouer c'est sûr. Drive bien parti, tout droit mais pas très puissant. Le repère, la mire, normalement j'aurais dû être plus près d'elle. Je vais me rattraper au second coup, en aveugle.



Impeccable. Approche/putt et j'ai fait le PAR. Allo? T'es toujours là? T'as vu ce coup de bois 7 que j'ai fait? Tu te rappelles, mon premier bois 7, en persimmon*, que tu m'avais offert, c'est resté mon club fétiche. Je ne rate jamais de balle avec ce club. Ah si tu revenais sur terre, tu serais étonné de voir la légèreté des clubs maintenant, le matériel est - paraît-il - de plus en plus performant. Je rigole. Même les débutants ne parlent plus que de "degrés" d'ouverture de leur driver, de leur sandwedge. Ils sont très pointus techniquement parlant ces débutants. Moi je dis qu'un bon golfeur jouera toujours bien avec n'importe quel matériel et un mauvais toujours mal même avec du bon matériel. En revanche, il y a des vieux (surtout chez les hommes, hé hé) qui jouent pas mal - enfin qui "scorent" pas mal - avec un swing minimaliste pour ne pas dire minable. Bon, j'arrête de te parler.
*(Ça revient à la mode..)

Oh! En voyant aujourd'hui ce monticule avec ses plantations sauvages au milieu du bunker... 




... je pense à un ami qui m'a envoyé récemment une photo d'un bunker au milieu d'un rond-point en Suisse! C'était très étrange, mais, il annonçait qu'un golf était proche.

Je suis sur le dernier trou, les deux joueurs qui me suivaient ont fini par me rattraper, normal avec mes arrêts photos.  Il est 14 heures, les engins ont repris la tonte et, j'ai un petit creux à l'estomac; il y en a un qui se planque derrière l'arbre pour que je puisse jouer. C'était chouette cette partie de golf (plutôt une balade aujourd'hui) avec toi



dimanche 24 mai 2015

L'acteur habite un personnage, le comédien est habité par lui



Je me suis souvent demandé si tel ou tel était acteur ou comédien. J'ai toujours cru qu'un acteur faisait du cinéma et un comédien du théâtre. Mais il semble que l'on puisse être acteur de théâtre et comédien de cinéma. J'ai toujours pensé qu'il était plus difficile d'être comédien de théâtre qu'acteur de cinéma, que si l'on était capable de faire du théâtre il allait de soi qu'on était capable de faire du cinéma alors que l'inverse était moins évident : l'acteur de cinéma - à part quelques exceptions - n'est pas capable de faire du théâtre. La nuance est plus subtile...
Jean-Laurent Cochet  dans un entretien avec Charles Sigel nous donne ses définitions :

Charles Sigel.- Vous avez fait le distinguo acteur/comédien Jean-Laurent Cochet. La différence traditionnelle c’est que le comédien sait s’effacer, l’acteur reste lui-même c’est ça ?

Jean-Laurent Cochet. - Exactement. En gros c’est ça, l’acteur c’est celui qui montre ce qu’il fait, il démontre, il a une façon de jouer qui dépasse très souvent la nécessité du caractère ou de la situation ; il vous dit : regardez comme je le fais bien. Quand il a des qualités de base, c’est déjà pas mal ; mais ça peut sombrer aussi très vite dans des choses de mauvais aloi.
Parce que le comédien, ben oui, c’est celui dont on ne voit plus comment c’est fait. Il joue tellement bien la comédie qu’on ne sait plus comment c’est fait. Je cite souvent – ne serait-ce que pour prendre les choses au plus haut niveau – et je pense que je suis compris dans ces cas-là et que les deux personnes que je cite, on comprend que je les aime différemment, pour moi dans un même emploi : l’acteur, celui qui fait très bien les choses et qui montre un peu comment il aimerait qu’on réagisse, qui en rajoute souvent un peu, qui est quelquefois plus qu’abondant, qui souligne les choses, c’est Raimu. Et puis, le très grand comédien, qui peut jouer d’autre part tous les emplois  - et chaque fois on se dit il est celui-là! c’est lui! - c’est Harry Baur.
Et des parallèles comme ça on peut en faire à peu près dans tous les emplois. [...] acteur n’est pas forcément complètement péjoratif, loin de là mais, ça reste un petit peu démonstratif, ça reste un petit peu explicatif.

C. Sigel. - Tous les deux apportent, que ce soit Raimu et Harry Baur, un poids d’humanité. C’est ça aussi.

J-L Cochet.- Bien sûr.

