vendredi 29 novembre 2013

On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail





 Le Duomo [Milan] avec en 1er plan "la Cassina", ou l'ensemble des bâtiments de la fabrique du Duomo et les ateliers du chantier, gravure 1832.
Graveur : James carter. Peintre : William Clarkson Stanfield

"Vivre en Italie [...] devint la base de tous mes raisonnements."
Vie de Henry Brulard

Milan
[...]
Cette ville devint pour moi le plus beau lieu de la terre [...]. Milan a été pour moi de 1800 à 1821 le lieu où j'ai constamment désiré d'habiter. 
[...] Vers 1803 ou 1804 j'évitais dans le cabinet de Martial de lever les yeux vers une estampe qui dans le lointain présentait le dôme de Milan, le souvenir était trop tendre et me faisait mal.
[...]
Voici un intervalle de bonheur fou et complet, je vais sans doute battre un peu la campagne en en parlant. Peut-être vaudrait-il mieux m’en tenir à la ligne précédente.

Depuis la fin de mai jusqu’au mois d’octobre ou de novembre que je fus reçu sous-lieutenant au 6e régiment de dragons à Bagnolo ou Romanengo, entre Brescia et Crémone, je trouvai cinq ou six mois de bonheur céleste et complet.

On ne peut pas apercevoir distinctement la partie du ciel trop voisine du soleil, par un effet semblable j’aurai grand’peine à faire une narration raisonnable de mon amour pour Angela Pietragrua. Comment faire un récit un peu raisonnable de tant de folies ? Par où commencer ? Comment rendrer cela un peu intelligible ? Voilà que j’oublie l’orthographe, comme il m’arrive dans les grands transports de passion, et il s’agit pourtant de choses passées il y a trente-six ans.

Daignez me pardonner, ô lecteurs bénévoles ! Mais plutôt si vous avez plus de trente ans ou si, avant trente ans, vous êtes du parti prosaïque, fermez le livre !

Le croira-t-on, mais tout semblera absurde dans mon récit de cette année 1800. Cet amour si  céleste, si passionné, qui m’avait entièrement enlevé à la terre pour me transporter dans le pays des chimères, mais des chimères les plus célestes, les plus délicieuses, les plus à souhait, n’arriva à ce qu’on appelle le bonheur qu’en septembre 1811.

Excusez du peu, onze ans, non pas de fidélité mais d’une sorte de constance.

La femme que j’aimais, et dont je me croyais en quelque sorte aimé, avait d’autres amants, mais elle me préférait à un rang égal, me disais-je ! J’avais d’autres maîtresses.

(Je me suis promené un quart d’heure avant d’écrire.)

Comment raconter raisonnablement ces temps-là ? J’aime mieux renvoyer à un autre jour.

En me réduisant aux formes raisonnables je ferais trop d’injustice à ce que je veux raconter.

Je ne veux pas dire ce qu’étaient les choses, ce que je découvre pour la première fois à peu près en 1836, ce qu’elles étaient ; mais d’un autre côté je ne puis écrire ce qu’elles étaient pour moi en 1800, le lecteur jetterait le livre.

Quel parti prendre ? Comment peindre le bonheur fou ?

Le lecteur a-t-il jamais été amoureux fou ? A-t-il jamais eu la fortune de passer une nuit avec cette maîtresse qu’il a le plus aimée en sa vie ?

Ma foi je ne puis continuer, le sujet surpasse le disant.

Je sens bien que je suis ridicule ou plutôt incroyable. Ma main ne peut plus écrire, je renvoie à demain.

Peut-être serait-il mieux de passer ces six mois-là.

Comment peindre l’excessif bonheur que tout me donnait ? C’est impossible pour moi.

Il ne me reste qu’à tracer un sommaire pour ne pas interrompre tout-à-fait le récit.

Je suis comme un peintre qui n’a plus le courage de peindre un coin de son tableau. Pour ne pas gâter le reste il ébauche à la meglio ce qu’il ne peut pas peindre.

Ô lecteur froid, excusez ma mémoire, ou plutôt sautez cinquante pages.

Voici le sommaire de ce que, à trente-six ans d’intervalle, je ne puis raconter sans le gâter horriblement.

