jeudi 27 avril 2017

"Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. "



Justice représentée avec le glaive, la balance et le bandeau. 
Sculpture de 1543 par Hans Gieng sur la fontaine de la justice à Berne (Suisse)


A quelle condition serait-il légitime de ne pas voter?
Si le vote est un devoir, dans quelles circonstances faillir à son devoir?
Sujet d'actualité !

Quelques réponses (suggestions) dans l'essai de Henry David Thoreau et dans un entretien passionnant avec Manuel Cervera-Marzal, invité de Adèle Van Reeth (Les Chemins de la Philosophie).




« De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouvernement n’est au mieux qu’une « utilité » mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles. […]

Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui ? On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un « Dieu vous assiste » à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. Mais il est plus facile de traiter avec le légitime possesseur d’une chose qu’avec son gardien provisoire.

Tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le trictrac, avec en plus une légère nuance morale où le bien et le mal sont l’enjeu ; les problèmes moraux et les paris, naturellement l’accompagnent. Le caractère des votants est hors-jeu. Je donne mon vote, c’est possible, à ce que j’estime juste ; mais il ne m’est pas d’une importance vitale que ce juste l’emporte. Je veux bien l’abandonner à la majorité. Son urgence s’impose toujours en raison de son opportunité. Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard ; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité. Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines. Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves.  
Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté. »

Henry David Thoreau, in La désobéissance civile, 1849.




Claude Nougaro. Au piano Maurice Vander.

(Ce n'est pas le même topo taureau ! H D Thoreau se prononce à l'anglaise)

 

mercredi 26 avril 2017

J'exige... le je



« Quand j’ai écrit les pages suivantes, ou la plupart d’entre elles, je vivais seul au milieu des bois, à un miles de mon voisin le plus proche, dans une maison que j’avais construite moi-même sur la berge du lac Walden, à Concord, Massachusetts, et je gagnais ma vie grâce au seul travail de mes mains. J’ai habité là deux ans et deux mois. A présent, je séjourne de nouveau dans la civilisation.

Je n’aurai pas la présomption de réclamer autant l’attention de mes lecteurs si mes concitoyens ne m’avaient posé des questions très précises sur mon mode de vie, que certains taxeraient d’absurdité bien que je n’y voie aucune impertinence, mais compte tenu des circonstances, des questions tout à fait naturelles et pertinentes. Quelques-uns m’ont demandé ce que je mangeais, si je ne me sentais pas seul, si je n’avais pas peur, et ainsi de suite. D’autres ont été curieux d’apprendre quelle part de mes revenus je consacrais à des œuvres charitables ; d’autres encore, nantis d’une nombreuse famille, combien d’enfants pauvres j’entretenais. Je demanderai donc à mes lecteurs qui ne s’intéressent guère à moi, de me pardonner si dans ce livre j’entreprends de répondre à certaines de ces questions.

Dans la plupart des livres, le je ou la première personne est omis, dans celui-ci il sera conservé ; cela, sur le plan de l’égotisme est la principale différence. Nous oublions souvent qu’après tout, c’est toujours la première personne qui s’exprime. […] Mieux, j’exige, moi, personnellement, de chaque écrivain, grand ou petit, un récit simple et sincère de sa propre vie, et pas seulement ce qu’il a entendu dire de la vie des autres ; le genre de compte-rendu qu’il pourrait envoyer d'une terre lointaine à sa famille, car s’il a vécu avec sincérité il l’a forcément fait, selon moi, dans une terre lointaine. »



Henry David Thoreau, in Walden ou la vie dans les bois.

(Texte lu hier dans les  Chemins de la Philosophie, semaine consacrée à H D Thoreau. En 2012... déjà...  mais je ne m'en lasse pas de Thoreau).

mardi 25 avril 2017

PUR JUS DE RAISIN (0_0)

Pour changer un peu d'air durant cette période d'élections présidentielles, voici quelques perles de la presse régionale du Finistère, en 1910.



