mercredi 31 août 2011

"Les anarchistes sont le sel de la terre"

Thomas Bernhard et son grand-père
Johannes Freumbichler à Seekirchen en 1937

"Le pont de chemin de fer était l’œuvre architecturale le plus considérable que j’aie vue jusqu’alors. Si nous ne posons qu’un tout petit paquet de dynamite sur une seule des piles et que nous la faisons exploser, le pont tout entier s’effondrera inéluctablement, disait mon grand-père. Aujourd’hui je sais qu’il avait raison, il suffit d’un demi-kilo d’explosif pour faire s’effondrer le pont. L’idée qu’un petit paquet d’explosif de la dimension de notre bible familiale suffise pour faire s’effondrer ce pont qui avait bien plus de cent mètres de long me fascinait plus que tout. Cependant il faut une mise à feu à distance, disait mon grand-père, afin de ne pas sauter avec le pont lui-même. Les anarchistes sont le sel de la terre, disait-il sans cesse. J’étais fasciné aussi par cette phrase, c’était l’une des phrases coutumières dont je ne pus naturellement saisir que peu à peu toute la signification, c’est-à-dire la signification complète. Ce pont de chemin de fer au-dessus de la Traun, vers lequel je levais les yeux, comme la chose pour moi la plus énorme de toutes, une chose naturellement beaucoup plus énorme que Dieu, dont toute ma vie je ne sus rien faire, le pont du chemin de fer était pour moi la chose suprême. Mon grand-père avait passé en revue devant moi toutes les possibilités de faire s’effondrer le pont. Avec un explosif on peut tout anéantir, à condition qu’on le veuille. En théorie, chaque jour j’anéantis tout, comprends-tu ? disait-il. En théorie il était possible tous les jours et à tout instant désiré d’anéantir tout, de faire effondrer, d’effacer de la terre. Cette pensée, il la trouvait grandiose entre toutes. Moi-même je m’appropriai cette pensée et ma vie durant, je joue avec elle. Je tue quand je veux, je fais s’effondrer quand je veux, j’anéantis quand je veux. Mais la théorie est seulement la théorie, disait mon grand-père, après quoi il allumait sa pipe. Dans l’ombre du pont de chemin de fer plongé dans la nuit, auquel j’enflammais avec la plus grande jouissance mes pensée anarchistes, j’étais en route pour aller chez mon grand-père. Les grands-pères sont les maîtres, les véritables philosophes de tout être humain, ils ouvrent toujours en grand le rideau que les autres ferment continuellement. Nous voyons, quand nous sommes en leur compagnie, ce qui est réellement, non seulement la salle, nous voyons la scène et nous voyons tout, derrière la scène. Depuis des millénaires les grands-pères créent le diable là où sans eux il n’y aurait que le Bon Dieu. Par eux nous avons l’expérience du spectacle entier dans son intégralité, non seulement du misérable reste, le reste mensonger, considéré comme une farce. Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d’intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d’élémentaire, et, par cette attention continuelle à l’essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d’asphyxie.
[…]
Rien n’était plus répugnant que la petite ville et précisément une petite ville du genre de Traunstein était ce qu’il y avait de plus écoeurant. […] Vivre soit tout à fait à la campagne soit dans une ville gigantesque, telle était l’opinion de mon grand-père. Malheureusement son gendre, mon tuteur, avait seulement trouvé ici un emploi et ainsi nous étions contraints d’exister dans cette atmosphère exécrable. A présent, il était lui-même à Ettendorf, il le fallait bien, mais en bas, à Traunstein, non, alors plutôt le suicide ! C’était ainsi exactement qu’il parlait dans ses promenades. Le mot suicide était l’un de ses mots les plus naturels, il m’est familier depuis ma toute première enfance, avant tout dans la bouche de mon grand-père. J’ai l’expérience de la façon d’utiliser ce mot. Pas de conversation, pas d’enseignement de sa part sans qu’ils n'aient été suivis inévitablement de la constatation que le bien le plus précieux de l’homme était de se soustraire au monde par sa libre décision, par le suicide, de se tuer à tout moment qui lui plaît. Lui-même, toute sa vie avait spéculé avec cette pensée, c’était la spéculation qu’il avait poussée avec le plus de passion, je l’ai reprise à mon propre compte. A toute heure, à tout moment que nous voulons, nous pouvons nous suicider, le plus possible de la façon la plus esthétique, disait-il. Pouvoir tirer sa révérence, disait-il, était la seule pensée effectivement merveilleuse."
(Les mots en "gras" sont de mon fait). 

Thomas Bernhard, in Un enfant, Récits 1971 – 1982, Quarto Gallimard, 2007. Pages 362 – 363 – 366.

"Thomas Bernhard mettra toujours l'accent sur son enfance auprès de son grand-père, époque heureuse pour lui."

C'est un véritable choc pour moi de découvrir cet auteur. Ça me secoue terriblement. J'ai eu parfois envie d'arrêter, de passer à autre chose en lisant les premiers Récits : L'origine, La cave, Le souffle, Le froid mais j'étais prise dans ces phrases qui semblaient venir du plus profond de l'auteur, comme une antienne. Avec Un enfant on reprend un peu son souffle. Quand je ferme ce livre après avoir terminé un Récit, je reste longtemps sans rien faire, j'ai besoin de récupérer. C'est puissant, éreintant.

mardi 30 août 2011

Insoutenable légèreté de l'air

Je suis en train de m'enfoncer dans de tristes pensées...

