mardi 31 janvier 2012

Journal

Ne pas écrire au jour le jour oblige à un petit exercice de mémoire. Une chose est sûre, je sais que je pense tous les jours à elle.

Mardi 24 janvier.


Matin : j'assiste à la remise au columbarium de l'urne d'un ancien voisin à la campagne. La messe d'enterrement a eu lieu la veille dans une ville trop éloignée pour que je m'y rende. Tant mieux. Je déteste les messes d'enterrement. Elles me font pleurer, tout comme les messes de mariage.
Je n'étais pas retournée dans ce village où j'ai vécu quatorze ans, depuis que j'ai déménagé il y a plus de trois ans. Dans la grisaille et l'humidité, les chemins boueux, bouseux, je n'ai éprouvé aucune nostalgie de l'avoir quitté; bien au contraire. Au columbarium, quelques amis de "la veuve" soulagée, mais il ne faut pas le dire, car son défunt mari était déjà depuis bien longtemps dans un autre monde... Quoi qu'il en soit, le manque se fera sentir... plus tard.
Je me demandais ce que je faisais là; enfin si, j'étais là pour elle.
Ensuite nous sommes allées - elle, sa soeur, une de ses filles et moi - prendre un café dans le bistrot du coin. Il était 11 heures.  Un de ces bistrots de village où deux ou trois hommes sont au comptoir devant un verre de blanc ou de rouge ou de bière à n'importe quelle heure. Personne d'autre dans cette salle froide. Nous nous sommes attablées et avons pris un café.
Je me demandais ce que je faisais là; enfin si, j'étais là pour elle. Pas pour lui, le défunt, qui m'avait traité de "parisienne" sur un ton de mépris lorsque je m'étais plainte des aboiements continus de son chien, attaché près de sa niche du côté de mon jardin. "Quand on n'aime pas les chiens on ne s'installe pas à la campagne m'avait-il vociféré ". Je lui avais rétorqué : "quand on aime les chiens on ne les laisse pas attachés toute la journée et toutes les nuits à une chaîne par n'importe quel temps." Heureusement, le chien est mort avant lui. J'aime les animaux... en liberté.
Cette matinée était glauque.

Après-midi : mais qu'ai-je donc fait? Je ne sais plus. Ah si! En revenant en ville, après le columbarium, je me suis sentie revivre. J'ai laissé ma voiture sur mon parking et je suis allée à pied déjeuner dans une brasserie. Me suis régalée avec des lasagnes fondantes. La vie était là, dans ce lieu bruyant. C'est la première fois que je venais dans cette brasserie. J'étais au deuxième étage, c'était plein... de gens qui travaillent et font la pause-déjeuner. Il y avait une bibliothèque, je suis allée voir ce qu'elle contenait : de très vieux livres, magnifiques, remplis de poussière, essentiellement religieux. C'était étrange, incongru dans ce restaurant. J'en fait part au garçon qui me dit : "ah bon, religieux? Je n'ai jamais regardé ces livres."

Mercredi 25 janvier.
Mais qu'ai-je donc fait? Me rappelle plus.

Jeudi 26 janvier.
Matin : prises de sang. A jeun, hagarde, pas maquillée, pas coiffée, dans la salle d'attente ces néons au plafond ne me font pas de cadeau. Je dois avoir l'air livide.
Après-midi : golf. J'ai bien joué.

Vendredi 27 janvier.
Tous mes matins se ressemblent (sauf prises de sang).
Après-midi : je me secoue pour ne pas rester enfermée. Balade en ville, sans but.  Je rentre dans une pâtisserie, Chez Philomène, je choisis trois petits macarons et je prends un café dans le salon de thé. Un couple arrive avec des bagages. Ils choisissent deux gâteaux et commandent deux cafés décaféinés. Lui est excentrique, parle fort, joyeusement, il demande s'ils ont des sucrettes; ils n'en ont pas. Il ressort et va à la pharmacie à quelques mètres et revient avec des sucrettes. Il parle toujours fort en faisant de grands gestes, en souriant, il me regarde, attend que je sourie sans doute. Il porte une casquette en tweed, un pull à col roulé en shetland, une veste en velours à grosses côtes, un pantalon en tweed, style très British; il a des lunettes à montures rouges. Il est assez élégant, il a envie qu'on l'entende, qu'on le regarde; ça manque d'élégance; sa femme est plongée dans la lecture d'un journal. Je la comprends. Je le comprends aussi. Il s'emm... ensembles.

Samedi 28 janvier.
Matin : rien, comme d'habitude, je ne fais rien.
Après-midi : médiathèque. Emprunté deux DVD : Un film, M/OTHER et un documentaire sur Virginia Woolf.
Soirée : regardé M/OTHER, film japonais de Suwa Nobuhiro. Beau film.

Dimanche 29 janvier.
Matin : j'écoute de la musique, en rêvassant.
Après-midi : ciné. Film : Les Acacias.  Merveilleux.
Soirée : lecture.

Lundi 30 janvier.
Matin : prises de sang, rebelote... au petit matin blême.
Après-midi : j'ai cuisiné! Puis j'ai fait des recherches en fin d'après-midi sur ta famille ; je voulais avoir des nouvelles de ton frère, je n'avais plus leurs coordonnées. Je n'ai plus eu de leurs nouvelles depuis 1991.
Soirée : Virginia Woolf le documentaire. Ennuyeux, mieux vaut lire ses oeuvres.