Les discussions sur ce sujet restent tout de même assez floues.

Louis Jouvet écrivait pour sa part « L’acteur ne peut jouer que certains rôles ; il déforme les autres selon sa personnalité. Le comédien, lui, peut jouer tous les rôles. L’acteur habite un personnage, le comédien est habité par lui. » (Réflexions du comédien, 1938).
Cette définition me paraît claire.

samedi 23 mai 2015

Les mains, miroir de l'âge



Avec mes vieilles mains...

Avec mes vieilles mains de ton front rapprochées
J'écarte tes cheveux et je baise, ce soir,
Pendant ton bref sommeil au bord de l'âtre noir
La ferveur de tes yeux, sous tes longs cils cachée.

Oh ! la bonne tendresse en cette fin de jour !
Mes yeux suivent les ans dont l'existence est faite
Et tout à coup ta vie y parait si parfaite
Qu'un émouvant respect attendrit mon amour.

Et comme au temps où tu m'étais la fiancée
L'ardeur me vient encor de tomber à genoux
Et de toucher la place où bat ton cœur si doux
Avec des doigts aussi chastes que mes pensées.
 

Émile Verhaeren, Les heures du soir.

mardi 19 mai 2015

"Que nous sommes vivants, que nous allons mourir, et que c'est tous les jours..."


Restée enfermée toute la journée d'hier dans le silence. Déconnectée d'Internet. Questionnements sur mon avenir, pas de réponses, vivre au jour le jour... jusqu'à l'épuisement. Écouté la radio, un peu. Festival de Cannes, ne pas écouter tout le "blablatage". Garder intacte l'envie d'aller au cinéma, voir ce que j'ai envie de voir et pas ce qu'on me dit d'aller voir.
Revu hier soir le beau film de Visconti Mort à Venise.
Commencé la lecture d'un nouveau livre avant d'avoir terminé celui en cours. Ça m'arrive rarement. Le titre, la couverture, me laissent espérer y respirer un air de liberté : L'échappée libre. Du même auteur, Jean-Louis Kuffer, j'ai lu il y a quelques mois L'Ambassade du Papillon. Beaucoup aimé.... "ces traces du quotidien qui rythment la vie". Me conforte dans mes goûts littéraires pour les carnets, journaux intimes. Extraits :

 
Couverture : carnets de Jean-Louis Kuffer
photographiés par Laurent Cochet.

30 janvier 1994. - Paris grisaille. Gemma me réveille à l'Hôtel Pascal. Petit dèje et longue, intime conversation. Me dit qu'elle ne croit plus en rien qu'un peu en son travail et un peu en ses amis, et qu'elle prie Dieu qu'Il la prenne avant ceux qu'elle aime. Lui dis que moi aussi j'en suis arrivé au point de me foutre de tout, ce qui me rend beaucoup plus attentif qu'avant au détail des choses et des relations avec les autres. Nous parlons aussi de ce que représente pour nous la vraie littérature. Elle me dit qu'elle ne se sent pas du tout un écrivain mais une femme qui écrit. Cela qu'entendait également Thomas Bernhard. a propos de celui-ci, et pour mieux le caractériser par opposition à Peter Handke (qu'elle déteste), elle remarque que celui-ci, sans cesser apparemment d'évoquer les autres, sa mère, sa femme gauchère, sa petite fille, son crayon, ou les pauvres Serbes, ne fait jamais en définitive que parler de lui-même, tandis que T. B., qui ne cesse de dire je et je et je, ne parle en réalité que des autres. Dans la foulée, je lui fais observer que Thomas Bernhard est un auteur vraiment sérieux et qui nous fait rire à tout moment, tandis que Peter Handke qui se donne l'air sérieux n'est jamais fichu de nous tirer ne fût-ce qu'un sourire. 
[...]