 Samedi 11 juin 1910
CORRESPONDANCE

Comme suite à la protestation d'un habitant de Loc-Maria, publiée dans nos colonnes, samedi dernier, nous recevons communication de la lettre suivante, adressée à M. le Maire, par M. Jules Henriot, le sympathique industriel de Loc-Maria.

Quimper, le 6 Juin 1910.

Monsieur le Maire de Quimper,

Je lis dans le numéro du Progrès de samedi la protestation d'un habitant de Loc-Maria, au sujet de la suppression de tout passage le long de la rivière, pendant les séances du Concours hippique. Cette lettre me semble présenter assez exactement les doléances des habitants du quartier. 
Société d'initiative des Fêtes quimpéroises, Sociétés agricoles ou hippiques, doivent pouvoir s'organiser, sans être obligées de se restreindre ou d'augmenter des dépenses déjà élevées, pour ne point léser les intérêts respectables des tiers. 
Rares étaient autrefois les occasions où Champ-de-Bataille et allées de Loc-Maria étaient interdits à la circulation : il fallait la seule circonstance du Concours régional. 
En moins d'une année, c'est la troisième fois que la circulation se trouve tout au moins gênée pendant une notable partie de la journée. [ndlr : Rien n'a changé en avril 2017]. Il est donc facile de comprendre ce légitime mécontentement d'une population dont les intérêts ont été jusqu'ici négligés. 
Une solution bien simple serait de nature à concilier les divers intérêts, en même temps qu'elle serait une sérieuse amélioration pour la ville entière. 
Au lieu qualifié encore de nos jours de "Bout-du-Pont", il existait autrefois un pont tournant, qui fut démoli vers 1720, par un bateau poussé par le courant. La prieure de Loc-Maria, qui revendiquait la propriété de ce pont, voulut obliger la Communauté de Ville à faire les réparations pour prix du passage qu'elle concédait gratuitement aux habitants. De longs débats suivirent. Bref, sous prétexte qu'il gênait la navigation, la Ville en acheva la démolition, en 1726. C'était couper en deux le fief de Loc-Maria; mais combien regrettable à tous égards et funeste devait être cette mesure au développement du faubourg, désormais séparé de la ville! 
Pourquoi ce pont, dont le rétablissement s'impose, ne se ferait-il pas sans retard ?
Je ne crois pas qu'on puisse faire valoir d'objections sérieuses : de moins en moins notre port reçoit des navires de faible tonnage, la rivière se comble et les navires de quelque importance doivent rester au quai neuf ; l'établissement d'un pont dans les environs de la rue du Palais ne serait donc d'aucune gêne pour la navigation. 
Nombreux en seraient au contraire les avantages : outre les relations générales facilitées, qu'il me suffise de vous signaler : l'accès des écoles de la rue Vis et de la rue du Chapeau-Rouge, du cimetière Saint-Marc, pour les habitants de Loc-Maria; l'accès du Champ-de-Foire et de la place Neuve, les Jours de marché, diminuant ainsi l'encombrement du centre de la ville; communications plus faciles entre les bureaux de Loc-Maria et la caserne .. Je vous prie de remarquer qu'en hiver, le passage par bateau est pénible souvent, et qu'il n'existe que le jour ; que, à cause de cela, le service des Postes, à Loc-Maria, a été modifié à notre préjudice; que, vu la longue distance, nous ne pouvons effectuer au quai les déchargements de charbons que nous devons faire venir par fer, etc...
Vous voudrez sans doute, Monsieur le Maire, prendre en considération cette rapide exposition, et agréer mes respectueuses salutations. 
Henriot.


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Simple question

La loi interdisant de servir à boire aux gens ivres est-elle oui ou non abrogée? 
Sinon, comment se fait- il que certains débitants peu scrupuleux servent impunément à boire à leurs clients jusqu'à ce qu'ils soient ivres-morts ?
La police municipale est cependant assez nombreuse, et quelques tournées faites de temps à autre dans les nuits de samedi et dimanche principalement, lui permettraient de prendre très facilement les délinquants. Dans l'intérêt des familles et de la sécurité publique, cela est nécessaire. 
Un habitant de Bourg-les-Bourgs.