Je passerais dans d’horribles douleurs les cinq, dix, vingt ou trente ans qui me restent à vivre qu’en mourant je ne dirais pas : Je ne veux pas recommencer.

D’abord ce bonheur d’avoir pu faire à ma tête. Un homme médiocre, au-dessous du médiocre, si vous voulez, mais bon et gai, ou plutôt heureux lui-même alors, avec lequel je vécus.

Tout ceci ce sont des découvertes que je fais en écrivant. Ne sachant comment peindre, je fais l’analyse de ce que je sentis alors.

Je suis très froid aujourd’hui, le ciel est gris, je souffre un peu.

Rien ne peut empêcher ma folie.

En honnête homme qui abhorre d’exagérer, je ne sais comment faire.

J’écris ceci et j’ai toujours écrit comme Rossini écrit sa musique, j’y pense, écrivant chaque matin ce qui se trouve devant moi dans le libretto.

Je lis un livre que je reçois aujourd’hui :

« Ce résultat n’est pas toujours sensible pour les contemporains, pour ceux qui l’opèrent et l’éprouvent ; mais à distance et au point de vue de l’histoire, on peut remarquer à quelle époque un peuple perd l’originalité de son caractère », etc., etc. (M. Villemain, préface, page X.)

On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail. 

Stendhal, in Vie de Henri Brulard, éditions Pierre Larrive 1956. (Les dernières pages).

Note de l'éditeur :
"[...] nous avons apporté tous nos soins à vérifier de près notre texte sur les manuscrits mêmes; nénamoins, la Vie d'Henri  Brulard restera toujours une oeuvre que son auteur a abandonné dans son premier état et qui, de ce fait, est plein d'imperfections qu'il est impossible d'amender sans trahir Stendhal."

C'est étrange, ce matin en relisant ces pages de l'ouvrage, je me disais que ce serait un bon texte pour clore ce blog. Après les avoir retranscrites, je vérifiais ne pas l'avoir déjà fait. Non, mais j'ai retranscrit d'autres pages de la Vie de Henri Brulard et - l'étrange donc -, c'est de m'apercevoir que je parlais déjà de clore mon blog avec cette autobiographie de Stendhal! Ce serait une belle fin de blog Moi, je. Allez, topons là?!?!

"La même idée d'écrire my life [sic] m'est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne : à vrai dire, je l'ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j'ai été découragé par cette effroyable difficulté des Je et des Moi..."
Stendhal.
   

mercredi 27 novembre 2013

"Le fou d'absolu, le mangeur d'étoiles"

Vu le film-documentaire que j'avais mis en lien dans le précédent billet sur Romain Gary. On voit pourquoi et comment le pseudo d’Émile Ajar, au lieu de le libérer, fut plutôt une descente aux enfers; pris au piège de ce qui aurait dû être une jubilation tant le succès de ses romans sous ce pseudonyme fut immense, il s'enfonce dans le machiavélisme en confiant à Paul Pavlowitch le rôle d'Emile Ajar. Il est probable que ce fut l'origine de ses dépressions. Romain Gary a toujours été un homme d'honneur, de droiture et révéler l’identité de Emile Ajar était devenu impossible, il était allé trop loin, c'est du moins ce qu'il a cru. Il n'y avait plus d'issue, la seule sera fatale. Un homme dans la tourmente.

«Après avoir signé plusieurs centaines de fois, si bien que la moquette de ma piaule était recouverte de feuilles blanches avec mon pseudo qui rampait partout, je fus pris d'une peur atroce : la signature devenait de plus en plus ferme, de plus en plus elle-même, pareille, identique, telle quelle, de plus en plus fixe. Il était là. Quelqu'un, une identité, un piège à vie, une présence d'absence, une infirmité, une difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar. Je m'étais incarné.»
 Romain Gary, in Pseudo

 "Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintègrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir." 
Romain Gary, in L'affaire homme.
Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintégrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir.
Read more at http://www.dicocitations.com/citations-auteur-romain_gary-5.php#Kkx232OqXbGMYVMy.99


Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintégrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir.
Read more at http://www.dicocitations.com/citations-auteur-romain_gary-5.php#Kkx232OqXbGMYVMy.99




Dans cette dernière image, un regard tourmenté. 
Ce jour-là, il a 66 ans, la date est fixée, il se suicidera.

