lundi 25 décembre 2017

"Des flèches à toucher les étoiles"


 La cathédrale Saint-Corentin, Quimper 
(illuminations de Noël)



"Je préfère peindre des yeux humains plutôt que des cathédrales, si majestueuses et si imposantes soient-elles - l'âme d'une être humain, même les yeux d'un pitoyable gueux ou d'une fille des trottoirs sont plus intéressants selon moi."
Vincent Van Gogh, Lettre de Vincent à son frère Théo.

"Une âme se mesure à la dimension de son désir, comme l'on juge d'avance des cathédrales à la hauteur de leurs clochers."
Gustave Flaubert, Correspondance à Louise Collet.


samedi 23 décembre 2017

"... vous côtoyez les murs; et nul ne vous salue..."


"Grand admirateur de Victor Hugo, Baudelaire lui dédie ce poème, "Les Petites Vieilles", qui formait à l'origine avec "Les Sept Vieillards" une rubrique intitulée "Fantômes parisiens". Dans une lettre à Victor Hugo, le poète confie : "Le second morceau a été fait en vue de vous imiter. Riez de ma fatuité, j'en ris moi-même, après avoir relu quelques pièces de vos recueils, où une charité si magnifique se mêle à une familiarité si touchante." Voici le regard cru mais si compatissant qu'il porte à celles qui auraient pu être ses muses."
(Guillaume Gallienne, Ça peut pas faire de mal, éditions Gallimard/France Inter, 2015)

Les Petites Vieilles

A Victor Hugo

I

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

[...]

- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II

De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !

L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs

III

Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,
[...]

IV

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

[...]

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L’œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :

Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?

Baudelaire, Les Petites Vieilles (extraits)

vendredi 15 décembre 2017

***

Que serait l'artiste sans son chat... (cliquer...)

Et encore
Et tout de même. ..

" Les chats sont malins et conscients de l'être.  "
(Tomi Ungerer)

" Le plus petit des félins est une oeuvre d'art. "
 (Léonard de Vinci)

" Il n'existe pas de chat ordinaire."
(Colette)


mercredi 13 décembre 2017

Une enfance bafouée, une vieillesse heureuse : Walter Mafli




Le doyen des peintres suisses Walter Mafli
 (10 mai 1915 - 11 décembre 2017) est décédé à Lutry.
L'artiste avait 102 ans.

Une exposition lui était consacrée il y a dix ans,
(affiche ci-dessus)
au musée de Pully (Lausanne) :

Walter Mafli
"Une vraie découverte que cette exposition, puisqu’elle présente 56 tableaux inédits – c’est à dire jamais montrés au public – de Walter Mafli dont la production occupe tout le premier étage. On a un peu l’impression de pénétrer dans son atelier. Et cette promenade s’étend sur une quarantaine d’années. Il expose ainsi trois périodes très diverses de sa création. Car au cours de près de 50 années, il s’est passionné pour des formes très différentes de peinture. Dès les années 50 il exécuta des Collages pendant plus de dix ans. Une technique mixte sur bois où parfois deux tableaux sont collés l’un sur l’autre. On aperçoit par endroits  des couleurs d’où émergent divers objets communs, comme une passoire, des anneaux et autres, camouflés dans une couleur brune. Les évènements de 68 ont ouvert pour Mafli une longue période psychédélique peinte sur toile ou novopan. Un festival de couleurs multiples et franches, pour des motifs où rêve et réalité s’unissent pour envoûter le visiteur. Et une période abstraite où les figures géométriques aux couleurs plus feutrées, réalisent le paradoxe d’évoquer des paysages. Enfin, quelques toiles datant de 2007 ou 2008, soudain figuratives, sur notre région, comme le Léman en hiver ou l’Escalier de vignes. Âgé aujourd’hui de 93 ans, Walter Mafli est toujours très actif. Il ne peint plus qu’à l’huile pour pouvoir retravailler ses tableaux avant de les considérer comme terminés. Ce que  ne permet pas l’acrylique."
(Martine Thomé, Le Régional.ch)
 

A propos de l'artiste...

"La singularité du parcours de Walter Mafli est d’avoir longtemps mené de pair une carrière d’artisan carreleur et son activité artistique. Loin des modes, il s’est essayé à tous les styles, de l’abstrait au figuratif. La nature reste sa principale source d’inspiration, ses thèmes favoris, le lac, le vignoble et la campagne, qu’il transpose sur la toile avec des couleurs déposées le plus souvent à la spatule et au couteau par couches successives, accrochant ainsi la lumière et donnant profondeur et relief au sujet. La « patte Mafli » est ainsi aisément reconnaissable. Peinture fendillée évoquant le crépissage et rappelant l’ancien ouvrier qu’il fut. On sent encore l’évocation de son travail de carreleur dans ses compositions abstraites faites de juxtaposition d’un même motif, esthétisme graphique construit, jouant avec les formes et la composition du sujet pour tendre à l’épure jusqu’à ne devenir que surfaces monochromes vidées de tout accident, de toute trace formelle. Walter Mafli l’affirme : le choix de l’abstraction est une affirmation contre tout ce qui entrave la liberté.[...]"





 Walter Mafli, Autoportraits. Capture d'écran d'une vidéo de la RTS, 1964.


