dimanche 28 juillet 2019

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" La vie n'est supportable que si on ne va pas jusqu'au bout "
Mais :
"Se débarrasser de la vie, c'est se priver du bonheur de s'en moquer."

Emil Cioran

dimanche 14 juillet 2019

Est-on en France voué à mourir seul

Journal

Juin

Récapitulatif.
Semaines remplies de rendez-vous médicaux, divers spécialistes : urgentiste, généraliste, dentiste, kinésithérapistepeute.
Les journées sans rendez-vous : migraine. 
Les journées avec et sans rendez-vous : douleurs. Assommée d'antalgiques. 
Une oreille bouchée avec hyperacousie, allez comprendre, l'autre oreille baisse brutale d'audition.
Le golf, oublié !

Juillet

Rendez-vous urgent avec l'ORL, l'associé de mon ORL adoré, ce dernier décédé en décembre, à 63 ans (sale crabe), pas pu en parler, trop touchée. Associé, épatant aussi.
Migraines migraines.
Dentiste, ophtalmologiste (il s'est écrié : MAGNIFIQUE, quand il a vu que ma pression oculaire était passée en trois mois de 27 à 16 avec son traitement), kiné.
Chirurgien orthopédiste, radiologues... (je fais aussi une cure des Radioscopies de Jacques Chancel et ça, c'est un régal).
C'est pas une vie de passer son temps dans les salles d'attente. J'en ai assez. Plus envie de me faire soigner. Je veux pouvoir marcher sans douleurs. Hyperacousie : le bruit me fait mal, peux plus aller au cinéma, son trop fort.

Lors de ma dernière visite, récente évidemment (tsss !), chez ma généraliste, en fin de consultation elle me demande si j'ai lu le Journal d'Irlande de Benoîte Groult qu'elle était en train de lire. - Oui, formidable, quelle femme ! lui dis-je. Et comme elle connaît mon sujet de prédilection, je lui en parle souvent, sans tabou, je lui demande si elle a lu La touche étoile. - Non me dit-elle. Mais elle connaissait le sujet et je lui dis : elle a attendu trop tard, mais moi, je n'attendrai pas.
En rentrant chez moi, je l'ai sorti de ma bibliothèque, pour le relire. Il n'a pas pris une ride - si j'ose dire, ce n'est pas comme moi - en douze ans, et malheureusement rien n'a changé concernant cette ultime liberté.

"Je veux m'en aller, ma hotte lourde de souvenirs et les yeux pleins de la fierté d'avoir vécu vivante jusqu'au bout. M'en aller à mon heure à moi, qui ne sera pas forcément celle des médecins, ni celle autorisée par le pape, encore moins la mort au ralenti proposée par Marie de Henezel, avec son plateau de soins palliatifs en devanture et son sourire crémeux.
[...]
[...]
Ne pouvant me satisfaire des baisers des autres et des trop rares couvreurs qui se donnent en spectacle, ayant perdu presque tous mes plaisirs et presque tous les amis de mon âge, ayant écrit mon dernier livre, je ne vois pas pourquoi j'attendrais passivement le dernier coup du sort. Mais comment abréger mes jours, au cas où j'aurais la chance d'entendre grincer à temps la charrette de l'Ankou [qui annonce la mort chez les Bretons, N.D.L.R], conduite par son charretier funèbre qui a toujours pour moi le visage de Jouvet ?
En Suisse, en Belgique, en Hollande, on admet "l'aide à mourir". J'avais vu Exit à la télévision et suivi la mort douce et choisie d'un homme malade, dans les bras de sa femme. Et l'admirable Mar adentro, un film sur la joie de vivre et le courage de mourir.
La France n'est plus le pays des libertés. Nos députés viennent d'inventer l'hypocrite "laisser-mourir", formule affreuse bien dans la lignée du "laissez-les vivre", les deux slogans ayant en commun le même mépris de la volonté des intéressés.
[...]
Comment accéder à l'euthanasie, ce beau mot grec qui signifie tout simplement ce que tout le monde souhaite : "une belle mort" ?
Quand un philosophe est contraint de se défenestrer pour échapper à sa maladie incurable [Gilles Deleuze, N.D.L.R.], quand une femme âgée en est réduite à s'avancer dans l'eau glacée d'un étang jusqu'à s'y engloutir, afin d'échapper à ses poursuivants qui l'avaient déjà réanimée de force à deux reprises, qu'est-ce d'autre qu'un refus d'assistance? que le non-respect d'une personne ? Qu'est-ce d'autre qu'une mort dans la cruauté, sans l'aide d'une main secourable ? Pour ne pas laisser condamner le médecin qui vous aide, ou le proche qui vous tend la main, est-on voué en France à mourir seul ?
[...]
J'ai besoin de conseils éclairés et j'ai cru devoir consulter les spécialistes de la vie, donc de la mort. [...] Tous ont fait resurgir du fond de ma mémoire des impressions enfouies depuis plus de cinquante ans ! L'humiliation, l'impression d'être coupable, le ton paternaliste masquant mal une totale indifférence, le même blindage idéologique que pour l'avortement avant la Loi Veil. Et pour couronner le tout, l'alibi de la foi chrétienne chez des gens qui ne vont même pas à la messe.
Or quand un être n'a plus d'Espérance, c'est de Charité qu'il a besoin, non de Foi.
Réclamant le droit de choisir ma mort comme j'avais réclamé autrefois celui de donner ou non la vie, voilà que je me retrouvais dans la même position de quémandeuse devant la même nomenklatura ! Voilà qu'on me parlait comme à une petite fille alors que j'avais le double de l'âge de tous ces médecins et n'étais coupable que d'avoir trop vieilli à mon goût ! Ma vie n'était donc plus à moi ?