Photos : Captures d’écran du film documentaire (1 h 30)
Romain Gary, le roman du double 
Réalisation : Philippe Kohly
Voix : Anouk Grinberg
Montage : Claudine Dupont
Ethan production, France 2, Arte, Gallimard

Un film, à voir absolument, les images parlent aussi : " Les gens qui me lisent, les critiques, ne parlent que de l'homme qui est derrière mes ouvrages, ils parlent d'un homme que je connais pas. Je ne me reconnais pas du tout dans cet homme." (Citation approximative)
Je regrette que Anouk Grinberg ait cette voix larmoyante, j'aurais aimé une voix moins mélodramatique. Une voix de femme qui soit aussi un homme? Le drame oui, le mélo non.


Dans ce film très documenté, une scène, brève, touchante; il déjeune avec son fils Diego qui a alors 11 ans, et lui 60. Romain Gary se sent vieux et ressent le gouffre générationnel qui le sépare de son fils.

Je rajoute ces quelques mots sur Alexandre Diego Gary :


Tu seras un homme mon fils!

Diego Gary a aujourd'hui 51 ans, il vit à Barcelone, il a écrit un livre publié en 2009 chez Gallimard : S. ou L'espérance de vie.

"Fils de l’écrivain Romain Gary et de l’actrice Jean Seberg, disparus dans des conditions tragiques, Diego Gary s’exprime dans un livre, à 46 ans, après un silence de trente ans.
[...]  il raconte son existence qui «ressemble à une succession de mots rayés jusqu’au sang». Il évoque, sans fin, son rang de «progéniture, de rien du tout», et ces années où il a passé de longues heures prostré dans l’appartement et le bureau de son père.
[...] 
Adolescent, Diego Gary a connu trois deuils dévastateurs. Il a 14 ans quand survient la mort, des suites d’un cancer, d’Eugénie, sa gouvernante, la femme qui s’occupait de lui au quotidien. Il lui dédie le livre. Il a 16 ans lorsque le submerge, en septembre 1979, le décès de sa mère, Jean Seberg, devenue une figure de la Nouvelle Vague après son interprétation dans A bout de souffle, de Jean-Luc Godard (1960). Elle est retrouvée plusieurs jours après sa disparition, à l’arrière de sa voiture. 
[...]
Après les décès d’Eugénie et de Jean Seberg, Romain Gary s’est rapproché de son fils. Il le couvait à sa manière. [...] il tremblait d’inquiétude pour lui. «Un jour, alors que Diego, âgé de 13 ans, avait un simple bleu à un genou, il a tout laissé tomber pour le conduire aux urgences.»
Mais Romain Gary restait dans son univers, celui d’un écrivain reconnu, ombrageux et embarqué dans une mystification littéraire sans égale : la création d’une autre œuvre sous le nom d’Émile Ajar. Cela lui vaudra de recevoir deux fois – ce qui est unique – le Prix Goncourt. Il l’a obtenu en 1956 sous son nom avec Les Racines du ciel, et en 1975, avec La Vie devant soi, sous le nom d’Émile Ajar.
[...] 
«Même quand il était présent, mon père n’était pas là. Obsédé par son travail, il me saluait, mais il était ailleurs», se souvient Diego Gary. Diego était en retrait, il n’était plus l’enfant joyeux qu’il avait été. Mais s’il est une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’est le suicide de son père, d’une balle dans la tête, chez lui, en décembre 1980. «A cet instant, la vie m’est tombée sur la gueule.» Il évoque comment, après coup, il a retrouvé des éléments qui auraient dû l’alerter, comment son père le préparait à être un homme sans pour autant comprendre ce qu’il voulait.
[...]
«Je sais que Diego revient de loin, je ne connaissais pas les détails, assure Myriam Anissimov. C’est un très beau livre, d’une grande valeur littéraire. Tout ce qu’il dit n’est pas une recension exacte de ce qui s’est passé, comme pour tout écrivain. Mais c’est sa vérité.» Même ses proches amis, comme Isabelle Sicot, qui le connaît depuis vingt ans, ont été surpris par le désespoir qui émane de son texte. «Diego est quelqu’un de très pudique, de très réservé.»[...] «En lisant le livre, j’ai été tétanisée, j’ai pris la mesure de toute sa douleur. J’ai été triste et j’ai eu un sentiment de culpabilité.»
Aujourd’hui, Diego Gary assure ne plus avoir peur de rien, «pas même d’écrire», parce que l’écriture a toujours été essentielle pour lui, même s’il ne publiait rien. Il n’aurait pas cherché à éditer ce livre si Roger Grenier, conseiller littéraire chez Gallimard, ne lui avait pas donné son imprimatur. «Il a créé quelque chose, le vrai sujet, c’est tout simplement comment exister par soi-même, et il y parvient», explique le journaliste et écrivain, qui était un proche de ­Romain Gary.
Depuis la publication de son ­livre, Diego Gary a reçu de nombreux témoignages de félicitations et d’encouragements. «Moi, je me dis que je n’aurai réussi que le jour où j’écrirai un véritable livre de fiction.»"