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A NOS LECTEURS. — Nous attirons tout spécialement l'attention de nos lecteurs, sur l'annonce « Vin rouge du Roussillon », qui se trouve à la 8e page. 


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VIN ROUGE DU ROUSSILLON 
Titrant 10 degrés
En pièces d'environ 225 lit.  85 fr.
En 1/2 pièces d'env. 112 lit. 48 fr. 
logés en fûts neufs, rendu franco port et régie sur gare de l'acheteur. Paiement à 30 jours de la date, de l'expédition, sous déduction d'un escompte de 3 % ou bien à 60 jours, escompte de 1 1/2 %, ou à 90 jours sans escompte. 
Le vin que je livrerai étant récolté dans mes vignes, sortant de ma propriété pour aller directement à la cave de l'acheteur, sans passer par aucun intermédiaire, vous est garanti pur Jus de raisin. 
JUSTAFRE-PERAS, propriétaire-viticulteur, à Perpignan (Pyrénées-Orientales.) 
P. S. — Je ne promets ni prime ni cadeau ; dans l'intérêt du consommateur, je me contente de livrer scrupuleusement du PUR JUS DE RAISIN 
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EN CORRECTIONNELLE
Audience du mardi 7 juin 1910

Les élections de Léchiagat.

Au début de l'audience, le Tribunal a rendu son jugement dans l'affaire des élections de Léchiagat, dont les débats ont eu lien, comme on le sait, la semaine dernière. Le Tribunal a dit la prévention non justifiée et, en conséquence, a débouté M. de Servigny de son action et mis les huit prévenus hors de cause, sans dépens. 

Douarnenez. — Affaire de mœurs. — François, Marie, 60 ans, paveur municipal, est inculpé d'outrages aux mœurs, en Juillet, Août et Septembre 1909 et en Mars 1910. 
6 mois de prison avec sursis et 50 francs d'amende.

Plonéour-Lanvern.Vol de fagots. — Les femmes L'Hénoret, brodeuse, 28 ans, et Le Bléis, 36 ans, blanchisseuse, ont soustrait des fagots à un sieur Cossec. 
8 jours de prison chacune. 

Ergué-Armel. Lapins à 4 sous ! — Un incorrigible petit paysan de 15 ans, Jean-Louis Aminot, a volé un porte-monnaie à un de ses camarades, domestique agricole, il escroqua une somme de 4 fr. 70 à un horticulteur de Quimper, et, enfin, chaparda deux lapins, qu'il vendit 4 sous ! 
"Pourquoi tous ces vols ? 
- "Pour acheter des "choses"  parbleu, tabac, pipe et petits bateaux!"
Maison de correction, jusqu'à majorité. 

Ploaré. — Vandalisme. — Le 24 Mai, ; vers 6 h. du soir, Eugène Tanier, 26 ans, soudeur, se promenait, en état d'ivresse, sur le toit de la belle église de Ploaré. 
Obéissant à on ne sait trop quels motifs, il dégrada l'édifice et démolit même trois des clochetons. 
"Pourquoi avez-vous fait cela ? lui demande le président. | 
— "J'étais saoul, répondit-il, je ne sais ! pas ce que je faisais."  
Pour dégradation et mutilation d'un monument public, 10 jours de prison avec sursis et 5 francs d'amende pour la contravention  d'ivresse. 

Quimper. Outrages. — René Fulcran, qui fait défaut, a outragé, le 26 Mai, l'agent Montfort.  "Je vous crèverai les yeux", lui criait-il. 
En attendant, 20 jours de boîte. 