15 septembre 1994. - [...]
Et cet après-midi, c'est avec Paul Nizon que j'avais rendez-vous. j'ai lu sur épreuves son dernier récit, L'Oeil du coursier, en sifflant force verres de Chianti à la Casa d'Italia. La chose représente à peine soixante pages, dont les dix premières sont consacrées aux conditions de travail que l'écrivain réunit dans ses ateliers successifs, à Paris, pour célébrer le cérémonial magique de l’Écriture. Tout ça pourrait paraître assommant, mais chez Nizon c'est autre chose que préparent ces notations sur la Cella créatrice. Ainsi les fugues successives de L'Oeil du coursier, en mouvement ascendant, correspondent-elles à une progressive saisie et ressaisie (par le langage) de ce qu'il y a de plus réel dans la réalité, jusqu'à une sorte de densification poétique du réel. Autant dire que j'étais ravi d'aborder l'écrivain sur une aussi bonne impression.
Donc je me pointe à l'heure convenue à la rue de Savoie, Paul Nizon arrive au bout d'un moment [...] et d'abord l'écrivain me paraît un peu méfiant [...]. Puis, comme je trouve les mots adéquats pour dire ce que j'ai aimé dans L'Oeil du coursier, il se détend et me révèle que les pages que j'ai préférées dans son livre sont tirées de ses carnets, dont une tranche importante doit paraître l'an prochain. Nous parlons des écrivains que nous aimons [...]. En tout cas le bonhomme me plaît. C'est du solide et du sensible, du sérieux et du poreux. J'aime son attention, non seulement à son vis-à-vis mais à la vie alentour, tels les gens qu'il y avait derrière moi qui le faisaient parfois sourire lumineusement.

En rentrant ce soir à Lausanne, j'écoute la cantate de Bach Jauchzet Gott in allen Landen, que m'a fait découvrir de force Marie Lagouanelle, et dont le récitatif est d'une beauté à fendre l'âme. [...]

7 juillet 1995. - En fin d'après-midi, en longeant la voie ferrée surplombant le lac vers Rivaz où j'avais arrêté mon vélocipède, j'ai surpris un grand vieux type sanguin, allongé tout nu sur les galets, et qui s'astiquait puissamment en me guettant du dessous le chapeau noir lui masquant le faciès. Je me suis gardé de détourner le regard, et lui n'a pas fléchi non plus. J'ai passé en sifflotant. Il y avait une lumière vaporeuse sur le lac qui estompait tous les contours. A un moment donné, la flèche d'un grand bateau blanc a pointé à l'épaulement de Dézaley; et l'autre continuait probablement, là-bas, de se baratter tandis que je prenais garde de ne pas trébucher sur le ballast.

Très frappé l'autre soir par ce que disait  Henry Miller à propos de la peinture, qui lui a rendu la joie de vivre à un certain moment. De même, la perspective de peindre en toute liberté, ces jours prochains, ne laisse-t-elle de me ravir. L'écriture ne m'a jamais été un bonheur simple. Il en va tout autrement de la peinture par laquelle j'établis un rapport sensible, voire sensuel, mais aussi psychique, très intense avec le monde.
26 février 1999. - Mes lectures ont été ma lecture du monde, mes lectures et mes amours. Mes universités furent essentiellement buissonnières, je le regrette parfois et conseillerais plutôt à mes filles d'accomplir leurs études, mais enfin chacun trace son chemin à sa façon et je ne renie pas la mienne. Je suis le fils d'une époque de dissolution et de recomposition. A vingt ans personne ne m'a été de bon conseil, de sorte que je me suis dirigé à tâtons avant de poursuivre une sente un peu à l'écart, devenue route plus sûre avec les années. Jamais cependant je n'ai eu le sentiment d'être établi, jamais je n'ai flatté ni sollicité en vue de complaire ou de réussir en apparence, jamais. Je n'ai fait que suivre mon instinct et mon goût.
Jean-Louis Kuffer, in L'Ambassade du Papillon, Carnets 1993-1999, éditions Bernard Campiche, 2000.
(Pour info aux lecteurs Français : se faire livrer en France par les éditeurs Suisses revient assez cher. J'ai pu acheter cet ouvrage via le site de la FNAC qui livre gratuitement). De nombreuses références littéraires qui donnent envie de lire les auteurs dont il parle (si ce n'est déjà fait), des rencontres passionnantes, aucune complaisance et c'est ce qui fait l'authenticité de ces Carnets.
J'ai hâte de vérifier avec L'Echappée libre, et ses "lectures du monde 2008-2013" si l'auteur a l’esprit toujours aussi mordant, vif, curieux et généreux; je parierais que oui si je me réfère à son blog. 
Je n'ai pas très envie de lire ici ou là ce qu'on en dit de cette "Echappée libre" je préfère le lire, sans influence. J'y reviendrai certainement.

***

Cette photo est magnifique.
JLK enfant, déjà la clope au bec!

