vendredi 9 mars 2018

"La vie privée des morts"







Vendredi 9 mars 2018.

Je viens de terminer le livre autobiographique de Alexandre Diego Gary : S. ou l'espérance de Vie.

"Ses parents, l'écrivain Romain Gary et l'actrice Jean Seberg, se sont suicidés quand il était adolescent. Après trente années de silence, [en 2009] Diego Gary se livre dans un récit autobiographique." (Lire l'article du Monde, par Alain Abellard : Sa vie à lui, enfin).

Cette phrase, ci-dessous, résume on ne peut mieux ce que j'ai ressenti - pendant plusieurs jours - à la lecture :
"En lisant le livre, j'ai été tétanisée, j'ai pris la mesure de toute sa douleur. J'ai été triste et j'ai eu un sentiment de culpabilité." (Myriam Anissimov).

J'ai compris la souffrance de Diego Gary :

- Tu n'y arrives plus, à te taire.
- Mais il y a des choses que je ne veux pas entendre dire, sous aucun prétexte, dont je ne veux pas entendre parler. Et il y a des choses pour lesquelles je me bats. Le respect dû aux morts. Le droit à une vie privée pour les morts, oui, la vie privée des morts. Les morts, tous les morts sont des nôtres. On ne peut pas laisser dire, écrire, faire tout et n'importe quoi avec eux. Le droit des morts, la vie privée des morts, voilà ce qu'il est temps d'instaurer.
Page 44.

"Moi-même, je vécus des moments de grande violence [...]. Je ne les regrette pas. J'en ai même parfois la nostalgie, quand le quotidien vient frapper trop brutalement à ma porte, dans mon appartement d'une petite rue paisible du VIIe désormais, où je vis avec Ludmilla, main dans la main. Un article diffamatoire, une atteinte à la vie privée des morts dans une biographie et je me sens prêt à revêtir mes oripeaux et ma hargne de Matamore, à enfiler les gants, ou même à poings nus, c'est mieux, ça fait encore plus mal. [...] le gentil petit garçon de la rue du Faubourg-Saint-Germain, timide et complexé, mais bouillonnant de rage à l'intérieur, une rage qui l'effrayait et le contraignait à se montrer encore plus docile pour la contenir, [...]
J'avais la haine [...]
Plénipotentiaire la haine.
J'ai beaucoup appris à Los Alamos, [...]
Paris,  le Landerneau littéraire, République des Lettres qui n'est qu'une compagnie d'ascenseur, le parisianisme, le respect écrasant dû à l'image et à la mémoire de mes parents qui me paralysait, ne me fait plus peur.
Je n'ai plus peur de rien. Pas même d'écrire.
[...]
J'emportais de nouveaux morts avec moi [...]. Mais ce que j'emportais de plus précieux, c'était bien entendu Ludmilla et sa promesse d'avenir - l'espérance de vie."
Pages 167-168.

Alexandre Diego Gary, in S. ou l'espérance de vie, éditions Gallimard, 2009.

Un sentiment de culpabilité, oui, je l'ai eu aussi en lisant certains passages du livre de Diego Gary. Je repensais à ce beau documentaire que j'avais vu et dont j'avais parlé. Le documentaire a disparu, il n'est plus visible et, je comprends pourquoi après avoir lu ces mots de Diego Gary sur "la vie privée des morts". Mon admiration, ma passion pour l'écrivain Romain Gary avait masqué ce vol (ce viol?) que j'avais commis en capturant de mon écran quelques scènes du quotidien de Romain Gary, comme ce déjeuner dans leur appartement avec le jeune Diego. J'avais été très heureuse d'avoir pu visionner ce documentaire. Il m'avait inspiré ce billet Le fou d'absolu, le mangeur d'étoiles. Je parlais du livre de Diego Gary mais je ne l'avais pas encore lu. Je ne sais pas pourquoi j'ai attendu si longtemps. Je retire immédiatement de ce billet les deux photos que j'avais capturées : Romain et Diego (enfant) déjeunant chez eux (je les garde pour moi, Diego a des yeux verts, superbes (il les a toujours) ; ce billet a été lu (et vu) 5646 fois (une goutte d'eau dans l'océan du web). Je ne voudrais pas avoir "la haine" de Diego Gary.  Je le remercie de m'avoir fait comprendre - par son ouvrage - qu'il "était temps d'instaurer le droit des morts, la vie privée des morts" et je rajoute, celle des vivants aussi car vous l'êtes, bien vivant et avez, je l'espère, vous la souhaite, une longue "espérance de vie". Oubliez le S.