Mardi 31 janvier.
Matin : petit tour sur la Toile.
Après-midi : courses, le plein. En fin d'après-midi reçu un mail  qui a chamboulé mon quotidien. Des nouvelles de ta famille avec laquelle je n'ai jamais eu beaucoup de relations. J'apprends le décès de ton frère; il est mort en 2005 et je ne l'ai pas su. Ça me bouleverse. Je ne l'avais vu que deux fois dont une quand tu étais hospitalisé. Il ne te ressemblait pas vraiment physiquement mais il était souriant et d'une grande gentillesse. Un échange de mails, de photos a suivi cette nouvelle qui m'a attristée et perturbée. Sa femme, ma belle-soeur donc, m'envoie des photos de leur fils, je l'avais vu en photo vers l'âge de 10 ans, il en a 37. J'ai cru défaillir en voyant sa photo : c'est ton clone mon Aimé. Ils ont un petit garçon. La descendance patronymique est assurée!
Ce soir coup de fil de sa mère, ma belle-soeur (c'est étrange de dire ma belle-soeur, je la connais à peine) qui me dit :
- Y. a pleuré au téléphone quand je lui ai dit que tu m'avais envoyé un mail avec des photos. Il a toujours admiré son oncle. Il veut te voir. Quand tu le verras - car tu viendras nous voir - tu auras un choc.
- Pourquoi lui dis-je?
- Parce que c'est ** craché.
- Oui, je l'ai vu tout de suite sur les photos.

Ce soir c'est un peu ma vie qui est chamboulée. On est restée une heure au téléphone. Elle m'a parlé de la famille qui vit en S., elle est restée en contact avec eux et va régulièrement à G. Je voudrais aussi prendre contact avec eux.
Cette recherche que j'ai faite hier j'y pensais depuis mon déménagement. C'est étrange ce besoin, en vieillissant, de vouloir savoir ce que deviennent... ceux que vous avez perdu de vue; prendre de leurs nouvelles avant qu'il ne soit trop tard. J'ai trop tardé pour ton frère. Il est mort à 57 ans, tu en avais 47. Je suis sûre que ça te ferait plaisir que je prenne des nouvelles de ta famille; tu m'en as si peu parlé, je sais si peu de choses de toi. Je ne te posais pas de questions. Pourtant j'ai vécu 10 ans avec toi.

dimanche 29 janvier 2012

Vivaldi. A l'heure de la messe...

... souvent j'écoute de la musique sacrée.





Ensemble vocal et instrumental de Lausanne
Orchestre de Chambre de Lausanne
Dirigé par Michel Corboz 

"Le Dixit Dominus RV 594 fait partie des manuscrits du fonds Giordano à la Bibliothèque Nationale de Turin. Il y est précédé par une Introductione en forme de motet pour soprano et orchestre (deux arias séparées par un récitatif) dont la musique est identique à celle du motet Canta in prato RV 623.
En se reportant à ce motet on comprendra que le psaume a dû être écrit pour les Vêpres solennelles d'un saint, probablement un fondateur d'ordre religieux (beate Pater) particulièrement vénéré à la basilique Saint-Marc de Venise.
[...]
L'affirmation du serment divin Juravit dominus est confié au double choeur adagio parfaitement homophone, dont le recueillement semble peindre la durée éternelle du serment."

 (S'il y a un problème pour l'écoute, cliquer sur login si le mot apparaît dans la petite case ).

vendredi 27 janvier 2012

Photos du jour

La "Chromatic Fantaisy" de Glenn Gould peut agrémenter ces images... 

 Sur ma terrasse ce midi. Étrange en cette saison alors que la température était de 3°.
Il était bien vivant, il s'est envolé.

Celui-ci je l'ai photographié le 6 novembre 2006 dans mon jardin.
Je vivais à la campagne.

Vanessa atalanta (Le vulcain) :

Famille des Nymphalidae, Sous-famille des Nymphalinae
Envergure : 5,6-6,2 cm.
Description : noir avec des bandes rouge orange et des taches blanches. Dessous brun avec des taches noires et bleues. Sexes semblables.
Habitat : partout où il y a des fleurs, surtout dans les jardins. Il est attiré par les fruits pourris.
Période de vol : d'avril à juillet.
Phase d'hibernation : adulte
La chenille est noire avec une rangée d'épines dorsales ainsi que des taches jaunes sur les flancs. Elle se nourrit d'orties (Urtica).

Après-midi.
Balade en ville : vitrines.






Puis...

... le ciel à 18 h ce jour.

La comédie du bonheur. Open stress...

... ou le monde merveilleux de l'open space!



Aujourd'hui, ne te plains pas si tu as du boulot : "Sois cool et tais-toi!"

Écouter ici (28 minutes) un témoignage, édifiant!

