mardi 12 juin 2018

Tout art doit avoir un certain mystère






Figure étendue à deux pièces no 5, Bronze (1963-64), 
titre original : Two Piece Reclining Figure No. 5

« Tout art doit avoir un certain mystère et doit interroger le spectateur. Donner à une sculpture ou à un dessin un titre trop explicite enlève une part de ce mystère, et ainsi le spectateur se déplace vers l'objet suivant, sans faire l'effort de mesurer le sens de ce qu'il vient de voir. Tout le monde pense avoir compris, mais en fait pas vraiment, tu sais. »
(A suivre... après visite de l'exposition).






Dublin, Trinity College, myself april 1978
(Hum! photos avec appareil jetable)
devant la sculpture de Henry Moore 

 

(J'y faisais un stage d'anglais de deux semaines, c'était notre première séparation, un an après notre rencontre, tu m'appelais tous les soirs et chaque soir on se jurait que jamais plus on ne se quitteraient).

 

mardi 5 juin 2018

"Ce qui me grisa lorsque je rentrai à Paris, en septembre 1929, ce fut d'abord ma liberté." (Simone de Beauvoir)

Samedi 26 mai 2018 

Je venais de sortir de ma bibliothèque, pour une re-relecture, un livre que j'avais aimé et que je t'avais offert, maman, pour une Fête des mères. C'est ton exemplaire que j'ai dans ma bibliothèque; je l'ouvre parfois et je lis quelques pages, au hasard; cette fois je décide de refaire une lecture complète, enthousiasmée par les premières pages. Et quelle surprise de trouver à l'intérieur une petite carte qui devait te servir de marque-page, où était écrit : Avec toi aujourd'hui. J'aurais pu rajouter : et éternellement. Ce petit carton m'a émue; il devait accompagner un bouquet de pivoines que je te faisais livrer.Tu aurais été émue, sûrement, de me voir nettoyer ta (votre) tombe ce samedi (avec une jambe raide, pfff!), - veille de la Fête des mères et jour anniversaire de ta disparition, mon aimé - et y déposer une plante.
Il est probable que tu fus moins captivée que moi en lisant cet ouvrage, mais je sais que tu l'as lu, qu'il t'avait intéressée, on en avait parlé longuement. Moi, j'étais déjà imprégnée de l'auteur, de sa vie, avec les Mémoires d'une jeune fille rangée. Je vivais à Paris et je connaissais le Quartier Latin comme ma poche. Je le fréquentais, je me reconnaissais en elle, je l'aimais. J'étais une jeune fille rangée qui aspirait à la liberté, à une vie libre.


La Force de l’âge, publié en 1960, est le deuxième tome de l’œuvre autobiographique écrite par Simone de Beauvoir, précédé des Mémoires d'une jeune fille rangée (1958) et suivi de La Force des choses (1963) et de Tout compte fait (1972). On peut aussi inclure dans cette œuvre autobiographique le récit de 1964 : Une mort très douce.
Ce tome traite de la période de sa vie s'étendant de 1929, de sa réussite à l'agrégation préparée avec Jean-Paul Sartre, à la Libération de Paris en août 1944.
(Source Wikipédia)