Bon, il faut réagir, penser à autre chose, le ciel est magnifique aujourd'hui et l'air est exquis. Soyons légère.
Enfilons un pantalon clair et des chaussures pour une marche aérienne! Maman!!!! Un papillon de nuit dans ma socquette. Bien fait pour moi. Ça m'apprendra à laisser traîner mes socquettes au lieu de les mettre dans la machine à laver tout de suite.


Je prends un chiffon et avec précaution, je recouvre la bestiole et l'emporte avec la socquette. Je secoue le chiffon dehors au-dessus du toit de zinc. Bizarre, pas de papillon. Je retourne voir mes baskets, il est là, scotché. Beurk! J'ai horreur des papillons de nuit.


Hop, deuxième opération-chiffon réussie.
.../...
Mes pas me dirigent vers cette terrasse ensoleillée, je n'ai que la passerelle à traverser. Il est 12 h 30.


La terrasse est pleine, zut, je voulais déjeuner devant la rivière, quoique marée basse, c'est moins bien. Mais, je découvre à l'arrière du bistrot un patio charmant. C'est vraiment divin de vivre ici. Un coin de ciel bleu, un petit coin de paradis.


Je pensais commander une salade et finalement j'ai mangé du lapin:) à l'estragon fort bon.
Je lis le JDD en prenant mon café.



Je suis déçue par la nouvelle formule du JDD. Bon, c'est encore l'été, espérons qu'à la rentrée ce sera plus consistant.

Il est 14 heures, je traverse la passerelle dans l'autre sens. Bientôt trois ans que je vis ici, j'avais bien repéré ce petit bistrot avec sa terrasse devant la rivière, je me promettais d'aller y prendre un café. Voilà, c'est fait, j'y ai déjeuné, c'est pas cher, j'y retournerai, même en hiver, l'intérieur est chaleureux, avec une grande photo dédicacée de Dan Ar Braz.
Ici avec Jean-Jacques Goldman.

22 h 15. Vu My Blueberry Nights de Wong Kar Wai.
On dit que ce n'est pas un très bon WKW. Je ne suis pas d'accord même s'il est plus facile d'accès que d'autres de ses films, j'ai aimé la mélancolie des personnages. Et puis, ces flous, ces chevauchements d'images, ces ralentis qui sont la marque de ce cinéaste. La bande son est géniale. J'ai beaucoup aimé. Je m'attendais à voir quelque chose de violent et j'ai vu de la poésie.



"Cher Jérémy,
Ces jours-ci j'ai essayé de me défier des gens.
Je suis contente d'avoir échoué."

lundi 29 août 2011

Clair-obscur 3

Je ne suis pas encore lasse de ce jeu d'ombre et de lumière


Et ce soir, j'ai  l'ombre "chinoise" de mon petit bonhomme bien plus complète qu'ici.

dimanche 28 août 2011

Concert en live

16 heures.
Ouf! Terminé le nettoyage des étagères, mitonnée la compote de  quetsches et  le far aux pruneaux est dans le four. Je peux aller me reposer.


Au secours! Je l'avais pourtant bien méritée ma sieste!

samedi 27 août 2011

Journal : Penser à autre chose...

... Impossible, juste tenter de faire diversion en écrivant ici.

Alors, hier ce fut une journée "fragile".
J'ai pris un café à onze heures dans ce "Couic" en attendant que ma voiture passe au Contrôle.
Au retour il s'est mis à pleuvoir.
Je pensais à un ami en regardant tomber la pluie.
Ma terrasse a été "rincée".
En début d'après-midi le soleil a crevé quelques nuages, je me suis baladée le long des quais.
Au retour j'ai lu Le souffle de Thomas Bernhard en retenant le mien.

"Pendant ses visites à mon chevet, je nageais dans le bonheur suprême lorsque je sentais sa main dans la mienne. L'adolescent, son petit-fils, qui allait entrer dans sa dix-huitième année, avait à présent une relation avec son grand-père beaucoup plus intense, parce qu'elle était avant tout intellectuelle, que celle qu'avait eue le garçonnet qui connaissait seulement par le sentiment l'obligation qu'il avait envers lui. Nous n'avions pas besoin d'échanger beaucoup pour nous comprendre et comprendre le reste. Nous avions décidé de tout faire pour sortir de l'hôpital. Nous devions nous préparer à un nouveau commencement, au nouveau commencement d'une vie. Mon grand-père avait parlé d'un avenir (pour nous deux) plus important et plus beau que le passé. Cela ne dépendait que de la volonté; tous deux, nous avions au plus haut degré la volonté de posséder cet avenir. C'est le corps qui obéissait à l'esprit et non le contraire."

Vers 17 heures, en refermant le livre, j'éprouvais à nouveau le besoin d'aller prendre l'air. L'étang à deux pas de chez moi était une bonne idée. Cette promenade fut salvatrice voire, cicatrisante.
Je pensais à mon frère et mon coeur se serrait, malgré moi.

jeudi 25 août 2011

Rêveries

On commence à me reconnaître. Je deviens moins invisible.
Quand j’arrive dans ces cafés maintenant on me dit : Vous allez bien ?
Je réponds avec un sourire et je suis contente de cette reconnaissance.
Ainsi dans deux ou trois cafés, pas plus, on me demande si je vais bien. Alors, oui, je vais bien.