Douarnenez. Aménités électorales. - Le 24 Avril dernier, jour des élections, David, 38 ans, garçon boucher, et Louis Quintric, 19 ans, marin-pêcheur, se prirent de querelle au bout du pont. Une rixe s'ensuivit, et Quintric, à bout d'arguments, ne trouva rien de mieux que de casser plusieurs dents à David, à coups de sabots. 
Ce dentiste, d'un nouveau genre, est condamné à 15 jours de prison et à 5 francs d'amende pour la contravention d'ivresse. 
Le père, civilement responsable. 
A la suite de la scène précédente, la sœur de Quintric, mécontente de l'arrestation de son frère, prodigua, au brigadier Gouil, des épithètes plutôt salées, qui lui coûtent, pour avertissement, 25 fr. d'amende avec sursis. 

Beuzec-Conq.Nocturne. — Dans la nuit du 21 au 22 Mai, un individu en état d'ivresse, nommé Louis Gourlay, 25 ans, marin-pêcheur, proférait les pires injures devant la maison de M. Le Coq, gérant de l'usine Ramell. Ce dernier, agacé, déchargea sur l’énergumène un coup de carabine, qui produisit de légères contusions aux jambes. 
Le commissaire intervint. Il fut outragé, et Gourlay fit rébellion.  
"Je vous ferai casser, si vous êtes le commissaire," s'écriait l'enragé. 
Finalement, cette scène nocturne se solde par les condamnations suivantes : 
16 fr. d'amende, au gérant, pour coups et blessures ; 
10 Jours de prison et 5 fr. d'amende pour la contravention d'ivresse, au matelot, pour outrages et rébellion. 
"C'est pas mauvais, pour si peu", maugrée ce dernier, en hochant la tête... 
Joli ménage. — Le ménage Poupon, de la rue Neuve, n'est pas précisément ce qu'on pourrait appeler un ménage modèle. Quand le mari a bu, ce qui lui arrive plus souvent qu'à son tour, il cogne sur sa vieille moitié. 
Il cogna même si fort, l'autre jour, à coups de trique et de cuiller à pot, que la pauvre femme dut être envoyée à l'hospice. Elle s'enivre aussi, la malheureuse, comme elle le concède à l'audience : 
"Je bois un peu aussi !" 
En tout cas, ce n'est pas une excuse pour son conjoint brutal, qui attrapa un mois de prison.

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PUB !


(Le pèse alcool n'est pas superflu. Mmm!)

(°_~) 
 

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé ! 
A consommer avec modération !
(*_*)

jeudi 20 avril 2017

The winner is

«Je commençais à me faire à l'idée que si je ne devais jamais gagner un Grand Chelem cela ne serait pas une catastrophe, ma vie était déjà fantastique sans un titre majeur à mon palmarès».


Sergio Garcia (né en 1980), vainqueur du Masters 2017 à Augusta.

Après bien des désillusions, l'Espagnol Sergio Garcia est rentré dimanche dans le club fermé des vainqueurs d'un tournoi du Grand Chelem en s'adjugeant le Masters 2017 au terme d'une duel de haute-volée avec l'Anglais Justin Rose. 
© Le Télégramme (photo EPA)

"Je suis sûr que Seve m'a aidé un petit peu pour certains de mes coups et de mes putts (...) J'ai pensé à lui à plusieurs reprises cette semaine, en particulier ce dimanche", a assuré Garcia, troisième Espagnol sacré à Augusta après Ballesteros (1980, 1983) et Jose Maria Olazabal (1994, 1999).

Seve Ballesteros (1957-2011), Masters 1980 à Augusta
Crédit photo : The Guardian





José Maria Olazabal (né en 1966), Masters 1994 à Augusta



(Eagle sur le trou  n° 15)