Source : Alain Abellard, article Sa vie à lui, enfin, 2009, Le Monde.

mardi 26 novembre 2013

***

Je me souviens quand je n'avais peur de rien.

lundi 25 novembre 2013

***

"Des époux de 86 ans se sont suicidés ce vendredi dans une chambre du prestigieux hôtel Lutetia à Paris. Ils ont laissé une lettre dans laquelle ils revendiquent le droit à l'euthanasie et au suicide assisté.

Une femme de chambre de l'hôtel Lutetia, dans le 6ème arrondissement de Paris, a découvert les corps inanimés d'un couple d'octogénaires ce vendredi matin. Les deux époux avaient recouvert leur tête de plastique.

En fouillant la chambre, les policiers trouvent deux enveloppes. À l'intérieur, il y a deux lettres manuscrites, l'une d'elle est destinée à la famille des victimes, pour expliquer leur geste, la seconde, elle, doit être remise à la justice, en l’occurrence au procureur de la République de Paris. Le couple y évoque son combat pour le droit de mourir dans la dignité et pour qu'une loi légalise enfin l'euthanasie et le suicide assisté."
  • Euthanasie : "On veut que les gens puissent mourir lorsqu'ils l'ont décidé", réclame une association"!

    Evidemment, je signe et contresigne!

dimanche 24 novembre 2013

Je me sens profondément rien


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 Romain Gary, est-ce que vous vous sentez Gengis ou Cohn?

- Je vais vous dire quelque chose : en vérité je me sens vraiment, profondément, rien.




 Romain Gary en pièces de puzzle



 La danse de Gengis Cohn



pour le film* documentaire Romain Gary, le roman du double


Il faut parler du personnage de Gengis Cohn, d'abord il faut parler de son nom.

- Je veux parler de ce que je suis et qu'est-ce que je suis du point de vue analyse de mes antécédents? D'un côté une mère juive russe, d'un autre côté il y a un père russe asiatique. Qu'est-ce c'est les deux? Gengis, l'Asie et Cohn, le nom juif. Ça c'est d'abord en ce qui me concerne, moi et mes rapports avec le personnage; mais il y a plus. Gengis Cohn c'était le fouet de Dieu, c'était un sauvage, un barbare, un conquérant, un destructeur et un incendiaire. Et dans mon roman, l'arme de Gengis Cohn ce n'est pas l'épée mais c'est l'humour. L'humour agressif, violent, explosif, terroriste qui est extrêmement connu en Amérique, comme X (je n'ai pas compris le mot : Xous? Skule?) dans le cinéma, avec les frères Marx et qui n'a pas cours en France.

Romain Gary, interviewé sur La danse de Gengis Cohn.
(Retranscription audio littérale).

Selon Paul Audi, il n'y a pas de meilleur autoportrait de lui-même (Romain Gary) que le personnage de La Marne dans Les clowns lyriques :

"L'humour et la bouffonnerie n'ont jamais eu d'autre raison d'être que la volonté d'amortir les chocs, mais poussés au-delà du minimum vital nécessaire ils finissent par devenir une véritable danse sacrée d'écorchés vifs.
C'est ça Gary. Et cette danse se retrouve dans La danse de Gengis Cohn. C'est un roman extrêmement important parce qu'il marque une véritable rupture dans la vie de Gary. C'est cette rupture qui va donner naissance quelque temps après, à l'idée d'Emile Ajar. "

Source pour une réécoute : les NCC, Romain Gary versus Emile Ajar.