 Crédit photo : Blogres, Antonin Moeri.

lundi 18 mai 2015

Un professeur de désespoir qui aimait à exister


"La consolation par le suicide possible élargit un espace infini cette demeure qui nous étouffe. L’idée de nous détruire, la multiplicité des moyens d’y parvenir, leur facilité et leur proximité nous réjouissent et nous effraient. Car il n’y a rien de plus simple et de plus terrible que l’acte par lequel nous décidons, irrévocablement, de nous-mêmes. En un seul instant nous supprimons tous les instants, Dieu lui-même ne saurait le faire. Mais, démons fanfarons, nous différons notre fin : comment renoncerions-nous au déploiement de notre liberté, au jeu de notre superbe ? Celui qui n’a jamais conçu sa propre annulation, qui n’a pas pressenti le recours à la corde, à la balle, au poison ou à la mer, est un forçat avili ou un vers rampant sur la charogne cosmique. Ce monde peut tout nous prendre, peut tout nous interdire, mais il n’est du pouvoir de personne de nous empêcher de nous abolir. Tous les outils nous y aident, tous nos abîmes nous y invitent, mais tous nos instincts s’y opposent. Nous voilà maître d’une solution d’autant plus alléchante que nous ne la mettons pas à profit ; elle nous fait endurer les jours et plus encore les nuits ; nous ne sommes plus pauvres ni écrasés par l’adversité ; nous disposons de ressources suprêmes et lors même que nous ne les exploiterions jamais et que nous finirions dans l’expiration traditionnelle, nous aurions eu un trésor dans nos abandons.
Est-il plus grande richesse que le suicide que chacun porte en soi ?"

Emil Cioran, in Précis de décomposition, Gallimard, 1949.

J'écoutais donc ce texte lu par (?) dans l'émission Le Gai savoir. Je disais hier que je me sentais sereine après cette écoute. Oui, parce qu'elle me déculpabilisait de vivre avec cette idée du suicide car vivre avec cette possibilité-là est une idée positive.

La liberté, la liberté de pouvoir se tuer permet de supporter la vie.
Le regard que porte en lui un mort en sursis ou quelqu’un qui se sait un mort en sursis sur le monde qui l’entoure, est d'une grande richesse.
Et puis, si je vis depuis quelques années avec cette idée, en permanence, elle n'est pas négative, je dirais même qu'elle adoucit ma vie et me permet d'en apprécier doublement la plus petite chose qui en fait sa beauté. La vie est belle, malgré tout. C'est bien ce que je disais il y a cinq ans déjà. La vache! J'avais déjà des crampes cette année-là... j'en ai toujours et de plus horribles encore.





dimanche 17 mai 2015

Sans titre

Salon du livre à Quimper (suite).

Tout semble s'être passé dans le calme dans une ambiance sereine. Pas mal de visiteurs, quelques auteur bretons qui semblent "avoir fait leur beurre" oups! J'y ai fait un saut (de puce) et puis zut, suis pas inspirée pour en parler. Il faisait une chaleur à crever dans l'enceinte du Prieuré sous les bâches en plastique transparent, avec le soleil oui oui, il y avait du soleil, les auteurs étaient dans une serre toute la journée, tentant de se rafraîchir avec de l'eau, d'autres avec un parapluie pour se protéger du soleil (dingue). Jean Teulé, présent, était comme une écrevisse après le passage au court-bouillon! Serge Joncourt la casquette du Papou vissée sur la tête était rubicond. Mona Ozouf, courageuse, restera toujours très classe. Olivier Bellamy avait l'air de s'ennuyer (comme je le comprends); il devait avoir hâte de retrouver les studios de Radio Classique.
Frédéric Mitterrand avait tombé la veste mais la chaleur n'avait pas entamé sa bonne humeur (samedi) pour parler de son ouvrage Une adolescence.



Aujourd'hui, dimanche, alors que je déjeunais tardivement sur ma terrasse après mes 9 trous de golf en écoutant sur France Culture l'émission Cannes Ville-Mondes, et Frédéric Mitterrand relater quelques scènes de son livre Le Festival de Cannes, Robert Laffont, 2007, au même moment j'entends un brouhaha sur l'esplanade du Salon; coïncidence! Je me lève pour voir ce qui se passe : un groupuscule très énervé s'était introduit dans l'enceinte, vite évacué par le service de sécurité. Les slogans vociférés par cette bande d'homophobes, qui s'en prenait à la présence de Frédéric Mitterrand dans ce salon :
PAS DE PÉDÉS DANS MON QUARTIER, PAS DE PÉDÉS DANS MON QUARTIER, PAS DE PÉDÉS DANS MON QUARTIER.... puis MITTERRAND EN PRISON, MITTERRAND EN PRISON, MITTERRAND EN PRISON... 
Mon coeur battait la chamade, de colère. Lorsqu'ils se sont tus, j'ai crié le plus fort que j'ai pu du haut de ma terrasse - sous les yeux ébahis  du service de sécurité : HOMOPHOBES EN PRISON, HOMOPHOBES EN PRISON, HOMOPHOBES EN PRISON... et j'en passe... Mon coeur battait de plus en plus fort, je me suis arrêtée avant de faire une attaque, contente d'avoir réagi. Même pas peur. Non mais! Le groupuscule* est reparti tranquillement, sans interpellation. 