lundi 17 avril 2017

Triste lumière


Photo 16 avril 2017
 



Le frêne, photo septembre 2010



Assassins

C'était ma belle route, ce chemin de terre qui venait buter sur la chapelle de Kergornet avant de me conduire à Botzulan. Je le montrais aux amis et aux visiteurs avec une sorte de fierté châtelaine, encore qu'elle appartint à tous puisqu'elle était communale. Ces grosses bêtes jaunes du remembrement l'ont défoncée à jamais. Allez donc savoir pourquoi ! Un ingénieur des Travaux publics en a décidé ainsi, et les talus et les haies sont tombés. Vos gueules les ramures et les oiseaux. Ça doit être ça le progrès...
C'était ma voie royale, ce chemin de terre. Il me disait les ans et les saisons, il tournait, montait, descendait entre les chênes et les châtaigniers. Il riait par toutes les lèvres d'un ruisseau qui courait en sa rigole. L'hiver, il subissait fièrement les assauts du vent. L'été, avec toutes ses ombres portées, il était frais comme l'espace d'une basilique.
C'était ma voie sacrée, ce chemin de terre. Il disait la chapelle portant le houx toujours verdâtre et jeune, cette plante de la Semaine Sainte. Et les cimes de ses vieux arbres étaient comme les bannières en procession. Fini. On a tout rasé.
On pouvait très bien le garder, ce chemin de terre. Simplement pour le plaisir des derniers chevaux, des derniers poètes et des tourterelles. Mais non ! On va le combler. Avec les chênes abattus et les troncs fracassés et les souches. Et on y substituera une route droite, rationnelle, cohérente. C'est cela le fascisme aujourd'hui. Il opère dans le végétal. Au cordeau.
Oui, ma belle route n'est plus qu'un cimetière bouleversé. On a tué ainsi en Bretagne la fantaisie et le charme d'un merveilleux réseau vicinal. La France technocrate n'en a rien à faire. Et c'est tout un testament spirituel que l'on déchire. Et c'est toute une mémoire que l'on moque. 
De la mer souillée  jusqu'aux terres ouvertes, ce monde décidément est plein d'assassins...

4-V-78

Xavier Grall, in Les vents m'ont dit, éditions Calligrammes, 1991.

vendredi 14 avril 2017

"Lisez d'abord les meilleurs livres, de peur de ne les lire jamais." H.D. Thoreau





LETTRE X

Concord, 21 juillet 1852

M. Blake,
Je vais trop stupidement bien ces jours-ci pour vous écrire. Ma vie est presque totalement extérieure, toute de coquille, sans tendre amande, si bien que je crains fort que le récit que je pourrais vous en faire ne soit pour vous qu'une noix à croquer, sans la moindre chair à vous mettre sous la dent. Qui plus est, vous ne m'accaparez pas du tout, et je goûte une telle liberté en vous écrivant que je me sens aussi impalpable que l'air. Je me réjouis toutefois d'apprendre que vous avez patiemment accordé votre attention à tout ce que j'ai dit jusqu'à aujourd'hui, et que vous avez décelé quelques vérités. Cela m'encourage à vous en dire davantage - pas dans cette lettre, je le crains, mais dans un livre que je pourrais bien écrire un jour. Je suis heureux d'apprendre que je suis aussi important pour un mortel que l'est un épouvantail opiniâtre pour un fermier - de fait, je suis une gerbe de paille dans des habits d'homme, agrémenté de quelques morceaux d'étain étincelants au soleil. Comme si je travaillais dur dans ce champ ! Mais si ce genre de vie suffit à préserver le maïs d'un homme, eh bien, celui-ci à tout à y gagner. Je ne redouterai pas vos éloges tant que vous saurez bien ce que je suis, d'une part, et ce que je pense ou entends être, d'autre part. Et surtout tant que vous ferez la distinction entre les deux, car il arrive immanquablement qu'en louant le second, vous condamniez le premier.
[...]

H.D.T.


LETTRE XI

 [Concord, septembre 1852]

M. Blake,
Voici les considérations que je vous ai promises. Vous pouvez les garder, si cela vous intéresse, et les tenir pour des fragments épars de ce que je finirai peut-être par considérer comme un essai plus complet lorsque je me replongerai dans mon journal.
Je vous envoie ces pensées sur la chasteté et sur la sensualité non sans une certaine défiance et une certaine honte, ne sachant si je m'adresse à la condition humaine en général ou si je trahis mes défauts particuliers. Je vous prie de m'éclairer sur ce point si cela vous est possible.