"Alexandre et Thomas, sont deux jeunes consultants dynamiques. Après avoir joué pendant neuf ans « La comédie du bonheur », ils ont ôté le masque et racontent les désillusions et les souffrances du monde merveilleux de l'open-space."

mercredi 25 janvier 2012

"La Veuve" : A Widow's Story


President Barack Obama presents a 2010 National Humanities Medal to author Joyce Carol Oates, Wednesday, March 2, 2011, during a ceremony in the East Room of the White House in Washington. (AP Photo/Pablo Martinez Monsivais)

La réserve

Lorazepam – 43 comprimés de 1 mg – « contre l’angoisse »
Methocarbamol – 67 gélules de 2 mg – « contre les douleurs musculaires »
Citalopram – 29 comprimés de 40 mg – « contre la dépression, l’angoisse »
Vicodin Es – 29 comprimés de 30 mg – « contre la douleur »
Propoxy – 30 comprimés de 30 mg – « contre la dépression, l’angoisse »
Lunesta – 18 gélules de 3 mg – « contre l’insomnie »
Ambien – 30 gélules de 10 mg – « contre l’insomnie »
Quinidine – cinq comprimés de 200 mg – « contre les palpitations »
Tylenol P.M.
Benadryl
Bufferin
Advil
Melatonine

La réserve de médicaments de la veuve, étalée sur un plan de travail, accumulée au fil des ans au gré des ordonnances. Tous les foyers américains doivent avoir un arsenal identique, caché au fond d’armoires à pharmacie, de tiroirs, sur des étagères. Le plus ancien des médicaments, prescrit par un médecin de Princeton depuis longtemps à la retraite, date de 1989. (Est-il encore efficace ? Combien faudrait-il en avaler pour que le cœur s’arrête pour de bon ?) Les anti-douleurs sont plus récents, les anxiolytiques, antidépresseurs, anti-insomnies, plus récents encore, et tous miens.
S’il en reste autant, c’est que très peu ont été pris comme ils avaient été prescrits. Un unique comprimé de Vicodin, et vous avez l’impression qu’on vous a donné un coup de massue sur la tête – qui oserait en prendre un second ?
J’hérite donc d’un rosaire de comprimés. Une seule dizaine des grains de ce rosaire, et le sujet aura disparu. Les souffrances de la veuve auront disparu.
Un sommeil si profond que même les petits yeux morts pareils à des pierres précieuses auront disparu.
Sans cela, la veuve VEILLE. Un état de VEILLE pareil à un feu roulant dans le crâne de la veuve. ÉVEILLÉE tout au long des interminables heures de la nuit, en sueur, franchement effrayée – comme l’est un enfant – j’essaie de ne pas penser au reste de ma vie.
Je calcule le temps qu’il me faudra pour tenir dans ces limbes posthumes – dix ans ? Quinze ? Vingt ?
Tu as ton écriture, Joyce. Tu as tes amis. Et tes étudiants.
Ces remarques sonnent presque comme des moqueries. Mais bien entendu personne ne se moque.
Ray n’aimerait pas te voir ainsi, tu le sais. Ray aimerait…
Mais j’en veux à Ray ! Si Ray apparaissait sur le seuil de cette chambre, je ne lui adresserais pas la parole.
C’est sa faute ! C’est par imprudence qu’il a attrapé une pneumonie, par imprudence qu’il est mort. Il m’a abandonnée.

La vérité, c’est que c’est moi – l’épouse, la veuve - qui ai abandonné mon mari.
[…]

« Je peux être forte. Je peux arrêter. »
Et donc ce soir je ne prendrai pas d’autre comprimé. Pas même un demi-comprimé. Fini cet abominable Lorazepram qui me laisse un goût de craie dans la bouche et me met les larmes aux yeux. Je suis pelotonnée dans mon nid, chaussettes en laine aux pieds, peignoir de flanelle par-dessus ma chemise de nuit, car je grelotte et transpire à la fois, la nuque poissée de sueur ; […]
[…]
[…]
C’est peut-être un symptôme de manque – cette incapacité à sortir du lit le matin. (Le concept même de « matin » se modifie quand on est déprimé – le « matin » devient une notion élastique, comme « middle age » - l’ « entre-deux-âges ».) L’impression que mes bras, jambes, tête sont lourds comme du ciment. Respirer est un effort – et quel effort absurde ! Inutile d’aller rouler un rocher au sommet d’une colline comme le Sisyphe de Camus, n’est-il pas déjà assez absurde de respirer ?
Qu’il est facile d’allumer la télévision ! De passer de chaîne en chaîne, sans s’arrêter sur aucune plus de quelques secondes.
[…]
Je me définirais publiquement comme quelqu’un qui lit et qui ne regarde pas la télévision, et pourtant, il est vrai que j’ai pris l’habitude de la regarder la nuit – de zapper dans une sorte de mouvement perpétuel – un horrible ruban de Möbius de l’âme. […]… vous imagineriez l’insomnie enrichissante, productive ; à la façon dont certains d’entre nous ont le fantasme de « jours de maladie » où ils pourraient se livrer à une orgie de lecture, toute la Recherche du temps perdu, par exemple, dans sa nouvelle traduction ; ou (re)lire tout Jane Austen, la plus délicieuse des évasions ; ou mieux encore, prendre des notes pour un nouveau projet, ou « se mettre à jour » de sa correspondance. Puis quand vous êtes finalement malade et que vous devez garder le lit, vraiment malade, une grippe disons, vous êtes si terriblement faible, si indiscutablement malade que c’est à peine si vous pouvez redresser la tête ou même l’appuyer contre un oreiller. Lire – si longtemps imaginé comme une récompense bien méritée – est hors de question, aussi inenvisageable que de sauter à bas de son lit et de danser ou de courir à l’autre bout de la maison.
C’est ce qui s’est passé en ce qui me concerne. Malgré mes bonnes intentions, je me désintéresse très vite de la relecture de La Montagne magique, et plus vite encore de Guerre et PaixAuto-da-fé d’Elias Canetti, que je voulais lire depuis des années, depuis que Susan Sontag me l’avait recommandé avec passion, se révèle terriblement obscur et ennuyeux ; quelques pages du livre d’un ami philosophe sur Wittgenstein, livre qu’il m’a dédicacé il y a quelques années, sont tout ce que je parviens à lire. Quant à Don Quichotte et aux Frères Karamazov – ces grandes œuvres que j’avais lues à l’adolescence me passent maintenant au-dessus comme de monumentales formations nuageuses, totalement inaccessibles.
La télécommande, elle, dans le désordre du nid, est accessible.