Walter Mafli, Couple

"En 1964, Carrefour-Soir Information rend visite à l'artiste peintre Walter Mafli. Oscillant entre peinture figurative et abstraite, le peintre vaudois d'adoption trouve dans la nature sa principale source d'inspiration. L'artiste nous ouvre les portes de sa demeure et de son atelier."
A voir ici (Durée 4 minutes, vidéo sur la RTS)

 Et, cette autre vidéo, de 2014 (53 minutes)
découverte sur le site Les Amis de Mafli.
Pour ceux qui souhaiteraient connaître cet artiste 
dont - pour ma part - j'apprends l'existence le jour de sa mort !
PF1302 Walter Mafli from Films Plans-Fixes on Vimeo.

Quelques œuvres de Walter Mafli.
La petite note Rouge que l'on retrouve dans de nombreuses toiles et craies à l'huile est, selon Walter, la signature reconnaissable d'un Mafli. 


Huile sur toile, détail "abstrait" d'un tableau figuratif 
(vu dans une des vidéos)




Verbier, huile sur toile





Verbier, trois craies à l'huile




Chemin de Vignes, Lavaux, craie à l'huile
 



Vue de Lavaux, craie à l'huile




Lac de Brêt, craie à l'huile


Abstrait vert



Abstrait petit orange


Il faut voir les vidéos, écouter Walter raconter Mafli pour tenter de comprendre l'éclectisme de ses peintures, au fil des années.

dimanche 10 décembre 2017

"Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l'inspiration sortir." (Sylvain Tesson)




LES FENÊTRES

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.

Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.

Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.

Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?

Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris.


Ce poème de Baudelaire a ravivé quelques souvenirs de mes séjours parisiens dans le studio que je louais. Je m'étonnais toujours - avec bonheur - de voir ces fenêtres éclairées, sans rideaux, qui laissaient l'imagination vagabonder. J'apercevais une silhouette qui allait et venait puis de temps en temps venait s'accouder au-dessus des plantes. Les fenêtres de l'étage au-dessus, éclairées également, étaient trop hautes pour que je puisse y distinguer ses occupants; mais je les imaginais. J'adorais cette idée de laisser des fenêtres sans rideaux même quand le vis-à-vis est très proche. Que j'étais loin de la vie étriquée de province où tout le monde ferme ses rideaux quand ce ne sont pas ses volets, parce que la curiosité est malsaine. Ici, à Paris, rien de malsain, chacun vit sa vie comme il veut, sans se soucier des autres et du coup, tout cela est naturel. La fenêtre... comme une ouverture sur le monde. Mais la vision de Baudelaire est sûrement plus propice à l'imaginaire, à inventer la vie des autres : quand la fenêtre est fermée.
 "Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?"


vendredi 1 décembre 2017

"... il est entré dans le Panthéon de ceux que j'admire, les égotistes, les mégalomanes..."





Josyane Savigneau, Philip Roth (Source)

=0=0=0=0=
 
Lecture en cours


"J'aime avant tout les écrivains qui parlent d'eux. Je suis restée très perplexe devant Annie Ernaux affirmant à propos des Années qu'il s'agissait là d'une autobiographie impersonnelle dans laquelle chacun peut se reconnaître. Quelle étrangeté. Je n'aime que les autobiographies personnelles, surtout celles que l'on accuse de narcissisme. Je ne veux pas me reconnaître, mais connaître quelque chose de tout autre. Ce qui m'attire en Roth, c'est ce qui ne me ressemble pas. Je suis une femme, pas juive, née presque vingt après lui dans une petite ville française. Avec lui, je suis à la recherche de son expérience, non de la mienne, heureuse qu'il m'ait rendu familier Newark, son enfance dans le quartier juif de la ville, la haine qu'il a suscitée dans sa communauté. En un seul livre, il est entré dans le Panthéon de ceux que j'admire, les égotistes, les mégalomanes, les tout-puissants qui croient en la force et la vérité de leur fiction. J'allais aussitôt me conforter dans mon admiration avec L’Écrivain fantôme, où j'ai souligné cette phrase en me disant qu'il faudrait un jour la mettre en pratique : " Quand on admire un écrivain, on est curieux de le connaître. On cherche son secret - les clefs de son puzzle."
[...]
[...]
1992. En dépit de mon désir, je me sentais un peu coupable de vouloir rencontrer Roth. Pourquoi aller voir un écrivain qu'on admire? Ses livres ne sont-ils pas la seule "approche" légitime? La curiosité pour l'homme n'est-elle pas un travers journalistique? Par chance j'avais, d'une certaine manière la caution de Marguerite Yourcenar, dont je venais d'écrire la biographie. Elle qui assurait dédaigner l'anecdote biographique et affirmait qu'un écrivain se trouve tout entier dans son œuvre, se plaignait néanmoins, dans sa correspondance, qu'on ait publié un essai sur elle sans lui rendre visite, et ajoutait : "Moi qui aurais tant donné pour connaître Cavafy, ou avoir de Mann une autre expérience qu'un simple échange de lettres." Et plus loin : "Moi qui aurais donné un an de ma vie pour rencontrer Hadrien." Ainsi "amnistiée", j'allais chercher à obtenir un rendez-vous avec Philip Roth. J'en avais d'autant plus envie que depuis des années, au Monde, une femme qui n'aimait pas ses livres m'avait empêchée d'écrire sur lui. Désormais, c'était moi qui dirigeais, j'étais libre de ma décision."

Josyane Savigneau, in Avec Philip Roth, éditions Gallimard, 2014.

"Snobé par le Nobel, Philip Roth entre dans la Pléiade"
(Le Figaro, 2/10/2017)