* A voir ici : Romain Gary, le roman du double (film documentaire complet).

Et quelques extraits d'une adaptation TV de Gengis Cohn pour la BBC.

Je fais ces découvertes en écrivant ce billet. Je n'ai pas encore visionné le documentaire; ce sera pour une prochaine belle soirée.

Romain Gary, qui se sentait "vraiment, profondément, rien" me passionne. Un rien fabuleux. Et je croyais avoir tout lu de lui, mais non, je jubile déjà... j'ai Les clowns lyriques sous le coude.

"J’appartiens donc à la tribu de ceux que Gorki appelait les "clowns lyriques faisant leur numéro de tolérance et de libéralisme dans l’arène du cirque capitaliste"."
Romain Gary, in La nuit sera calme.





 

***

Ce jour-là, je penserai à mes horribles nuits et alors je mourrai en paix.

vendredi 22 novembre 2013

Lire, méditer, contempler, paresser : vivre

« Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail ». 

 R.L. Stevenson


Camille Corot, Liseuse couronnée de fleurs



Caspar David Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages
ou, L'homme contemplant une mer de brume
(En allemand :  Der Wanderer über dem Nebelmeer)




"Une activité intense, que ce soit à l'école ou à l'université, à l'église ou au marché, est le symptôme d'un manque d'énergie alors que la faculté d'être oisif est la marque d'un large appétit et d'une conscience aiguë de sa propre identité. Il existe une catégorie de morts-vivants dépourvus d'originalité qui ont à peine conscience de vivre s'ils n'exercent pas quelque activité conventionnelle. Emmenez ces gens à la campagne, ou en bateau, et vous verrez comme ils se languissent de leur cabinet de travail. Ils ne sont curieux de rien; ils ne se laissent jamais frapper par ce que le hasard met sur leur chemin; ils ne prennent aucun plaisir à exercer leurs facultés gratuitement; et à moins que la Nécessité ne les pousse à coups de trique, ils ne bougeront pas d'un pouce. Rien ne sert de parler à des gens de cette espèce : ils ne savent pas rester oisifs, leur nature n'est pas assez généreuse. Ils passent dans un état comateux les heures où ils  ne peinent pas à la tâche pour s'enrichir. [...]. S'il leur faut attendre un train pendant une heure ou deux, ils tombent, les yeux ouverts, dans une sorte d'hébétude. [...]. Pourtant il est probable que ce sont, dans leur domaine, des travailleurs assidus, qu'ils peuvent repérer au premier coup d’œil un contrat douteux ou la moindre fluctuation du marché. Ils ont été à l'école et à l'université, mais durant tout ce temps, ils ne pensaient qu'au prix d'excellence. Ils ont parcouru le monde et rencontré des gens brillants, mais durant tout ce temps, ils ne pensaient qu'à leurs propres affaires. Comme si l'âme humaine n'était pas déjà assez limitée par nature, ils ont rendu la leur plus petite et plus étriquée encore par une vie de travail dépourvue de toute distraction. Et voilà soudain qu'ils se retrouvent à quarante ans, apathiques, incapables d'imaginer la moindre façon de s'amuser, et sans deux pensées à frotter l'une contre l'autre en attendant le train. S'il avait eu trois ans, notre homme aurait escaladé les caisses. S'il en avait eu vingt, il aurait regardé les filles. Mais maintenant, la pipe est fumée, la tabatière est vide, et le voilà assis sur un banc, raide comme un piquet, avec des yeux de chien battu. Ce n'est pas vraiment ce que j'appelle réussir sa vie."

Robert Louis Stevenson, in Apologie des oisifs.

http://i2.wp.com/www.koztoujours.fr/wp-content/uploads/2012/10/LeBanquier1.jpg
Honoré Daumier, Le banquier

 


mercredi 20 novembre 2013

***

Il était assis sur le banc de ma terrasse, sous la pluie. 
Je suis allée le chercher - il avait du mal à marcher, je crois qu'il avait bu, ses yeux brillaient, il me souriait - et nous sommes rentrés dans le salon. Le reste est flou, je ne sais pas pourquoi j'ai rêvé de lui cette nuit. Peut-être parce qu'il fait partie pour moi de ces acteurs inoubliables...