Pages 302 – 303 – 304 – 305 – 306, chapitre 56.

Joyce Carol Oates, in J’ai réussi à rester en vie, éditions Philippe Rey 2011. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban. Le titre original : A Widow's Story.

Au fur et à mesure que j’avance dans la lecture de cet ouvrage, je comprends pourquoi M. – à qui j’ai offert ce livre – ne l’a pas aimé. C’était une erreur de ma part de le lui offrir alors que le décès de son époux est encore si récent. Lorsque j’avais lu une des critiques de ce Récit, je pensais que Joyce Carol Oates relatait son vécu trois ans après la mort de son mari et non pas son vécu les semaines suivant ce décès. Il faut, pour pouvoir le lire avec détachement, être sortie de son propre deuil. On peut alors y trouver un certain plaisir, même si on s’y retrouve, et y mettre son propre humour, ce que je fais, je ne l'ai pas terminé. Je parviens à en rire, assez souvent, à me colleter à la dérision dont parle les critiques mais que je ne  ressens pas comme telle.

En revanche, je suis d’accord avec M. quand elle me dit que JCO a un ego surdimensionné – dans cet ouvrage ; mais, n’est-ce pas souvent le cas quand on parle de soi, avec le Je ou à la troisième personne (c’est encore pire), comme elle le fait avec son « Joyce Carol Oates », son « JCO » et « la VEUVE ». Cette expression « la Veuve » est assez exaspérante, elle revient comme une antienne ; elle en fait une généralité alors que « la veuve » reste comme n’importe quelle femme : unique, avec sa propre personnalité, même si elle est quelque temps, déboussolée. C’est aussi agaçant que de dire « les femmes »… Mais une « Veuve » qui est écrivain n’est forcément pas « la veuve Tout le monde ». Ray Smith (son mari) est mort en 2008. Joyce Carol Oates est aujourd’hui remariée. A ce sujet, une polémique avec Julian Barnes.  Je suis assez d'accord avec lui.

Je pense qu’une veuve (quel horrible mot) ne peut pas le lire avec le même détachement, la même objectivité - le même sentiment de dérision - qu’un lecteur lambda.
Une moitié d'être, c'est ce que j'étais devenue quand il a disparu, je ne le renie pas. Il faut du temps pour se reconstituer "entière". Peut-être y arrive-t-on plus facilement après 47 ans de vie commune qu'après 10 ans?

Bon, maintenant pour porter un jugement plus éclairé sur cet écrivain que l’on dit majeur – et je veux bien le croire, les critiques littéraires sont unanimes pour le dire – il me faudra lire ses romans. En attendant, je vais regarder demain soir sur la 5, l’émission de François Busnel : Carnets de route, interview de Joyce Carol Oates prévue au programme.

vendredi 20 janvier 2012

L'étreinte des vagues

L'homme et la mer

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Charles Baudelaire



Je regardais la mer, j’écoutais le ressac, le vent m’enivrait.
J'enviais ces rochers caressés par les vagues.
J’avais besoin de bras qui m'auraient engloutie.
J’avais le vague à l’âme...


Campagne électorale

Alain Duhamel interrogé il y a quelques minutes sur cette campagne d'élection présidentielle :

- A votre avis qui sera élu?
- Le plus probable c'est François Hollande. Le plus certain c'est personne (0_0)!

mercredi 18 janvier 2012

Des mots, percutants

Le 13 novembre 2009, j'écrivais ceci :

"Je n'ai pas la prétention de tenir un blog mais plutôt un succédané de Journal et je crois pouvoir dire que je ne tiendrai sûrement pas longtemps. C'est une sorte de défi que je m'étais lancé. Il fallait que je trouve une issue pour ne pas sombrer. Et puis, je n'ai aucune activité professionnelle ou artistique, seulement de longues journées à occuper. Je ne perds pas trop de temps à écrire ici, juste le temps d'un petit plaisir... pour le moment."