"L'injure privée envers un particulier est passible d'une contravention de 4e classe (750 € maximum), ce qui n'empêche pas l'octroi d'éventuels dommages et intérêts. L'injure publique envers un particulier est punie d'une amende de 12 000 €.

Si l'injure est homophobe, les peines sont aggravées : 6 mois d'emprisonnement et 22 500 € d'amende. Les peines sont les mêmes en cas d'injure publique visant un groupe de personnes et fondée sur leur orientation sexuelle."
* (Rajout du 19 mai). Quelques précisions sur ce groupuscule "défendu" dans Breizh info qui se veut un journal d'information mais si l'on s'attarde un peu sur leur site, c'est plutôt un journal de propagande! Le groupuscule serait donc des militants catholiques et chrétiens du Renouveau français (Mouvement pour une renaissance nationale), dont les actions et les convictions sont très proches de celles du Front National. Hum!
La photo publiée dans Breizh info, le calme des protagonistes masqués posant pour le photographe, n'a rien à voir avec la scène hystérique (mais non violente en effet dans les gestes, la violence était dans les slogans) à laquelle j'ai assistée.
Et, pour clore sur ce sujet, lire cet article que je découvre par hasard (enfin presque) qui dit bien mieux que moi ce que je ressens sur ces amalgames assez odieux et puritains.


Ensuite, le calme est revenu, j'ai pu terminer ma pizza (froide) et ma salade et reprendre l'écoute de Ville-Mondes. Je me disais que j'étais vivante, bien vivante, que je n'avais pas perdu mon esprit de révolte, qu'à défaut d'amour j'avais encore des vibrations en moi, cette rébellion. Je riais dans ma barbe.

Puis, j'ai écouté ça, qui n'avait plus rien à voir avec l'homophobie et j'ai retrouvé la sérénité. Extrait demain... peut-être.

"Emil Cioran écrit comme un impressionniste mélange tous les sombres pour obtenir le plus beau noir : chaque phrase est un hurlement gelé, une trace, une cicatrice, une cicatrace que le monde a déposée, pour qu’elle s’y développe dans une petite chambre obscure."
Il faudrait que je fasse une petite pause avec ce blog car j'ai des livres à finir et surtout un à entamer, reçu vendredi, que je suis très, très impatiente de lire.

jeudi 14 mai 2015

Aux premières loges pour les festivités


Mon logo perso
(Cliquer pour agrandir)

Le logo officiel

 Salon du livre de Quimper

ATTENTION MESDAMES ET MESSIEURS
DANS UN INSTANT ON VA COMMENCER!






(Photos personnelles ci-dessus)

Ça c'est sur l'esplanade de Locmaria devant la rivière de l'Odet.
Pour voir le chantier à l'intérieur du Prieuré, c'est ici.
Deux jours de montage.


"Les 16 et 17 mai prochains, le quartier de Locmaria, berceau historique de la ville, connaîtra très probablement une affluence sans précédent, grâce au Salon du livre de Quimper, premier du nom.

Plus de 100* auteurs de renom sont conviés à ce rendez-vous, dont l'entrée sera gratuite.*


De l'enthousiasme, du travail et un carnet d'adresses fourni : Nathalie de Broc et Patrick Birrien-Cochard sont parvenus, en six mois, à mettre sur pied un événement d'envergure qu'ils comptent bien pérenniser."

* Ben non! Ça c'étaient les prévisions en janvier 2015. Tsss! Depuis, de nombreux changements de programme, car si "de grands auteurs de renom ont été approchés" quelques-uns vont tout de même manquer à l'appel. Mais ceux qui viendront seront accueillis comme des princes et il faut bien trouver l'argent quelque part... et donc, aux dernières nouvelles, l'entrée sera payante! L'avion, l'hôtel, le dîner de gala au Prieuré et toussa... atchoum! (pardon ça me chatouille le nez), c'est pas gratuit!