Un jour on ne m’y verra plus. Pffuittt ! Plus de "moi". Je redeviendrai transparente puis après, je serai poussière. « Tu n’es que poussière et tu retourneras à la poussière. »

Je pense que l’on me reconnaît parce que je suis toujours seule dans ces endroits. C’est assez rare les femmes seules dans les cafés (surtout à mon âge) ; quand je regarde autour de moi, les gens sont par deux ou en groupe de copains et copines. Je regarde cette clientèle, puis je lis le quotidien régional. J’aime le lire dans cette brasserie avec cette baguette en bois dans laquelle est coincé le journal.


Ici, en province, presque tout le monde (surtout les vieux mais pas seulement) est abonné au quotidien : Le Télégramme ou Ouest-France, pour savoir ce qui se passe dans leur quartier et aussi savoir qui est mort et quand aura lieu l’enterrement. Le journal annonce aussi des tas de choses pratiques et essentielles (0_0) : le jour du relevé des compteurs d’eau ou d’électricité, le médecin d’astreinte le dimanche, les horaires de la messe dans les différentes paroisses, puces et troc à tel endroit, concours de galoche à Pétaouchnok ; oui vraiment, des choses essentielles, pfff ! que je ne sais pas puisque je ne suis pas abonnée et que je ne lis le journal que dans les cafés. Or je ne vais pas tous les jours dans les cafés. Quand j’ai besoin de savoir un truc, je regarde sur Internet, dans les journaux en ligne, mais là, c’est sûr, je ne trouve pas le minuscule encart qui vous dit qu’il y a des vaches à Locmaria. Ah ben si tiens, je viens de trouver l’article. Mmm ! J’espère que si Carla B.-Z. a une fille elle ne l’appellera pas Fossette:). Parfois j’achète Libération (rarement) et Le Monde (encore plus rarement).

Je ferme les yeux et je rêve que je suis au Florian, et je te revois, mon Amour.

Le temps est couvert mais les terrasses sont encore pleines. Les vacances sont bientôt finies pour tout le monde.

Allez hop ! J’ai fini mon Cappuccino, ma revue de presse, il est temps de rentrer.

lundi 22 août 2011

Comme l'Amour s'est enfui... déjà


When you are old

When you are old and grey and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly red, and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;

How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;

And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how Love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his amid a crowd of stars.

William Butler Yeats


=0=0=0=




Quand vous serez vieille

Quand vous serez vieille, grisonnante , ensommeillée
Et dodelinante au coin du feu, prenez ce livre
Et lisez lentement et rêvez du doux regard
Qu’avaient vos yeux d’antan, et de leur ombres profondes;

Combien ont aimé vos moments de grâce joyeuse
Et aimé votre beauté d’amour sincère ou non,
Mais seul un homme aima en vous votre âme voyageuse,
Et aima les tourments sur votre visage changeant;

Et vous penchant vers les chenêts rougeoyants
Murmurez, un peu triste, comme l’Amour s’est enfui
Et,d’un grand pas franchi les montagnes lointaines
Et cacha son visage dans une multitude d’étoiles.

(Traduction J.B.(?))
La poésie est intraduisible.

dimanche 21 août 2011

Journal

Récapitulons!

Jeudi 18 août.

Farniente. Je termine de lire le Philo Mag de l’été. Lecture agréable, pour ne pas bronzer idiot.

Ont retenu mon attention :

- Le dossier : La vie est-elle une suite de hasard et plus particulièrement l’article de Michel Eltchaninoff : Le jour où les dés m’ont guidé.
- L’article de R. Enthoven : Fumer tue. L’horreur morale.
Ils n’ont pas publié l’article dans son intégralité. En fumeur invétéré il dit à propos de la pub sur les paquets de cigarettes :
« Si la vérité est un bien, pourquoi ne pas dire toute la vérité ? Pourquoi ne pas dire « fumer tue, mais ne pas fumer ne rend pas immortel pour autant » ? Là est le hic. Et l’arnaque. Personnellement, je ne suis pas tranquille. S’il me suffisait d’arrêter de fumer pour ne jamais mourir, j’arrêterais de bon cœur, mais rien n’est moins sûr. Vivre tue. Demain j’arrête. »

- L’entretien avec Peter Handke par Alexandre Lacroix. J’étais fascinée par ce beau visage tourmenté, voire inquiétant. On peut voir quelques portraits de l'écrivain, photographié par Olivier Roller.


- L’article de François Salmeron à propos de Henri Bergson," la chute en plein élan" et Le Rire. « Sans aller jusqu’à la malveillance, le rire exige « une anesthésie momentanée du cœur » ».

Vendredi 19 août.

Rien, une journée de rien, à tenter juste de tenir debout après une nuit blanche.

Samedi 20 août.

J’ai la preuve qu’on ne peut pas dire : ça ne pourra pas être pire !
Nuit, pire que la précédente. Est-ce d’avoir absolument voulu dormir après avoir vu sur Arte une émission sur le cerveau que je n’ai pas fermé l’œil ? Des recherches sur le cerveau démontrent que le sommeil profond est réparateur de tous les maux et permet de prolonger la vie de plusieurs années. « Le sommeil profond est primordial pour nos capacités intellectuelles, pour avoir une bonne mémoire. Après 40 ans le sommeil profond diminue considérablement ». Pfff ! Où sont mes 40 ans ? Bon, je m’en fiche de perdre des années de vie, au contraire, mais je veux dormir. Je refuse de prendre des somnifères. Très intéressante émission, à revoir : Dopage du cerveau.
Réveil donc ce matin à 8 heures après m’être endormie vers 5 heures, puis réveillée à 5 h 47 par la sonnerie de mon téléphone, j’ai failli le jeter par la fenêtre ; affichage, un numéro inconnu, je n'ai pas décroché ; 5 h 58, rebelote ; me suis levée pour débrancher le téléphone. Envie de mordre… mon oreiller. Hagarde et zombie toute la matinée.