Henry D. Thoreau

DE L'AMOUR

Personne n'a jamais répondu de façon satisfaisante à la question de la nature de cette différence essentielle entre l'homme et la femme qui fait qu'ils sont attirés l'un vers l'autre. Nous devons sans doute reconnaître la justesse du distinguo qui assigne à l'homme la sphère de la sagesse et à la femme celle de l'amour, mais il n'en demeure pas moins qu'aucun des deux n'appartient de façon exclusive à l'une ou l'autre. L'homme dit sans cesse à la femme : Pourquoi ne te montres-tu pas plus sage? La femme demande sans cesse à l'homme : Pourquoi ne te montres-tu pas plus aimant? Il ne leur appartient pas de décider d'être sage ou aimant, car à moins d'être à la fois sage et aimant, il ne peut y avoir ni sagesse ni amour.
La bonté transcendante est une, bien qu'appréhendée de différentes façons, ou par des sens différents. Nous la voyons dans la beauté, nous l'entendons dans la musique, nous la sentons dans le parfum, un palais fin la goûte dans la saveur, et le corps tout entier la ressent dans cette chose rare qu'est la santé.
[...]
[...]

DE LA CHASTETÉ ET DE LA SENSUALITÉ

Le sexe est un sujet remarquable car, bien que nous soyons très concernés par ses manifestations, tant directement qu'indirectement et que, tôt ou tard, il occupe les pensées de chacun, l'humanité tout entière, pour ainsi dire, s'entend à garder le silence à son sujet. C'est, du moins, le plus souvent le cas entre les deux sexes. L'une des caractéristiques humaines les plus intéressantes se trouve plus occultée qu'aucun autre mystère. Elle est traitée avec un goût du secret et une crainte respectueuse qui, de toute évidence, ne conviendraient pas même à une religion, quelle qu'elle soit. Je crois qu'il est inhabituel, même pour les amis les plus intimes, de parler des plaisirs et des angoisses qui vont de pair avec la sensualité, autant que d'ébruiter l'aspect physique de l'amour, ses tenants et ses aboutissants. Les Shakers n'exagèrent pas plus dans leur façon d'en parler que le reste de l'humanité dans sa façon de le passer sous silence. Non pas que les hommes devraient en parler, pas plus que de n'importe quel autre sujet d'ailleurs, sans rien avoir de valable à dire, mais il est manifeste que l'éducation de l'homme vient à peine de commencer - il y a si peu de communication réciproque digne de ce nom.
Dans une société pure, on n'éviterait pas aussi souvent d'aborder le sujet de l'acte sexuel. On l'occulte plus ou moins, davantage par honte que par respect, ou on se contente de l'effleurer. Mais si on le traitait naturellement et simplement, peut-être éviterait-on d'en parler comme d'une chose mystérieuse. Si la honte nous empêche de l'évoquer comment peut-on passer à l'acte? Malgré les apparences, il y entre sans aucun doute bien plus de pureté que d'impureté.
[...]
[...]
Quand il y a impureté, c'est que sans le savoir, nous nous sommes "abaissés pour nous rencontrer".
[...]

Henry David Thoreau, in "Je suis simplement ce que je suis" Lettres à Harrison G.O. Blake, éditions finitude, 2007.


"Plus que jamais, je trouve qu'il n'y a rien à gagner à entretenir un commerce régulier avec les hommes. Cela revient à semer le vent, sans même récolter la tempête, rien qu'un calme et une inertie dépourvus d'intérêt. Nos conversations ne sont qu'interminables spéculations creuses et polies. [...) Tout cela serait plus respectable si, comme on l'a déjà dit, les hommes étaient des Géants du Désespoir, et non des Pygmées désespérés."
4e de couverture.