(1930-2012)




mardi 19 novembre 2013

Amour du langage et langage de l'amour



Comment une liseuse devient-elle une lectrice? Pour qui et pourquoi? Pour le plaisir du texte ou celui de la situation? Plaisir du partage? Amour du langage et langage de l'amour...
Un délicieux film de Michel Deville de 1987, tiré du roman de Raymond JEAN. Entre les scènes de lecture, Deville nous emmène en balade dans les rues de Arles avec Miou-Miou - merveilleuse dans ce rôle -  joyeuse, aérienne et sautillante, sous la baguette de Beethoven.



"Constance lit à son ami Jean un livre dont l'héroïne s'appelle Marie et adore la lecture. Marie passe une annonce : elle se propose comme lectrice à domicile. Éric, son premier " client" est un jeune garçon, paralysé. La chevelure  de Maupassant, Baudelaire et Les Fleurs du mal , le charme de Marie et ses jambes qu'il caresse du regard plongent l'adolescent dans les délicieux vertiges des rêveries érotiques et lui font retrouver la joie de vivre. Une pittoresque veuve d'un général hongrois, dont la servante est en proie aux araignées, s'exalte à la lecture de Marx, Gorki et Lénine. Coralie, une jolie fillette, se prend pour Alice et entraîne Marie dans les flonflons et sur les manèges d'une fête foraine devenue pays des merveilles.

Quant à cet égoïste P.-D.G., pressé en amour comme en affaires, L'Amant de Marguerite Duras et le corps de sa lectrice lui révèlent que l'amour est une délicate affaire qui se joue à deux sans hâte et à l'écoute de l'autre.

Mais la jeune femme rencontre des problèmes : avec son ami Philippe, jaloux, avec un commissaire de police soupçonneux, avec un vieux magistrat, d'allure respectable, qui lui demande de lire un passage osé de Sade. Lorsque le vieil homme convie à la lecture le commissaire et un médecin. Marie flairant un piège de ces représentants de l'ordre établi, se retire se condamnant ainsi au chômage. Constance ferme son livre. Demain, elle ira passer une annonce."

(Source ici avec d'autres  images)














(Captures d'écran)

dimanche 17 novembre 2013

"Pensez faux, s'il vous plaît, mais surtout pensez par vous-même." Doris Lessing




Doris Lessing est morte, à 94 ans.
(1919 - 2013)



Lessing at her home in London in 1984. 
She is the eleventh female writer to win the Nobel Prize for Literature
 Jan Delden/AFP/Getty Images

samedi 16 novembre 2013

Le marteau ou l'enclume?

La Vénus à la fourrure, inspiré du roman érotique de Léopold von Sacher-Masoch.

Réaction à chaud : Est-ce la muse qui a inspiré son mentor ou l'inverse? Emmanuelle Seigner est magistrale, Mathieu Amalric tout aussi extraordinaire est troublant de ressemblance avec Roman Polanski. Quand le sado-masochisme devient hédonisme c'est un plaisir sans nom. L'espièglerie de Vanda est jubilatoire (lorsqu'elle commence la lecture de la pièce, Vanda la comédienne, devient la Wanda de la pièce de Sacher-Masoch). Les amateurs de film porno peuvent passer leur chemin, ici les êtres s'attirent comme des aimants sans jamais se toucher, les répliques atteignent parfois des sommets de poésie, de désir qui électrisent, mais n'éludons pas la perversité. La jouissance est dans les mots. 





Crédit photos : UniFrance Films
 
Le générique de fin avec des tableaux de La Naissance de Vénus en fond d'écran est d'une beauté... Pauvres spectateurs qui s'en vont au générique!


 Titien, Vénus au miroir (ca 1555). Washington, National gallery of art.

Boticelli, Naissance de Vénus (détail)


Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus.