Après-midi, passage à la médiathèque, pris deux DVD :
- JE TU ELLE de Chantal Akerman, c’est sont premier long métrage, elle avait 24 ans.
- A mi-mots, Edna O’Brien de Jérôme de Missolz : « portrait de Edna O’Brien, écrivain irlandaise, flamboyante et rebelle. » Joint avec le DVD un de ses romans, Décembres fous.
« Edna O’Brien est née en 1932 en Irlande, dans le comté de Clare, mais c’est à Londres, où elle s’installe très jeune, qu’elle commence à écrire. Largement autobiographiques, ses premiers romans The Country Girls, The Lonely Girl et Girls in Their Married Bliss) connaissent un retentissant succès de scandale en Irlande en raison de leur description sans équivoque de la sexualité féminine. Le prêtre de sa paroisse demande même, du haut de son autel, à ceux qui auraient par mégarde acheté le livre, de venir le brûler dans la chapelle… »
« C’est une artiste accomplie et, à mon avis, la plus talentueuse des romancières anglaises. » Philip Roth.
Je devrais me régaler.

Lecture de cinq à sept, Thomas Bernhard, Récits (autobiographiques) 1971 – 1982.
Les phrases de l’écrivain sont si longues qu’elles me donnent parfois le vertige comme celui qui m’envahit quand je regarde des derviches tourneurs. Ci-dessous un extrait dont je ne retranscris qu’une page car la phrase se termine trois pages plus loin !

« Le Suisse et sa compagne s’étaient présentés chez l’agent immobilier Moritz juste au moment où, pour la première fois, non seulement j’essayais de lui faire entrevoir, et, pour finir, de lui exposer scientifiquement, les symptômes d’altération de ma santé affective et mentale, mais où j’avais justement fait irruption chez Moritz – qui était sans doute à ce moment-là l’être dont je me sentais le plus proche – pour lui déballer tout à trac et sans le moindre ménagement la face cachée, pas seulement entamée, mais déjà totalement dévastée par la maladie, de mon existence, qu’il ne connaissait jusque-là que par une face externe pas trop irritante et donc nullement inquiétante pour lui, ne pouvant par là que l’épouvanter et le choquer, ne serait-ce que par la soudaine brutalité de l’expérience à laquelle je me livrais, du fait que cet après-midi-là, sans crier gare, je découvrais et dévoilais complètement tout ce que, en dix ans de relations et d’amitié avec lui, je lui avais caché, tout ce que, finalement, peu à peu j’avais cherché à lui dissimuler avec une ingéniosité méticuleuse et calculatrice, tout ce que, sans relâche et sans faiblesse envers moi-même, je lui avais soigneusement voilé pour qu’il ne puisse rien découvrir de mon existence, aussi tout cela l’avait choqué au plus haut point, le Moritz, mais son épouvante n’avait en rien freiné le mécanisme maintenant impétueusement lancé de mes révélations, naturellement influencé par les conditions atmosphériques, et, peu à peu, comme si je n’avais pu faire autrement, j’avais découvert tout ce qui me concernait devant un Moritz complètement pris au dépourvu, cet après-midi-là, par mon traquenard mental, j’avais découvert tout ce qu’il y avait à découvrir, j’avais dévoilé tout ce qu’il y avait à dévoiler ; pendant toute cette scène, je me tenais comme toujours à la place du coin près de la porte d’entrée, en face des deux fenêtres, dans le bureau de Moritz, que j’appelais la pièce aux classeurs, pendant que Moritz, on était déjà fin octobre, était assis en face de moi dans son paletot d’hiver gris souris, ayant peut-être déjà trop bu à ce moment-là, je n’ai pas pu m’en assurer dans l’obscurité qui gagnait ; […] »

Thomas Bernhard, in Oui*, Gallimard, 1980. Page 503.
(*Oui, vraiment, inouï, magnifique.)

On pourrait penser que les récits de Thomas Bernhard vaincraient mes insomnies, eh bien pas du tout. Je n’ai aucune envie de dormir quand je le lis ; je reste très éveillée par l’attente du Point (0_0) puis je redémarre sans lassitude aucune. Sa vie me chamboule.

Dimanche 21 août.

Au réveil : mélancolie.
A midi : humeur joyeuse en écoutant Des papous dans la tête

Souvenir

Je nettoyais ce matin le verre du cadre d'une de tes photos et je restais un moment à regarder tes yeux qui me souriaient.
Je me souvins alors de cette photo de toi sur le bateau-mouche lorsque nous étions en touristes à Paris. Je la cherchais dans mes albums et je la trouvais.


Là on ne voit pas tes yeux et tu ne souris pas, mais je te trouve beau.
C'était en 1960.
Tu es mort trop tôt papa, en 1965. J'avais... euh... Bref, j'étais très jeune.

samedi 20 août 2011

En remontant la rivière de l'Odet

Mercredi 17 août.

Superbe balade sur la rivière de l’Odet, de Quimper à Bénodet, aller et retour. Le bateau longe la rive… Je connaissais la route des châteaux en voiture mais les apercevoir ainsi, de et sur la rivière, est magique. Nous avons le droit aux commentaires historiques "de la" guide, d’une voix monocorde, celle du retour sera bien plus dynamique avec quelques épisodes de la vie de ces châtelains.
Départ à 10 h 30 de Quimper, arrivée à midi à Bénodet. Peu de monde sur le bateau, belle lumière du matin. Avec mon amie nous sommes des touristes dans notre région pour la journée. Cette balade est simplement divine. Au retour le bateau était archi plein.