"La convivialité en toile de fond
Désirant placer ce salon sous le signe de la qualité et de la convivialité, les organisateurs mettent tout en œuvre pour recevoir les auteurs dans des conditions optimales de confort. Leur acheminement depuis Paris se fera à bord d’un avion spécialement affrété le vendredi 15 mai. Pour offrir une ambiance détendue dans un esprit d’ouverture, l’entrée du salon est fixée à 5€ seulement (gratuite – 18 ans)."
"Tapis rouge : les invités
Le salon aura lieu dans un cadre d’exception, le Prieuré de Locmaria situé dans le centre de Quimper, au bord de l’Odet. Il sera assorti le 16 mai au soir d’un concert dans l’église de Locmaria attenante au prieuré où se produiront  trois chanteurs lyriques de renommée internationale. Ce concert sera présenté par Olivier Bellamy de Radio Classique et parrainé par SAR la princesse Sophie de Roumanie."

(J'espère qu'il fera beau pour ouvrir mes fenêtres. Je pourrais alors peut-être? entendre le concert. Hé hé! Sinon, c'est 50 euros).

Demandez le programme pdf (je n'ai rien trouvé de plus détaillé).

Bon, aujourd'hui c'est le grand calme... je peux encore entendre les choucas et les mouettes.

(A suivre?)

vendredi 8 mai 2015

"Je me glorifiais de ma différence"

"Dès que mes familiers s'éloignent trop longtemps, ma mémoire les efface, de même quand ils mettent une trop grande distance géographique entre eux et moi. Certaines gens remontent de ma mémoire, sans que je comprenne les raisons qui m'attachaient à eux. Quand ce n'est pas une gêne profonde de les avoir connus qui m'en détache définitivement. [...]
Quand je pousse plus loin ma réflexion, j'en viens à m'interroger sur ce qui peut m'attacher aux êtres. Leurs mérites, certes, mais la vertu est bien ennuyeuse et son exemple sans effet sur moi. Des goûts communs? C'est peu et lassant. Des idées? En ai-je qui puissent être prises au sérieux? L'intelligence, certes, car je ressens du plaisir à frotter la mienne à celle des gens que j'admire. La volupté? Je n'ai connu là à peu près que des échecs, du dégoût, pire encore, des habitudes. J'en suis venu peu à peu à ne jamais engager trop loin mes affections. [...]
Que de cadavres derrière soi, que d'amitiés et d'amours avortés, que de retombées de ferveur, au point d'oublier jusqu'aux visages qui nous touchaient, aux noms qu'ils portaient [...].
[...]
[...] J'avais un orgueil à rebours. Je flottais comme un bouchon sur la vie, pour reprendre l'expression maternelle. J'ajouterai que je flottais sur tout ce qui m'ennuyait, sur les eaux basses de la médiocrité générale, peut-être même sur mes admirations, mes idéaux, car je ne savais rien approfondir. [...]
J'ai bien souvent pensé dans ma jeunesse, chaque fois que je me suis trouvé dans une réunion dont les propos m'assommaient : "Parlez, parlez, messieurs-dames, mon langage n'est pas le vôtre! Les choses n'ont pas pour moi le même sens que pour vous et mes faiblesses montrent des désespoirs, les vôtres les compromis de l'ambition... Rien de ce que j'entreprends n'obéit aux intentions que vous me prêtez..." Je me glorifiais de ma différence. C'était mon mot, mon orgueil. Aujourd'hui, au contraire, une attention, un rien, les banalités sur la pluie et le beau temps, la rue, le spectacle quotidien, j'allais dire la comédie, m'intéressent davantage que la vaine fierté d'être incommunicable. Sans les avoir perdus, j'ai compris qu'entre mes absolus et moi, existait une marge immense dans laquelle je joue, je respire, je dors, je fais le fou. Ma vie est un arbre poussant dans le désert. Mes meilleurs moments sont ceux où j'ai pu boire au creux de la main, tout au long de la marche, solitaire et hasardeuse, l'eau fraîche des fontaines, dans la perspective qui me reste à parcourir, j’aperçois la dernière où je me pencherai."

Pages 409 - 410 - 426 - 427.
Georges Borgeaud, in Le Voyage à l'étranger, éditions Grasset 1974.