Pages  276 - 278 - 279 - 280 - 281

Benoîte Groult, in La touche étoile, éditions Grasset & Fasquelle, 2006.

lundi 1 juillet 2019

L'absence de fraternité dans le couple



Radioscopie : Jacques Chancel, Romain Gary, 1975. (Extrait)


J.C. Lorsque vous avez quitté Jean Seberg, ç’a été un déchirement ou ç’a été une décision logique ?


R. G. Bien sûr, ç’a été les deux. Ç’a été un déchirement pour tous les deux, je crois, ç’a été certainement un déchirement pour moi ; nous avons eu – et elle l’a dit de son côté – neuf ans de bonheur, et vous savez, un homme marié avec une vedette de cinéma, un homme par-dessus le marché de 24 ans plus âgé qu’elle, neuf ans de bonheur c’était parfait, mais nous avons constaté tous les deux que ça tendait à se déglinguer, qu’il y avait des compromis, des facilités. Nous avons divorcés, ç'a été néanmoins pour moi un grand déchirement.


J.C. C’est toujours pour vous l’écueil, cette différence qu’il peut y avoir entre un homme et une femme, sur le plan de l’âge ?


R.G. Je ne crois pas, voyez-vous c’est une question dont on pourrait parler pendant des heures. La grande différence sur le plan de l’âge entre un homme et une femme n’est, la plupart du temps, pas de l’ordre sexuel – sauf peut-être des cas que je ne connais pas spécifiquement. Mais ce qu’il y a, c’est que là où le drame est profond – là je mets sérieusement en garde les personnes jeunes qui veulent épouser des hommes plus âgés – c’est que, il y a une certaine lassitude en ce qu’on connaît déjà et qu’on a beaucoup de peine à vivre une deuxième… on s’est déjà tapé le monde. Vous avez 50 ans, vous vivez avec une jeune femme de 22 ans 23 ans. Vous, vous vous êtes déjà tapé le monde plusieurs fois. De tous les côtés. Vous vous êtes fait, vous avez vécu beaucoup beaucoup. Vous vous trouvez accompagné d’un être jeune, qui commence, qui a envie de commencer ce rapport avec le monde,  et là c’est extrêmement difficile. Parce que vous voyez cette jeune femme – ou ce jeune homme, mais c’est surtout en général une jeune femme car ce sont plutôt les hommes plus âgés qui épousent une femme plus jeune – vous la voyez faire les mêmes erreurs, vouloir faire les mêmes erreurs que vous avez faites. Elle n’écoutera pas vos conseils. Et plus vous lui donnerez de conseils et plus vous prendrez l’air de papa sage qui est très mauvais pour les rapports. Plus vous la mettez en garde et plus vous commencez à transformer vos rapports homme/femme en rapport fille/père.

Et tout cela fait, qu’au bout d’un certain temps, bon on s’est trouvé entre, un mari et une femme et on finit par se trouver entre, un père et une fille et ce n’est pas la situation idéale, la plupart du temps, pour un couple.


J.C. Je crois qu’on peut parler de toutes ces choses simplement. Parfois les hommes et les femmes évitent ce genre de discussion, ils ne veulent pas parler de ce qui touche leur cœur.


R.G. Ah ! Écoutez Jacques Chancel, pour moi c’est un des thèmes du roman Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, que j’ai publié. Le point que vous soulevez est un drame de communication des couples, mais pour quelle raison ?

Parce que, même au plus profond de l’amour, l’homme et la femme n’ont pas de fraternité. Le drame des hommes et  des femmes, en dehors des situations d’amour, en dehors des situations d’attachement profond, est une sorte d’absence de fraternité, qui fait que, parler sur ce qu’il y a de profond, de dangereux, de menaçant leur est totalement impossible, et vous avez des couples qui finissent une vie sans avoir parlé de ce qui les sépare, de ce qui aurait pu leur être épargné par des conversations.

Là, la psychanalyse peut jouer un rôle pour les individus mais c’est absurde. C’est absurde parce que, très souvent, ces problèmes ne sont même pas d’ordre psychanalytique profond, ils sont simplement dus à  des siècles et des siècles de préjugés, qui font que l’homme doit conserver son image virile et supérieure, la femme doit conserver son image féminine, douce  et soumise, et que finalement cette égalité, cette égalité dans l’explication franche, ouverte, libre – y compris de problèmes sexuels – leur est un tabou.

Et, cette absence de communication est peut-être ce que j’appelle en réalité : l’absence de fraternité entre les hommes et les femmes, est un des grands drames du couple.
"Si je t'aime comme femme c'est aussi parce que je t'aime comme homme." 
A relire cette lettre de Romain Gary à Chrystel Kriland en 1938.

"Un combattant déterminé... des libertés conquises"

 Sir Elton John, à Montreux

Source Le Temps.ch , Arnaud Robert.