Janvier 2012 et j'écris toujours. Beaucoup de doutes pourtant... mais je m'accroche à cette écriture comme à une bouée de sauvetage. Et parfois ce même sentiment : écrire pour ne pas sombrer. Tout comme "rester aimante pour ne pas mourir" et ça c'est une gageure... Un pari perdu d'avance.

Aujourd'hui je me sens si fragile qu'un mot percutant suffirait pour me donner une force inouïe ou au contraire pour avoir une attaque. A mon âge, l'attaque cérébrale est plus plausible que la force énergisante. Aujourd'hui j'ai lu des mots percutants, je n'ai pas eu d'attaque, mais je suis atteinte.
Aujourd'hui j'ai lu aussi des mots réconfortants, je ne garde que ceux-là, de ma filleule, qui me parle de sa peine, de son père (mon frère disparu) qui lui manque :

"Aujourd'hui je veux vivre mon chagrin...
Alors je profite des moments ou les enfants ne me voient pas et parfois je craque.
[...]
Bref tu vois je m'épanche.... Mais je crois que j'ai besoin d'en parler avec quelqu'un... Et c'est tombé sur toi!!!! Finalement tout sauf un hasard. Tu es toujours là et tu penses à moi et à ma souffrance.... Tu es la seule à me le dire...".

Je me sens rarement utile mais quand ça arrive, je me réconcilie avec la vie et je la trouve belle comme ces oiseaux qui s'aiment... ou se chamaillent dans le ciel.

dimanche 15 janvier 2012

Allergie au manque

En arrivant je ne lui posais pas de question en voyant ses paupières gonflées... d'avoir trop pleuré. Il fallait qu'elle se justifie :
- Je ne sais pas ce que j'ai me dit-elle, je dois faire une allergie. J'ai les yeux gonflés depuis deux jours.
J'allais dans son sens :
- Tu as dû manger quelque chose qui ne te convenait pas. Ça va passer...
Je l'ai serré dans mes bras. Elle s'est mise à pleurer.
- Vas-y, pleure, c'est ton coeur qui est gonflé, il fait une allergie à son absence.
Elle s'est mouchée.
- Y a pas que ton coeur qui est gonflé lui dis-je. T'as vu ton nez? Un vrai pif de clown!
Et on a éclaté de rire. La chienne s'est mise à aboyer et à remuer la queue, puis elle est allée chercher sa carotte en caoutchouc me faisant comprendre que je ne lui avais pas encore dit bonjour et que je devais jouer avec elle. Pfff!

Le temps était glacial, le ciel couvert, un froid humide, une bise cinglante. Nous sommes allées à La Trinité-sur-Mer, avons déjeuné dans une crêperie, il y restait une table. La salle était bruyante mais vivante, nous avions besoin de ce brouhaha pour mettre un terme à nos émotions. Autour de nous, la vie.
La promenade digestive fut brève, nos oreilles étaient échauffées par le froid. Nous sommes rentrées prendre le café près de sa cheminée.

Je la quittais à 18 heures pour ne pas conduire la nuit. Le brouillard était dense et je roulais prudemment. Je pensais que je n'avais sûrement pas trouvé les mots pour la réconforter. Elle m'a prêté le livre que je lui avais offert il y a deux mois; elle ne l'a pas aimé. Je m'en voulais de n'avoir pas su choisir le bon livre, sans doute que son deuil est encore trop récent. Je vais le lire, je crois qu'il va me plaire; je veux comprendre pourquoi elle ne l'a pas aimé. J'ai le tort souvent d'offrir des livres qui me plaisent; pourtant je sais que mes goûts littéraires sont particuliers :
J'ai réussi à rester en vie de Joyce Carol Oates.

En arrivant chez moi après une heure et quart de route, je lui ai envoyé un texto pour lui dire que j'étais bien arrivée. Elle m'a répondu : merci d'être venue, je t'aime. Il y a longtemps qu'on ne m'avait pas dit je t'aime. C'est doux et tendre et si bon.

samedi 14 janvier 2012

***

Tant que je serai aimante je resterai vivante.

vendredi 13 janvier 2012

De, l'inconsistance... et des muses

Jeudi 12 janvier.

François Busnel interviewe Jean-Bertrand Pontalis sur son dernier ouvrage :
- Donc, selon vous, il n'y a pas plus vantard et plus inconsistant que celui qui dit : Moi, je.?
Pontalis répond :
- Je pense.

Cela ne pouvait échapper à "la" Narcisse inconsistante - mais pas vantarde - qui sommeille en moi.


"Sur le mode du « Je me souviens » de Georges Perec, qui fut son patient, Jean-Bertrand Pontalis, psychanalyste, essayiste, défragmente les temps du souvenir. Non sans malice, il écrit « c’était mieux avant ». Quand il courait s’acheter un pain chocolat à la boulangerie alors que maintenant il trotte à petits pas jusqu’à la pharmacie se procurer un médicament... Aléas et privilèges du grand âge, Pontalis se souvient de beaucoup de choses, au nombre desquelles ses maîtres, Sartre d’abord, Lacan ensuite, mais aussi de lectures (Freud, Homère) , de peintures « parlantes » (Odilon Redon). Par petites touches, à sa manière, il voyage dans un temps proche, au fond de celui des physiciens, fini dans un univers infini, et puise dans la soupe originelle de notre psyché, laissant remonter à sa mémoire ce qui paraît insignifiant, muet, informé et qui fait tout le charme précisément cette pensée si fine."