 Château de Lanniron



 Château de Kerambleiz



Château de Kerouzien


Pont de Cornouaille


Déjeuner à Bénodet sur la terrasse de l'Alhambra qui surplombe la mer, d'où nous apercevons Sainte-Marine.
Je n'ai pas fait de photo, par politesse pour mon amie qui ne supporte pas de me voir sans arrêt avec mon appareil; elle a raison, le temps du déjeuner, profitons l'une de l'autre pour échanger nos impressions et nous remplir les yeux de cette vue. Néanmoins on aperçoit l'Alhambra et son Minaret sur cette photo prise du bateau.

L'Alhambra

Sainte-Marine, le port

Sur le bateau je menais ma vie indépendante de... photographe amateur, me déplaçant sans cesse tandis qu'elle restait assise sur son siège, frisant l'insolation au retour.

Ce fut une belle journée d'été.

(Attention, baisser le son:)) MDR!

Instant

Il m'arrive de me trouver tristement pathétique.

"L'ironie n'enlève rien au pathétique. Elle l'outre au contraire."
[Gustave Flaubert] Extrait d'une Lettre - 9 Octobre 1852.

vendredi 19 août 2011

***

J'aurais tellement de choses à dire en ce moment, que je n'arrive pas à faire le tri.
S'impose le silence. C'est le début de la sagesse... ou de la paresse.

A taaaaaaaaaaaaable!

mardi 16 août 2011

Charlie Jeffery


Et je continue, assidûment, mes visites d’exposition au Centre d’Art Contemporain. En ce week-end du 15 août, tandis que la ville s’assoupit et que les touristes sont à la plage, c’est plutôt agréable de visiter une expo quand tout le monde semble avoir déserté la cité.

WHY STAND
WHEN
YOU CAN FALL
DE CHARLIE JEFFERY

Comme d’habitude, je fais un premier tour des salles rapidement, pour m’imprégner de l’atmosphère, étrange.
Comme d’habitude, je reviens au point de départ et, cette fois je m'attarde dans chaque salle, je regarde chaque objet, sculpture, inscriptions, vidéos en suivant les explications sur la brochure. Sans cette brochure je serais complètement paumée et, je l’avoue, incapable de donner un sens à ce que je vois.
Comme d’habitude, j’ai du mal à comprendre pourquoi, alors que je ne suis pas initiée à ce genre d’art, j’éprouve un plaisir certain dans cet environnement d’œuvres bizarres, qui donnent à la matière et aux couleurs son propre langage.
A vrai dire, je m’amuse beaucoup, je ris, tellement je trouve certaines visions de l’artiste complètement folles.
Et puis, je m'enrichis en découvrant un artiste qui me dirige vers d'autres créateurs que je ne connaissais pas.

Charlie Jeffery est né en 1975 à Oxford, il est diplômé de l’école des beaux-arts de l’université de Reading, en Angleterre. En 2001, il réside à la Fondation Pistoletto, Cittadellarte à Biella en Italie. En 2010, il est invité avec le Mud Office en résidence à la Synagogue de Delme. Depuis 1998, il vit et travaille à Paris.

Donc je lis :
"Pourquoi rester debout alors que tu peux tomber."

"Ce titre choisi par Charlie Jeffery pour son exposition personnelle au Quartier, engage un rapport direct au spectateur et pose d’emblée la question du positionnement du corps. Sous forme d’aphorisme, ce titre établit une équivalence entre la posture traditionnelle du visiteur d’exposition et une chute possible.
Les phrases sont inventées ou collectées à partir de chansons ou de conversations puis recyclées sur différents supports : inscrites à la volée sur des bouts de papier, notées dans le creux de la main ou bien gravées dans la pierre.

La diversité des matières employées (néons, adhésifs, carton…) révèle une plastique du langage où varient les couleurs et les rythmes, comme s’il s’agissait de sculpter le temps et de marquer le caractère fugitif de ces pensées.

Block chair (Fauteuil cube)
Bois contreplaqué.
Ce fauteuil mis à la disposition des visiteurs est composé de deux éléments qui s'emboîtent parfaitement formant ainsi un volume à l'apparence d'une structure minimale. Réalisé en contreplaqué, il met en évidence la technique de fabrication de ce matériau : le collage de strates successives de bois et la compression qui les solidifie. Sa disposition dans l'espace d'exposition face au texte invite le visiteur à s'asseoir et à adapter sa posture.




Block of dust.
Sculpture faite de poussière et de cheveux (0_0)

Modernist dream (nothing was ever read)
Carton et colle.

Divide it your self (Divise le toi même) 2006
Chaise coupée en deux à la hache puis rassemblée comme un objet scindé confronté à son double, cette sculpture est représentative de la pratique artistique de Charlie Jeffery. Ce n'est pas sans raison qu'il a choisi une chaise, l'une des plus célèbres références de l'art conceptuel avec Kosuth. Mais elle porte ici les traces brutales du geste de découpe à la hache et d'un assemblage précaire inversé.

L'artiste travaille souvent à partir d'objets trouvés dans la rue ou de matériaux banals : carton, meubles usagés, polystyrène, mousse expansée, boue, poussière. Il ne s'agit pas ici d'une volonté écologique de recyclage, ce choix n'a pas de portée idéologique. Mais il s'évertue à donner une forme à ces objets, à révéler leur potentiel, en les reconfigurant jusqu'à faire surgir des résultats inattendus.