" Nous ignorions sur tous les plans le poids de la réalité. Nous nous targuions d'une radicale liberté. Ce mot, nous y avons cru si longtemps et avec tant de ténacité qu'il me faut regarder de près ce que nous mettions dessus.
[...] Le donné nous est apparu comme la matière de nos efforts et non comme leur conditionnement : nous pensions ne dépendre de rien. De même que notre aveuglement politique, cet orgueil spiritualiste s'explique d'abord par la violence de nos projets. Écrire, créer : on n'oserait guère risquer cette aventure si l'on n'imaginait pas être maître absolu de soi, de ses fins de ses moyens. Notre audace était inséparable des illusions qui la soutenaient [...].
Nous allions notre chemin sans contrainte, sans entrave, sans gêne, sans peur; mais comment n'achoppions-nous pas du moins à des barrières? Car enfin, nous avions les poches très plates; je gagnais chichement ma vie, Sartre écornait un petit héritage qu'il tenait de sa grand-mère paternelle : les magasins regorgeaient d'objets défendus; les endroits de luxe nous étaient fermés. [...] Nous n'étions pas des ascètes, loin de là; mais aujourd'hui, comme autrefois - et Sartre me ressemblait - seules les choses qui m'étaient accessibles, et celles surtout que je touchais, pesaient leur poids de réalité; je me donnais si entièrement à mes désirs, à mes plaisirs, qu'il ne me restait rien de moi à gaspiller en vaines envies. Pourquoi aurions-nous regretté de ne pas rouler en auto alors que le long du canal Saint-Martin ou sur les quais de Bercy nous faisions à pied tant de découvertes? Quand nous mangions dans ma chambre du foie gras Marie, quand nous dînions à la brasserie Demory dont Sartre aimait la lourde odeur de bière et de choucroute, nous ne nous sentions privés de rien. Le soir au Falstaff, au College Inn, nous buvions avec éclectisme des bronx, des side-car, des baccardi, des alexandra, des martini; j'avais un faible pour les cocktails à l'hydromel des Vikings, pour les cocktails à l'abricot qui étaient la spécialité du Bec de Gaz, rue Montparnasse : qu'est-ce que le bar du Ritz; aurait pu nous offrir de plus? Nous avions nos fêtes. Un soir aux Vikings, je mangeai une poule aux airelles tandis que dans une tribune un orchestre jouait l'air à la mode : Pagan love song. Je savais que ce festin ne m'aurait pas éblouie s'il n'eût été exceptionnel. La modestie même de nos ressources servait mon bonheur.
Aussi bien n'est-ce pas une immédiate jouissance qu'on cherche dans les objets de prix : ils servent de médiation avec autrui; leur prestige est conféré par des tiers prestigieux. [...] les habitués des palaces, les hommes à Hispano, les femmes à vison, les ducs, les millionnaires ne nous en imposaient pas; [...] J'éprouvais à leur égard une ironique pitié; coupés de la masse, confinés dans leur luxe et dans leurs snobismes, je me disais, quand je passais devant les portes infranchissables du Fouquet's ou du Maxim's, que les exclus c'étaient eux.  En général, ils n'existaient pas pour moi; leurs privilèges, leurs raffinements ne me manquaient pas plus qu'aux Grecs du Ve siècle le cinéma et la radio. Évidemment, le mur d'argent faisait échec à notre curiosité; mais nous ne nous en irritions pas parce que nous pensions que les gens huppés n'avaient rien à nous apprendre; leurs cérémonieuses dissipations ne couvraient que du vide.
Rien donc ne nous limitait, rien ne nous définissait, rien ne nous assujettissait; nos liens avec le monde, c'est nous qui les créions; la liberté était notre substance même."
Pages 19 - 20 - 21 - 22.


Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir
Coll. part. Archives Éditions Gallimard

Lundi 4 juin 2018 

Et me voilà donc replongée depuis dix jours dans La Force de l'âge, une lecture qui me passionne à nouveau tant elle ravive de souvenirs de ma jeunesse estudiantine parisienne, même si "Ce tome traite de la période de sa vie s'étendant de 1929 à 1944", je revis la mienne à l'époque où je lisais ce livre (deux ou trois ans avant mai 68), avec un peu de nostalgie mais avec une méga jubilation. C'est bien plus tard (trop tard) que je t'ai rencontré mon Amour, j'étais un peu assagie mais toujours rebelle et libre. Tu m'as légèrement embourgeoisée - avec tes goûts de luxe -, le comble pour un artiste-peintre fauché. En fait, la bohème c'était moi !

Et, 300 pages plus loin...
 

"Nous en avions fini avec la province; voilà qu'enfin nous vivions tous deux à Paris : plus de voyages en train, plus d'attente dans les gares. Nous nous installâmes dans un hôtel, beaucoup plus plaisant que le Royal Bretagne, que Sartre avait découvert pendant ma convalescence en Provence.




Hôtel Royal Bretagne
Photo, Le Paris de Beauvoir de Barbara Klaw, éditions Syllepse.


Il était situé entre l'avenue du Maine et le cimetière Montparnasse : j'avais un divan, des rayonnages et un bureau très commode pour travailler.



Hôtel Mistral
(Cliquer sur les images puis sur afficher pour lire)




Je pris de nouvelles habitudes; le matin, je buvais un café, je mangeais des croissants sur le zinc d'une brasserie bruyante et rougeoyante, Les Trois Mousquetaires. Je travaillais souvent chez moi. Sartre habitait à l'étage au-dessus. Nous avions ainsi tous les avantages d'une vie commune, et aucun des inconvénients.