Jean-Bertrand Pontalis : Avant, Gallimard, 2012.


Vu ensuite une superbe émission sur Jean-Paul Goude : Goudemalion. Quel artiste au talent fou. Une rétrospective lui est consacrée au Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 18 mars 2012.
Ci-dessous, ses muses :


Grace Jones



Jean-Paul Goude et Farida



Un moulage en cours d’élaboration. Le modèle : the Queen of Séoul, alias Karen.
(Photo : Philippe Baumann)



Karen, "the Queen of Seoul" sa dernière muse et son épouse
(Crédit photo : Jean-Paul Goude)


"... ce sont mes amours qui m'ont fait évoluer. D'abord à travers Grace Jones - quand, en compagnie de Chris Blackwell, le producteur de Bob Marley, j'ai tenté de marier le reggae et ce qu'on appelait alors la new wave - puis Farida et le style beur, et finalement Karen, la Jeanne d'Arc coréenne, celle que j'ai nommée dans mon projet de film la «Queen of Seoul», revenue sur terre pour débusquer les samouraïs japonais."
Jean-Paul Goude.

jeudi 12 janvier 2012

***

J'ai connu une époque où les gens pleuraient, aujourd'hui ils pleurnichent.
J'ai connu un époque où les gens riaient, aujourd'hui ils ricanent.

Claude Lelouch.

***

dimanche 8 janvier 2012

Solitude ou vie sociale

Rencontre trop rapide avec l'ami-blogueur vendredi. Il était avec un ami venu l'aider à vider une maison, celle de sa mère, très âgée. C'est étrange, j'écrivais ici vendredi en attendant son coup de fil les souvenirs du déménagement chez la mienne après son enterrement.
Nous avons bavardé pendant une petite heure et nous sommes quittés en nous donnant rendez-vous pour le lendemain soir. Un imprévu m'a empêché de les revoir.

Elle m'a dit :
- Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai décidé d'avoir une vie sociale plus active. De ne plus pleurer.
Je lui ai dit :
- Tu as raison, ne fais pas comme moi, je deviens de plus en plus sauvage, je m'enferme dans ma solitude. Mais quand je suis avec "les autres" je m'ennuie.

Je pensais : une vie sociale quand on est seule c'est quoi? Aller vers les autres obligatoirement car ils ne viendront pas vers vous! Faire comme ces hommes et surtout ces femmes que j'aperçois un jour précis, à une heure précise de la semaine faire une marche ensemble? Ils ont tous le nez sur leurs chaussures, ne regardent pas le paysage, la tête dans le guidon! Aller dans des associations faires des activités manuelles? Faire des sorties en car, chronométrées, comme ces seniors (le mot est faible) que je vois débarquer sous ma fenêtre dans mon quartier historique?

Mes balades de marcheuse je les fais en solitaire en m'arrêtant devant un paysage qui capte mon regard, un bruit de vagues qui s'échouent à mes pieds, un ciel bleu ou gris ou nuageux qui laisse toujours passer une lumière. Je visite les expositions toute seule, le mot "groupe" me fait peur. Le golf fut ma vie sociale pendant longtemps, aujourd'hui je joue seule la plupart du temps, je ne fais plus de compétitions, la remise de prix était le moment le plus convivial. Les réunions de famille m'ennuient terriblement, sauf les tête-à-tête avec ma petite soeur. La lecture, ce moment  privilégié entre tous, celui où l'auteur a écrit ce que je ressens, il me parle, quelle délicieuse solitude, le plus merveilleux des tête-à-tête.
Bien sûr, je ne veux pas finir ma vie comme Robert Walser, à force d'enfermement sur moi-même.  Je suis en train de lire Le Ramassement de soi de Paul Nizon; il fait une analyse extraordinaire de la vie de Robert Walser, sans concession et je crois, objective. Cela n'enlève rien à l'admiration que je porte au poète dont toute la vie prédisait cette aliénation à son terme.
Ma petite soeur qui ne supporte pas d'être seule une demi journée me dit souvent :
"tu as de la chance, tu te suffis à toi-même".
C'est vrai, il y a en moi, beaucoup de monde(s).

vendredi 6 janvier 2012

***

"L’essentiel, c’est d’être aimé sans être jugé. Mais c’est rarissime. (…) Le sentiment sans condition, sans évaluation, je pense profondément que c’est ce qui compte dans la vie."

Mona Ozouf, dans l'émission Empreintes, le 6 janvier 2012.

Cerveau décomposé


Brain mechanism, abstract art illustration

Je n’arrive plus à planifier quoi que ce soit.
Tout se bouscule.
Je voudrais écrire longuement sur les choses vues, lues, les analyser, en rendre compte intelligemment (mais sans emphase).
Il y a trop de choses en moi. Je n’arrive plus à faire le tri. J’ai souvent le cerveau embrumé, cotonneux et mes migraines redoublent,  vertiges...
Je repense à cette petite phrase que tu avais écrite sur un bout de papier maman et que j’avais découverte dans ta cuisine après ton enterrement quand nous faisions le partage du peu que tu possédais :
« je ne trouve plus mes mots, je bafouille, ça m’énerve je dois les énerver ». Tu étais encore lucide quand tu écrivis cela. Je n’avais pas envie que tes autres enfants la voient, je l’ai mise dans ma poche, le cœur en lambeaux. Mais les enterrements ne sont pas toujours tristes!