Any number of divisions 2010
Opercules

Different liquid substances 2010-2011
10 sculptures en Plexiglas.
Cette série de sculptures aux formes dynamiques, conçues à partir de feuilles de Plexiglas éclatées puis réagencées, décline des jeux de transparences et de couleurs. Chaque sculpture est autonome mais dessine avec les autres une forme de constellation.

Jeffery emploie également la figure du double, comme dans ses vidéos où, affublé d’un masque d’âne, il met en scène l’alter ego de l’artiste.
Dans Donkey Work, inspiré des performances grotesques et subversives du californien Paul McCarthy, il entame la destruction violente et systématique d’un mobilier domestique tandis que l’image subit un double renversement : elle est retournée et le sens de l’action est inversé. Cette vidéo aborde la relation aux objets et manifeste les conditions d’aliénation de notre quotidien.


Reproduce (Reproduire) 2007-2011
Photocopieur brisé à l'aide d'une hache (0_0)
(Cliquer pour agrandir)
A la perception de l'amoncellement de matière se superpose l'image mentale de l'énergie qu'il a fallu dépenser pour détruire cet objet. Confrontant le geste du sculpteur aux techniques de reproduction mécaniques, cette destruction d'un outil de travail devient matière à de nouvelles formes de création.


Charlie Jeffery considère l’art comme une activité contingente qui prend place dans un écosystème où les idées, les matières, les formes se contaminent.

The violent past (Le passé violent) 2011
Vidéo de 53' (j'ai tenu 44').
Ces quelques mots extraits d'un reportage diffusé sur la BBC et remis en boucle de manière aléatoire créent des rythmes irréguliers. Ce phrasé répétitif piège le spectateur dans sa propre perception de la violence et du passé.

Gradually modified in the mind
(Graduellement modifié dans l'esprit) 2010
Bloc de pierre d'Espagne gravée.
Cette sculpture est issue d'une série de huit pierres gravées réalisée lors d'une résidence dans le Lot et qui avait été installée dans le lit d'une rivière. la pierre usée par le courant comporte les traces de lichen témoignant du passage du temps.
(Beaucoup de lichen in my mind (0_0))

L’installation sonore, The Violent Past, conçue en écho à l’installation de Gustav Metzger présentée dans le Project Room, révèle un intérêt pour la mémoire historique et revendique la possibilité pour chacun, artistes et spectateurs, d’une distanciation critique. »


(Cliquer pour lire)
Gustav Metzger (nationalité apatride) est né en 1926 à Nuremberg (Allemagne), vit et travaille à Londres (Grande Bretagne)

Source des textes et légendes : catalogue de l’exposition, qui se tient jusqu’au 23 octobre 2011 au Quartier à Quimper.

En quittant les salles d'exposition je me suis attardée dans la bibliothèque du CAC. J'y ai découvert cette amusante sculpture constituée lors d'une performance artistique en compagnie de l'artiste Charlie Jeffery. L'atelier s'est organisé autour de la notion de don, chacun des participants a été prié d'apporter un objet qui a intégré l'oeuvre produite lors de cette performance.
Ce chariot de golf ne pouvait qu'attirer mon attention! J'ai failli emporter la montre mais je n'ai pas osé. Pourtant je trouvais l'idée intéressante. Beaucoup d'objets avaient déjà été subtilisés.



J'ai passé un excellent 15 août pour la Sainte Marie : bonne fête maman!

samedi 13 août 2011

Un personnage déroutant


Vu ce soir un documentaire sur James Ellroy :
"American Dog"

"Ma mère m'a donné ce cadeau et cette malédiction : l'obsession. Celle-ci a débuté en lieu et place d'un chagrin d'enfant. Elle s'est épanouie, en quête d'un savoir obscur, avant de se muer en une abominable soif de stimulation mentale et sexuelle. Mes pulsions obsessionnelles ont failli me tuer."
James Ellroy.

Je pioche un peu au hasard à la médiathèque les DVD dans la rubrique "portraits d'écrivains". J'avais pris celui-ci en même temps que celui de Jim Harrison. A vrai dire je ne connaissais ni l'un ni l'autre, si ce n'est de notoriété, n'ayant jamais eu l'occasion (ou l'envie) de les lire. Autant j'ai été enthousiasmée par le "portrait de Jim Harrison", autant celui de James Ellroy m'a seulement intéressée pour la complexité du personnage, sans me sentir aucune affinité avec lui.
Ci-dessous, début de ce portrait :



Extrait :



Je trouve amusant, voire passionnant de découvrir par hasard des portraits d'auteurs qu'il ne me serait pas venu à l'idée de lire. Jim Harrison dégage une générosité, une chaleur humaine incroyable. Difficile d'en dire autant pour James Ellroy. L'un est le feu, l'autre la glace. Un point commun : la folie... douce pour l'un, furieuse pour l'autre.

« Il faut sortir de l'omerta sur l'euthanasie »

Le Dr Nicolas Bonnemaison a été mis en examen pour empoisonnement. Son conseil, Me Arnaud Dupin, entend porter l'affaire au plan éthique

"La loi accuse votre client d'« empoisonnement »…

On aura un grand débat médical sur la nature du curare. Mais comment voulez-vous dire à un médecin qu'il est un assassin, quand en réalité il a assisté quelqu'un dans ses dernières heures, lui évitant des souffrances ? C'est absurde. On est dans une situation ubuesque."