"Correspondance philosophique? Traité épistolaire? Un peu de tout cela. A la manière des sages de l'Antiquité s'adressant à leur disciple. Ces lettre qui s'échelonnent sur treize ans, constituent un prolongement précieux et inédit à Walden et à La Désobéissance civile, puisque c'est une pensée in progress qui s'y exprime en toute liberté. Elles sont aussi le pendant dynamique de l'immense Journal que Henry David Thoreau (1817-1862) rédigea tout au long de sa vie, sur les conseils d'Emerson. [...]"
Thierry Gillyboeuf (traducteur de l'ouvrage).
 
"Depuis l’adolescence, je suis fermement convaincu que Thoreau est mon allié, mon garde-frontières qui me défend contre les bêtises dont je suis capable, contre l’intempérance absurde de mon caractère qui me pousse à enfourcher le cheval de la vie sans selle ni bride. La leçon essentielle que nous apprend Thoreau consiste à simplifier notre vie, à dire non d’une voix de stentor, et à ignorer les mille âneries qu’on tente de nous imposer."
Jim Harrison : Thoreau, mon allié, mon garde-frontières.


Citation commémorative de Thoreau à Library Way de New York




Hans Hartung

(suite...) précédent


Hans Hartung et sa femme, l'artiste Anna-Eva Bergman
Photo Fondation Hartung Bergman




Photographe : John Lefebre - Galerie Lefebre

L'exposition consacrée à Hans Hartung et aux peintres du mouvement abstraction lyrique aux Capucins à Landerneau se termine le 17 avril. J'ai eu la mauvaise idée d'aller la voir après une séance de manœuvre libératoire et j'étais encore vertigineuse. J'avais fait de la route et je voulais faire de mon passage obligatoire à Brest, une opportunité pour me rendre à cette exposition qui n'était qu'à quelques kilomètres. Je mets sur le compte de mon état de fatigue  mon impression de ne pas avoir ressenti ce que j'espérais des œuvres exposées et, de plus, j'ai raté tous les "zooms" des œuvres sur lesquelles je me suis attardée (et que j'aimais), preuve que j'étais encore "déséquilibrée". Photos prises sans flash, toutes les photos ci-dessous sont mes photos personnelles.







 Clic droit puis afficher l'image pour lire





P 1957-50, 1957
Pastel sur papier
Fondation Hartung-Bergman, Antibes



Hans Hartung, T1947-14, 1947
Huile sur toile
Fondation Gandur pour l'art, Genève
 


Hans Hartung, T1974-E27, 1974
Acrylique sur toile
Fondation Hartung-Bergman, Antibes



Photo recadrée








Hans Hartung dans l'atelier d'Antibes, 1974 - 1975
Photographies de François Walch



L'intérêt de cette grande exposition était aussi d'associer d'autres artistes de l'abstraction lyrique, comme Cy Tombly, Gérard Schneider (que j'aime particulièrement), Adolph Gottlieb, Simon Hantaï, Fritz Winter, Willem de Kooning...


 Gérard Schneider, Opus 1 Mai 1961
Huile sur toile


   
Gérard Schneider, Opus 76 D, 1960
Huile sur toile
Fondation Gandur pour l'Art, Genève

(C'est sûr qu'avec le flash autorisé, elle est plus lumineuse)


Gérard Schneider, Révolutions, 1958
Huile sur toile
Fondation Gandur pour l'Art, Genève 
 
Comme ça, j'ai le droit de faire la Révolution, 
elle me plaît aussi cette toile




Adoph Gottlieb, Cave 1952
Huile sur toile
Fondation Gandur pour l'Art, Genève


Photo personnelle recadrée (by myself)



Fritz Winter, Zerbrochen, 1963
Huile sur toile
Museum für Gegenwartskuntz Siegen 

Photo recadrée




Simon Hantaï, [Sans titre], 1957
Huile poudre de pigments et sable sur toile
Fondation Gandur pour l'Art, Genève 


Il faut aller voir les expositions, entrer dans les galeries, dans les musées, pour voir la différence entre une Huile sur toile et une Acrylique sur toile, la première me fait vibrer la seconde me laisse un vide, sur ma faim.