Qu'allais-je écrire, maintenant que j'avais achevé mes nouvelles? Certains thèmes rôdaient dans ma tête depuis longtemps mais je ne savais pas comment les aborder. Un soir, peu après la rentrée, j'étais assise avec Sartre au fond du Dôme; nous parlâmes de mon travail, et il me reprocha ma timidité. [...] "Enfin ! pourquoi ne vous mettez-vous pas en personne dans ce que vous écrivez ? me dit-il avec une soudaine véhémence. Vous êtes plus intéressante que toutes ces Renée, ces Lisa..." Le sang me monta aux joues; il faisait chaud, il y avait comme d'habitude beaucoup de fumée et de bruit autour de nous, et j'eus l'impression de recevoir un grand coup sur la tête. "Je n'oserai jamais !" dis-je. me jeter toute crue dans un livre, ne plus prendre de distance, me compromettre : non, cette idée m'effrayait. "Osez", me disait Sartre. Il me pressait : j'avais mes manières à moi de sentir, de réagir, et c'était tout ça que je devais exprimer. Comme chaque fois qu'il se donnait à un projet, ses mots faisaient lever en foule des possibilités, des espoirs; mais j'avais peur. De quoi au juste?  Il me semblait que du jour où je la nourrirais de ma propre substance la littérature deviendrait quelque chose d'aussi grave que le bonheur et la mort."

Pages 323 -324.

Simone de Beauvoir, in La force de l'âge, éditions Gallimard, 1960.

Nota Bene : Simone de Beauvoir entre, enfin, à la Pléiade.

Mardi 5 juin

Tenir le coup, vivre avec ses douleurs physiques, ne pas rester assise trop longtemps, prendre des antalgiques, des anti inflammatoires pour pouvoir marcher, continuer de se révolter, contre tout ! ça donne de l'énergie. Mourir cela n'est rien mais vieillir...Je me disais tout cela ce matin en prenant mon petit déjeuner. Mon genou me jouait un sale tour et avait doublé de volume il y a dix jours; épanchement m'a-t-elle dit, rien d'autre, pas de prescription spéciale à part les antalgiques "je ne vous donne pas d'anti inflammatoires, si dans trois semaines vous avez toujours mal, je vous prescrirais de la cortisone. Ben voyons. Démerde-toi (pardon maman chérie de dire des gros mots) toute seule avec tes douleurs. De toute façon, ce sera ça ton avenir : après les coudes, les genoux, et sans doute plus tard l'épaule, les pieds. Ce matin, je n'ai pas lésiné pour avaler antalgique et anti inflammatoire (ils sont en vente libre) et allons-y gaiement... au golf. Je décidais de faire un test : 3? 6? 9? trous. Je mis ma genouillère et déjà en descendant les escaliers je savais que ce serait plutôt 6 que 9, voire 3. Elle me compressait trop derrière le genou, là où l'enflure me faisait mal. Zut, j'avais du mal à marcher... jusqu'au parking. Shit ! Je "verrouillais" pourtant la jambe mais la douleur était là.  J'arrivais au golf, sortais mon matériel, me dirigeais vers le départ. J'avais trop mal. Je m'arrêtais à l'accueil et j'allais aux toilettes pour retirer ma genouillère. Soulagement. Je marchais mieux. Youpi ! Quelques mouvements, étirements des bras et hop ! c'est parti. Au 3 je ne sentais plus de douleur, les médicaments faisaient de l'effet. Je savais que ça n'était pas la solution, je savais, je le savais, je m'en fichais, je n'avais plus mal et je jouais pas mal. L'herbe était mouillée, les fairways n'étaient pas tondus, les greens étaient lents, je m'en fo fichais, j'étais là, je pouvais donc encore marcher un peu, je pouvais jouer au golf, je n'étais pas foutue. Je n'avais pas les idées roses mais, elles étaient déjà un peu moins noires que ces derniers jours. Et j'ai fait 9 trous +3 ! (Mais c'est un très petit parcours de golf). Je ne pense pas que ma nuit sera calme...

"J'ai envie de bouger et je crois aux vertus de la mobilité. Quand on est immobile on devient très fragile. C'est fatigant, mais c'est passionnant. [...] Je ne serai jamais un adulte. J'aime bien les hommes qui disent des bêtises. Un adulte c'est un homme qui marche et un jour il se pose le cul et il croit qu'il continue de marcher. [...] Dès qu'on est assis on commence à s'occuper beaucoup de son fauteuil. "
Jacques Brel (la suite dans la vidéo, c'est épatant).