Je ne vais pas radoter sur le sujet. J'ai déjà dit ce que j'en pensais.

J'ai signé la pétition en sa faveur.

19 février 2012 :
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vendredi 12 août 2011

Quand la constance vous mène à l’essence. "L'homme qui s'exprime vraiment ne traduit pas."



« Elle était grande avec des bras blancs. Elle avait les cheveux comme ils ne sont pas dans la nature. Ils étaient finement frisés derrière la nuque et sur les oreilles où ils semblaient beaucoup de petits coquillages mis les uns à côté des autres. Il la voyait de dos. Il la voyait à présent de face. Alors il voit aussi qu’elle le regarde et, quand elle passe à côté de lui, ses yeux à elle vont de côté. Et il veut s’en aller, mais il ne s’en va pas. »
Page 73.

« Un oiseau s’est mis à crier un peu au-dessus de lui dans les arbres : c’est le temps où ils ne chantent plus. Un oiseau crie, un autre lui répond avec les mêmes cris et on entend le bruit qu’ils font avec leurs ailes. Un oiseau siffle un bout de chanson sur trois notes, puis cesse de siffler, et, de tous les côtés, un grand bavardage commence, comme quand beaucoup de vieilles femmes sont ensemble, dans les arbres qu’on commence à voir. Ils se défont par leurs pointes de la compacité de l’air avec laquelle ils faisaient corps et par leurs pointes ils se séparent. C’est haut au-dessus du rivage. Il était assis sur un rocher. On commençait à tout voir, tout ce qui est vrai, tout ce qui existe. Le lac devenait rose comme un champ d’esparcette au moment de la floraison. Des villes sont de l’autre côté. On recommençait de les voir. On voyait que c’étaient des villes. On voyait que c’étaient beaucoup de maisons qui faisaient des points clairs et que ces points clairs à certaines places se rejoignaient, faisant des taches, c’est-à-dire qu’il y avait deux grandes taches et puis d’autres plus petites, sur la pente de la montagne qui est surmontée par des parois de rochers. Et les parois, elles aussi, se sont éclairées, comme si on avait allumé une lampe derrière. »
Page 154.

C.F. Ramuz, in Le garçon savoyard, éditions Bernard Grasset (1937), collection Les Cahiers Rouges, 1997.

Il commençait à me tomber des mains à la cinquantième page mais j’ai insisté, je suis allée jusqu’au bout de ce livre, je l’ai terminé.
Je n’avais jusqu’à présent lu que quelques extraits de son Journal et cela m’avait bien plu. Ce que j’acceptais pour son journal, une écriture poétique, simple, agréable, que je considère comme le langage parlé de l’auteur, me dérangeait dans ce roman. Quelle étrange écriture, j’avais parfois l’impression de lire un livre écrit par un enfant, ou de découvrir un style littéraire d’adulte qui serait en quelque sorte de "l’écriture brute" comme l’on parle de "l’art brut" de "l’art populaire", de "l’art naïf".

Pour tenter de comprendre cette écriture singulière, je suis allée -après lecture de l'ouvrage - lire ici ou là quelques textes et je me sens un peu rassurée, si je puis dire, je ne m’étais donc pas trompée ;  je comprends maintenant mon étonnement :

« Si ses livres ne sont pas à proprement parler des succès de librairie, il obtient la reconnaissance de ses pairs, mais son style fait polémique. En effet, il n'hésite pas à malmener la syntaxe pour trouver une langue expressive, qu'il oppose à la langue morte des grammairiens. On lui reproche de « mal écrire », et de mal écrire « exprès ». La polémique est engagée. Partisans et détracteurs de l'écrivain s'expriment notamment dans un ouvrage collectif dirigé par Henry Poulaille et portant le titre explicite de : Pour ou contre C. F. Ramuz (1926). L'écrivain réagit à son tour en publiant en 1929 son fameux plaidoyer intitulé Lettre à Bernard Grasset. Courtisé par Jean Paulhan qui souhaite le voir intégrer la maison Gallimard, Ramuz reste fidèle à Grasset, mais donne toutefois quelques textes à la Nouvelle Revue française. »

« S'il continue à prendre ses sujets dans un monde paysan à bien des égards archaïque, et fidèle à son principe selon lequel on peut atteindre à l'universel par le biais de l'extrêmement particulier, il développe alors une langue expressive et novatrice, saluée notamment par Paul Claudel et Louis-Ferdinand Céline. »

Dans sa Lettre à Bernard Grasset de 1929, Ramuz précise son rapport avec la Suisse romande :