Roman Polanski est un immense cinéaste et sa Muse une Vénus éblouissante.
Quant à Mathieu Amalric... stop, j'arrête avec les qualificatifs dithyrambiques : mais je veux bien poireauter des heures dans le froid (c'est ça être figurant, je sais je l'ai vécu, Pêcheur d'Islande, avec la soeur d'Emmanuelle, eh oui! j'ai déjeuné à la cantine des artistes avec elle, Mathilde Seigner (presque débutante), Stéphane Freiss et Anthony Delon... en 1995!) pour son prochain film! Mais là, je n'ai aucune chance, M. Amalric cherche des figurant(e)s de 25 et 80 ans. J'ai dépassé les 25 et suis pas encore arrivée aux 80.




Séverin, lui, ne plaisante pas : "Si je ne peux goûter pleinement, entièrement, aux joies de l'amour, je veux boire jusqu'à la lie le calice de ses souffrances et de ses supplices. Je veux être trahi et maltraité par la femme que j'aime. Plus elle sera cruelle et plus je serai content. C'est aussi une jouissance !" (page 64).
Et encore : "Si le mariage ne peut reposer que sur la conformité et l'harmonie, les plus grandes passions, elles, naissent des oppositions. C'est parce que nous sommes opposés, presque ennemis, que mon amour est un mélange de haine et de crainte. Dans une relation comme celle-ci, on ne peut être que le marteau ou l'enclume. Je veux être l'enclume. Jamais je ne pourrais être heureux si je dois regarder de haut ma bien-aimée. Il faut qu'elle se montre cruelle envers moi pour que je puisse l'adorer." (page 65).

Léopold Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure.

Jeu et tragédie







"Cécile, adolescente insouciante, a passé son enfance en pension. Elle vit depuis deux ans avec son père Raymond qui est veuf et qui a la quarantaine. Elle mène une existence oisive et bénéficie d’une grande liberté. Son père a de nombreuses maîtresses auxquelles Cécile s’habitue assez facilement .

L’été de ses 17 ans, Cécile , son père Raymond, et Elsa, sa maîtresse du moment, partent en vacances sur la Côte d’azur. Raymond a également invité Anne, une femme séduisante et brillante, qui était l’amie de son épouse. Très vite Anne prend en main la vie de Cécile et  décide notamment de la faire travailler, celle-ci ayant raté son baccalauréat cette année-là. Anne regarde également avec un œil critique l’aventure que Cécile a avec Cyril, un étudiant qui passe ses vacances dans la région. Raymond délaisse peu à peu Elsa et devient l’amant d’Anne. Il est décidé à changer de vie pour elle et envisage même de l’épouser.

Cécile craint de perdre sa liberté. La présence de cette femme intelligente et calme, trouble sa délicieuse existence. Jalouse, elle réussit à convaincre son petit ami Cyril de simuler une aventure amoureuse avec Elsa. Raymond ne parvient pas à résister à cette provocation . Irrité de voir Elsa se tourner vers un adolescent à peine plus âgé que sa fille, il se retrouve bientôt dans les bras de son ancienne maîtresse. Anne les surprend par hasard. Désespérée elle s'enfuit et se tue dans un accident de voiture. Cécile et son père reprennent leur vie insouciante, mais la jeune fille connaît à présent un sentiment nouveau : la tristesse : " Seulement quand je suis dans mon lit, à l’aube, avec le seul bruit des voitures dans Paris, ma mémoire parfois me trahit : l’été revient et tous mes souvenirs. Anne, Anne ! Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j’accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse. ""

Eleonore de la Bime, in http://www.alalettre.com/sagan-bonjour.htm


Bonjour tristesse, le film

Jean Seberg (Cécile), David Niven (Raymond) Deborah Kerr (Anne) 
Mylène Demongeot (Elsa), Geoffrey Horne (Philippe), Walter Chiari (Pablo)










J'ai aimé dans ce film (1958) - que j'avais déjà vu - la partie en noir et blanc, pour la beauté des images. Cette partie retrace en comeback et en couleur le passé volage des personnages et, au présent, le tragique et la tristesse de Cécile. Je l'ai revu surtout pour Jean Seberg qui porte le film mais, si j'ai aimé le livre de Françoise Sagan, je n'ai pas été enthousiasmée par l'adaptation cinématographique.