Fontaine à Vaison-la-Romaine  (2003)

"Mes meilleurs moments sont ceux où j'ai pu boire au creux de la main, tout au long de la marche, solitaire et hasardeuse, l'eau fraîche des fontaines, dans la perspective qui me reste à parcourir, j’aperçois la dernière où je me pencherai."

mardi 5 mai 2015

Le snob est tragique

"Un snob est un artiste de soi-même qui a manqué son œuvre." (Patrick Dandrey)

Ce matin dans les NCC : entretien en alexandrins avec Raphaël Enthoven et Patrick Dandrey.


snob2

"Un fan de slam n'est pas moins snob qu'un fan d'art lyrique". (Raphaël Enthoven).

Le philosophe Raphaël Enthoven a étudié le snobisme, cette façon qu'ont certains d'adopter des comportements qu'ils tiennent pour distingués.

Qu'a la philosophie à dire sur le snobisme ? 

Il me semblait intéressant d'aller sur les traces du maître à penser sur la question, Proust. Et sur son idée que les domestiques ne sont pas moins snobs que les duchesses.

Je rejoins cette pensée que le snobisme n'est pas tant une affaire de classe sociale que de désarroi individuel.

Une parade pour combler une faille ?

Être snob est une façon de regarder ailleurs plutôt que de regarder en soi. L'attachement aux réalités dérisoires témoigne d'une tentative désespérée de recouvrir l'abîme en soi. Plus cet abîme est profond, plus le snob est tragique, à la façon d'un clown triste.

Pourquoi agace-t-il s'il souffre ?

Peut-être est-il le plus honnête des hommes. Il sait, comme chacun de nous, qu'il est né par hasard et qu'il a peur de mourir.
Sa façon de surmonter la vanité de l'existence est de s'attacher à ce qui semble vain. Il agace car il a l'élégance et l'indécence de chérir des choses futiles, de ne pas se prendre au sérieux. Et il sait s'en moquer.

Pourquoi le snob est-il expert dans l'art d'exprimer ses goûts ?

L'expression artistique est le terrain de jeu favori du snob, car dire j'aime ou pas telle ou telle œuvre n'oblige pas à l'argumentation. Ce n'est pas la nature de ses opinions qui fait le snob, mais l'importance qu'il leur accorde.
Exemple, un fan de slam n'est pas moins snob qu'un fan d'art lyrique. Sa tenue, quoique moins formelle, est aussi codifiée que le nœud papillon du mélomane.

Le snob n'est donc pas que l'intello, le bobo, l'aristo… ?

Ils sont partout ! Ma palme revient à une Savoyarde qui tenait un refuge. Je lui demande un Coca. Que n'avais-je pas osé ! Dans son seul regard, je me suis senti comme un animal, un barbare, un citadin frelaté.

Tout le monde peut donc être snob ?

De nombreux préjugés le casent dans une classe sociale. Or, même le collectif peut se montrer snob. Un exemple récent : statistiquement, le CV d'un candidat portant le prénom de « Kevin » a 30 % de chances en moins de retenir l'attention d'un employeur qu'un « Arthur ». N'est-ce pas d'un snobisme incroyable de déduire le niveau socioculturel d'un salarié sur la base de son prénom ?

Ce que vous appelez la tyrannie de la majorité ?

La tyrannie de la majorité désigne, chez Tocqueville, la façon dont la foule produit des normes pas moins contraignantes que la loi, mais qui relèvent de la morale. Comment penser autrement les comportements collectifs d'exclusion, d'anathème et de création d'un bouc émissaire ?

Le snobisme, d'Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven, Plon.

(Source Valérie Parlan, Ouest-France)

vendredi 1 mai 2015

"Un fanatique de l’authenticité immédiate, purulente, démasquante."

Une semaine enivrante avec les NCC : "L'ivresse poétique".
En compagnie de Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Bukowski.





Comment devenir un grand écrivain
(How to Be a Great Writer)

Vous devez baiser le maximum de femmes
de belles femmes et écrire
le minimum de poèmes d’amour courtois.

 
et ne vous préoccupez pas de leur âge
et/ou des questions de talents.


simplement buvez de la bière
de plus en plus


et allez aux courses au moins une fois
par semaine


et gagnez
si possible.


apprendre à gagner n’est pas à la portée
de tous

n’importe quel plouc
peut devenir un excellent perdant.


et n’oubliez pas ce cher Brahms
et ce cher Bach et cette chère
bière


mais pas de forcing.
dormez jusqu’à midi.