Vu A dangerous method avant-hier avec mon Bezo. Me donnerait envie d’en dire quelques mots si ce que j’avais retenu - entre autres, tout était si beau - ne parlait pas encore de la mort : sexe et mort, ce serait passionnant à analyser ici. Lire tout l'article du Monde, je ne saurais si bien dire... :

"Cronenberg met en scène avec sûreté et précision ce grand spectacle intellectuel qui se déploie dans l'intérieur surchargé du bureau de Freud, dans les restaurants viennois ou sur le joli voilier que la femme de Jung lui a offert pour naviguer sur le Zurichsee. La lumière éblouissante, la beauté lointaine des architectures, les cadres inattendus font passer certaines séquences du côté du rêve ou des souvenirs enfouis, établissant un passage entre la rigueur intellectuelle des débats et les désirs obscurs qui sont leur objet."

Nous en avons discuté après le film, attablées à l’Epée en savourant : pour elle, de la lotte au lard servie avec des lentilles et pour moi des coquilles saint-jacques à la fondue de poireaux, en trinquant avec notre verre de Menetou. C’était mon 31 décembre à moi et son anniversaire que je fêtais le 4 janvier avec ma petite sœur. Une bien belle soirée, en tête-à-tête, comme je les aime.

Hier soir, théâtre, toute seule, Ivanov d'après Anton Tchekhov : les quatre premières minutes, superbes ! Puis une heure cinquante cinq d’ennui mortel. Ressenti personnel mais les quelques phrases entendues ici ou là en sortant du théâtre : "T'as aimé?" - "Mmm!" ou "pas tout compris" ou "trop long". Je n'ai rien relevé d'enthousiasmant.

Jécoute le Requiem de Donizetti. J’attends le coup de fil d’un ami-blogueur-parisien de passage en Bretagne. Je me réjouis de le revoir, nous avions partagé une très belle après-midi dans les rues du Marais lors d’une de mes escapades parisiennes en 2010. J’aime quand le virtuel crève enfin l’écran.

mercredi 4 janvier 2012

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« L'absence n'est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »

Marcel Proust, Les Plaisirs et les jours.

mardi 3 janvier 2012

Gyotaku


Nakanishi, Grondin volant

L’horrible week-end de la Saint-Sylvestre est enfin terminé. Tout va reprendre son cours normal. Longtemps je m’étais habituée à occulter ces fêtes et à les vivre comme les autres jours mais cette année je n’ai pas réussi. J’avais le cœur gros comme on dit bêtement. Aussi, j’ai tenté de trouver des occupations, comme cette balade samedi 31 à la Ville-Close et une visite au Musée de la Pêche où j’ai pu voir une belle exposition consacrée aux Empreintes de poissons : le Gyotaku. J’étais toute seule dans ce musée, en ce jour où tout le monde devait s’affairer pour le réveillon.





J’ai pris quelques photos. Beaucoup de reflets de lumière, difficile de les prendre à travers le verre. L'artiste à l'honneur : Boshu Nagase.




Comment garder trace des pêches exceptionnelles ? Elément du patrimoine maritime japonais, le Gyotaku, permet aux pêcheurs de garder une empreinte de leur capture.


Technique créée en 1862, afin d’offrir à l’Empereur l’image d’une dorade remarquable, le Gyotaku a été repris par les pêcheurs pour immortaliser leurs plus importantes prises. Boshu Nagase, grand maître de cette tradition artistique, a été accueilli en résidence au Musée Océanographique de Monaco, où il a produit plusieurs centaines d’œuvres.

"Deux méthodes permettent de réaliser un Gyotaku, dont les résultats sont aussi opposés que complémentaires.

La première, à l’encre de chine, a pour support un papier japonais (Washi) sur lequel on obtient un motif inversé. L’encre est appliquée dans le sens des écailles. Puis, le modèle est recouvert de papier et frotté à la main, toujours dans le même sens de la tête à la queue. Enfin, le papier inscrit d’une empreinte est décollé. L’artiste n’a plus qu’à peindre délicatement l’œil au pinceau. C’est ce qu’on appelle des Gyotakus directs.

La seconde méthode (Gyotaku indirect) apparaît en 1948 sous la main de Koyoo Inada. Ce sont les débuts de l’interprétation artistique sur le support noble qu’est la soie. La couleur apporte un relief et une vie nouvelle à cet art encore expérimental. La fibre de soie se révèle idéale grâce à la facilité d’emploi et de manipulation. L’application des couleurs est indirecte, c’est-à-dire qu’elles sont appliquées sur le tissu par transparence avant d’être tamponnées en fonction de l’aspect désiré.

Cette méthode exige une maîtrise bien plus élaborée, chaque œuvre bénéficiant d’un secret transmis du maître à l’élève et traduisant le style de son auteur. La composition est accompagnée d’un texte destiné à transmettre toute sa dimension poétique."

