Le palais, la glotte, les papilles, la langue, la voix, tout concourt au goût.
Hédonisme du goût, plaisir, gourmandise.
Je vous goûte, je vous savoure et je vous dévore.
Érotisme du goût.
Comment ne pas penser au baiser en parlant du goût.
Baisers... sucrés... salés... volés...
Chaque baiser a une saveur, un goût particuliers.
Autant de baisers, autant de saveurs.
Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portais à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine, mais à l'instant même où la gorgée, mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi, un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause et m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse, ou plutôt, cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel.
D'où avait pu venir cette puissante joie? Je sentais qu'elle était liée au goût du gâteau mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l'appréhender?
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu.
Extrait de l'émission "Les nouveaux chemins de la connaissance". (Thème de la semaine : les cinq sens).