évitez les cartes de crédits
et aussi de payer
cash.


rappelez-vous qu’il n’y a pas un cul
dans ce vaste monde qui ne vaille plus
de 50$ (1977).


et si vous avez envie d’aimer
aimez-vous d’abord


mais en gardant
toujours à l’esprit la possibilité
d’une défaite complète
quelle qu’en soit la raison
fondée ou non
un avant goût de la mort n’est pas
nécessairement une mauvaise chose -


ne mettez pas les pieds dans les églises
les bars et les musées.

et telle l’araignée
soyez patients -

le temps est notre croix à tous
avec
l’exil
la défaite
la trahison


toutes ces saletés.

restez en tête à tête avec la bière.

chaque bière est comme du sang nouveau.

comme une maîtresse éternelle.

prenez une grosse machine à écrire
et comme si vous ne faisiez que
marcher et remarcher


attaquez-la
attaquez-la durement


comme si vous disputiez un combat de
poids lourds


comme le taureau quand il charge

et rappelez-vous les vieux chiens
qui se battirent si bien :
Hemingway, Céline, Dostoïevski, Hamsun.


et si vous croyez qu’ils ne sont pas
devenus fous
dans leur trou


comme vous êtes en train de le devenir

sans femmes
sans nourriture
sans espoir


alors vous n’êtes pas encore mûr.

buvez encore plus de bière.
vous avez le temps.
et si ce n’est pas le cas
ce serait tout aussi
bien.



Charles Bukowski (1920-1994), L’amour est un chien de l’enfer (Love is a Dog from Hell, 1977)
 
Anarchisme absolu
 
« A quoi bon des poètes dans un temps de détresse ? » ; demandait Hölderlin. La réponse est dans Bukowski, dans une prose qui est l’une des plus dénonciatrices-accusatrices de ce temps. Et sans aucune issue proposée : le constat d’enfer nu, organique, brutal. Les « caprices » de Goya, en pleines phrases. J’ai lu quelque part que Bukowski était « rabelaisien ». Mais non, il s’agit de quelque chose de beaucoup plus noir, de beaucoup plus simple et lisible, d’une inspiration beaucoup plus « théologique » sous un air d’anarchisme absolu. La civilisation, ou ce qui en reste, n’est pas du tout en train de « renaître » mais de se tasser, de se décomposer, de se décharger, et Bukowski n’a pas d’autre choix que de lui répondre du tac au tac, avec le maximum de violence, à bout portant. C’est un Burroughs en plus scandaleux, dans la mesure Où il prend de face, et sans aucune précaution, l’affaire « femme », tabou s’il en est aujourd’hui. Et pas du tout de façon virile, sensuelle ou mystagogique ; pas du tout dans le sillage de Hemingway ou de Miller, mais avec une froide obscénité chirurgicale, sur fond de noirceur désespérée.
L’humain se voit comme il est : animal à la dérive, ne pouvant éprouver la vérité qu’en marge, rejeté, au fond de l’abjection vécue les yeux ouverts. On ne quitte pas la périphérie de l’hôpital, de la morgue : lisez, par exemple, une des plus belles nouvelles « Vie et Mort des pauvres à l’hosto ». Lisez « Est-ce un métier d’écrire ? ». Bukowski c’est encore un de ces nouveaux saints bizarres de la littérature du XXe siècle : un fanatique de l’authenticité immédiate, purulente, démasquante. Un voyant coincé dans les poubelles des villes, dans les files- de voitures, derrière les pare-brise du moutonnement barbare civilisé. Un homme traqué par la nouvelle peste « Contrairement à vous, la peste a des heures à perdre en baratin. Vous ne partagez aucune de ses idées, mais elle ne -s’en rend pas compte parce qu’elle ne se tait jamais. La peste ignore toujours le son de votre voix. Elle y voit une sorte d’entracte, et elle poursuit son laïus. »
Oui, la folie est ordinaire. Ce qui serait extraordinaire, c’est que quelqu’un s’éveille et voie soudain son carnaval biologique ; sa ronde spectrale sur place. Ecrire ? « C’est, comme les courses, le monde des écrivains des manoeuvres, des combines, des trucs. » A la limite de l’illusion et de l’envoûtement généralisé, seule, parfois, l’hallucination mène à l’éclair qui révèle. Une couverture, ainsi, se met à vivre (« la Couvertury ») . Voilà, On passe ici même, de l’autre côté. « J’ai senti des larmes, qui roulaient sur mes joues, qui rampaient comme des grosses choses absurde ; et sans jambes. J’étais fou. Je dois vraiment être fou. »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 12 juin 1978.
(Source : PileFace)