(Source Wikipédia)




Ci-dessous Gyotakus de Boshu Nagase.





Empreinte sur soie de... Koyoo Inada
(sans certitude)


Des artistes occidentaux européens comme Pierre Alechinsky, Jean-Pierre Guilleron ou encore Râmine se sont emparés de cette tradition japonaise pour l’emporter vers d’autres rivages.

Estampages de Pierre Alechinsky.





 Râmine, Rougets.

Râmine, Limandes.

On peut voir cette exposition jusqu'en septembre 2012.

Je me suis attardée ensuite dans ce Musée de la Pêche et qui vaut le détour.

lundi 2 janvier 2012

2012

"NOUVEL AN

Dans mon enfance, on nous réveillait le 31 décembre un peu avant minuit pour que nous participions à la fête familiale de la Saint-Sylvestre. Elle consistait d’abord en un repas constitué de plats traditionnels simples, avec du vin, vin chaud pour les enfants, champagne. La table de fête, solennelle, au milieu de la nuit. Cela seul était déjà inhabituel. Particulièrement excitante était l’attente du moment précis où l’on changeait d’année. Ce moment crucial s’annonçait pour nous par les tintements des cloches d’églises. On ouvrait les fenêtres dès qu’ils s’entendaient. C’était la vieille année dont ils sonnaient la fin. Comme elle file ! Et nous imaginions réellement la vieille année, toute chargée, ratatinée et lasse, en train de filer et de se perdre dans l’écho des derniers sons de cloche. Elle disparaissait. Suivait le bref silence pendant lequel on flottait littéralement dans le néant. Puis sonnaient d’autres cloches, plus fraîches (plus optimistes), à ce qu’il nous semblait, et la nouvelle année arrivait, allègre, jeune, autorisant les plus belles attentes. On se levait, on trinquait, on s’embrassait. Puis on restait ensemble à bavarder, jusqu’à ce que les yeux des enfants se ferment.
Le plus impressionnant, c’était pourtant l’année ressentie dans l’effrayant silence entre ancienne et nouvelle année, lorsqu’on tombait hors du temps, dans le vide, entre crainte et espoir, chacun pour soi.
J’ai connu plus tard les fêtes et situations de Saint-Sylvestre les plus diverses, ici et à l’étranger, dans des stations de sports d’hiver et en ville, en voyage dans un bistrot, au milieu d’amis, ou seul avec moi-même, à travailler. A supposer qu’on le veuille, on ne peut se soustraire au moment fort du changement d’année, à cette césure imposée, même si l’on se persuade que la coupure vécue avec tant d’intensité est arbitraire, une vue de l’esprit, une protection : détail d’un comptage du temps qui, bon an, mal an et à vie, reste égal à lui-même. C’est comme si, le 31 décembre à minuit, on était concrètement projeté dans l’avenir en même temps que l’aiguille du cadran. Cela se sent aux réactions des convives. Les bouchons sautent, les verres qu’on choque, les clameurs, les rires, l’émotion, toute cette fraternisation a un petit parfum d’hystérie. La frénésie du soulagement est toujours aussi une façon de dissimuler sa peur d’une catastrophe.
On a couru toute son année, on a longé de dangereuses falaises et pris toutes sortes de tournants, en s’en tirant à peu près. Pour finir, au prix d’un gros effort, on a versé son écot à la grande affaire de Noël. Maintenant on se trouve dans l’abîme de l’année. L’infime silence qu’impose le rituel de la fête s’enfle soudain et résonne du grondement du temps. On est présent à soi, ce qui n’est presque jamais le cas d’habitude, on est dépouillé de sa fonction, de ses dignités et devoirs, nu. Qui suis-je ? Dans cette confrontation inaccoutumée, on mesure l’ampleur de sa propre fuite, le temps qui se dévide, le temps gaspillé, refoulé, en tout cas mesuré.
Quand les cloches sonnent le début de l’année nouvelle ou que la canonnade des bouchons de champagne salue l’avenir ; quand l’orchestre reprend enfin et que tout le monde se précipite pour s’embrasser et échanger des vœux, l’instant de vérité est derrière nous, Dieu merci. Que fête-t-on ? La victoire sur la panique de la Saint-Sylvestre ? La solidarité des convives est aussi celle de la mauvaise conscience. Comment devrait-on vivre ?

(1973)"

Paul Nizon, in Le Ramassement de soi, Récits et réflexions, éditions Acte Sud, 2008, collection Lettres Allemandes.

Je lisais ce texte le 31 décembre, à minuit, je n’entendais aucun bruit : pas de pétards, pas de cloches, pas de bip sur mon téléphone portable; je ne ressentais rien, ni tristesse ni joie, une indifférence ; je n’avais pas bu une goutte d’alcool et j’étais comme anesthésiée. J’ai regardé les tableaux sur mes murs, la vie était là, en couleurs vives, en encre de chine sépia, en photos… je souriais, j’espérais, rien n’était perdu. J'écoutais Louis Amstrong avant d'aller me coucher : what a wonderful world!

***

« Si perçante soit la vue, on ne se voit jamais de dos. »
(Proverbe chinois).

Mais, heureusement, les photographes sont là, et pour notre plus grand plaisir ici!