“ Mon pays a toujours parlé français, et, si on veut, ce n’est que “son” français, mais il le parle de plein droit (...) parce c’est sa langue maternelle, qu’il n’a pas besoin de l’apprendre, qu’il le tire d’une chair vivante dans chacun de ceux qui y naissent à chaque heure, chaque jour.(...) Mais en même temps, étant séparé de la France politique par une frontière, il s’est trouvé demeurer étranger à un certain français commun qui s’y était constitué au cours du temps. Et mon pays a eu deux langues: une qu’il lui fallait apprendre, l’autre dont il se servait par droit de naissance; il a continué à parler sa langue en même temps qu’il s’efforçait d’écrire ce qu’on appelle chez nous, à l’école, le “ bon français ”, et ce qui est en effet le bon français pour elle, comme une marchandise dont elle a le monopole. ”. Ramuz écarte l’idée que son pays soit une province de France et dit le sens de son œuvre en français: “ Je me rappelle l’inquiétude qui s’était emparée de moi en voyant combien ce fameux “ bon français ”, qui était notre langue écrite, était incapable de nous exprimer et de m’exprimer. Je voyais partout autour de moi que, parce qu’il était pour nous une langue apprise (et en définitive une langue morte), il y avait en lui comme un principe d’interruption, qui faisait que l’impression, au lieu de se transmettre telle quelle fidèlement jusqu’à sa forme extérieure, allait se déperdant en route, comme par manque de courant, finissant par se nier elle-même (...) Je me souviens que je m’étais dit timidement: peut-être qu’on pourrait essayer de ne plus traduire. L’homme qui s’exprime vraiment ne traduit pas. Il laisse le mouvement se faire en lui jusqu’à son terme, laissant ce même mouvement grouper les mots à sa façon. L’homme qui parle n’a pas le temps de traduire (...) Nous avions deux langues: une qui passait pour “ la bonne ”, mais dont nous nous servions mal parce qu’elle n’était pas à nous, l’autre qui était soi-disant pleine de fautes, mais dont nous nous servions bien parce qu’elle était à nous. Or, l’émotion que je ressens, je la dois aux choses d’ici... “ Si j’écrivais ce langage parlé, si j’écrivais notre langage...” C’est ce que j’ai essayé de faire...” (Lettre à Bernard Grasset (citée dans sa version préoriginale parue en 1928 sous le titre Lettre à un éditeur ) in Six Cahiers, n°2, Lausanne, novembre 1928). »

Je m’aperçois en faisant mes recherches qu'il était inconvenant de ma part de parler d’une écriture "enfantine". Comment puis-je me permettre de poser cet avis en n’ayant lu que deux cent pages de l’œuvre de cet écrivain ? Je comprends aujourd’hui qu’il écrivait pour le peuple, pour les paysans et qu’il n’était lu que par des universitaires et des intellectuels. Aurai-je donc réagi comme une intellectuelle ? … que je ne suis pas.

Je ne suis pas amateur de romans et je vais donc me diriger vers ses Correspondances et son Journal, dont l’extrait que l’on peut lire ici, ne reflète en rien l’écriture du roman que je viens de lire. Cependant, après avoir lu sa Lettre à Bernard Grasset, j’ai vraiment envie de lire un autre (ou plusieurs) roman qui confirmera ou infirmera ma première impression d’écriture « singulière ». Je pense que je le lirai avec un autre regard. J’ai d’ailleurs lu le dernier chapitre du Garçon Savoyard, avec cet autre regard, je comprenais un peu mieux l’âpreté du style, qui ne cherche pas à plaire, qui dit les choses… comme elles viennent et n’ont pas manqué alors de m’émouvoir, car il y a bel et bien de la poésie ici :

« Mais les nuages vont tous du même côté ; alors il est allé où allaient les nuages ».
[…]
On ne s’arrête pas. Le bateau devient petit, étant déjà assez loin de la rive.
Et l’eau soudain s’enflamme comme quand on met l’allumette dans un tas de copeaux : alors Joseph a été dessus ; il est là-bas sur son bateau qui n’est déjà plus qu’un point noir.
[…]
Il a entonné la chanson tourné vers la montagne.
Il lève le bras, on a le temps. Il tient le couteau, la lame ouverte, dans sa main droite :

J’irai suivant sa trace,
tandis qu’elle me fuit,
jusqu’au fond de l’espace,
jusqu’au bout de la nuit…

A l’autre bout du monde
s’il faut, vivant ou mort ;
et si la terre est ronde
on sortira dehors.


Il voit que la terre est ronde ; il voit qu’il faut sortir de la terre. Il entend une dernière fois la montagne qui appelle : "Jo… Jo… seph…" mais le son ne lui parvient plus qu’amorti, étouffé, à cause de la distance. Il se couche au fond du bateau. Il a vu qu’il avait le temps.
On n’entend pas encore le bruit du canot à moteur.
Il a vu que la terre est ronde, mais, ce qu’il voit aussi, c’est qu’il est dans une bonne direction.
Il va où vont les nuages. Une petite brise matinale le pousse où sont eux-mêmes poussés. Il tâte avec la main les planches qui servent de fond au bateau ; il les sent sous sa main toutes pourries et molles. Il voit qu’il va où « elle » est : c’est pour la rejoindre. Un nuage. Un joli nuage là-haut. Un joli nuage au-dessus de vous. La lame s’enfonce d’un coup dans les planches, puis il la fait tourner dans sa main.
Il entend Larpin qui l’appelle :
- Eh ! Joseph qu’est-ce que tu fais ? où vas-tu ?
Mais en même temps il voit qu’un fil a été tendu au-dessus de lui d’une pointe de montagne sur l’une des rives à une autre pointe sur l’autre. Est-ce là-haut ou là-dessous ? Est-ce qu’il "la" voit de bas en haut ou s’il "la" voit de haut en bas ?
Là-dessus et là-dessous, c’est la même chose. Il fait tourner encore une fois sur elle-même la lame de son couteau ; et elle fuit, mais il se fuit, et ainsi il va la rejoindre.
Elle s’élève, elle ne pèse plus. Elle a échappé à la mort, mais j’échapperai par elle à la mort.
Il fait tourner son couteau dans le trou que peu à peu il a creusé dans l’épaisseur de la planche.
Elle est debout sur une poussière d’air, sur une colonne de vapeur, sur un nuage ; et, en même temps qu’il descend et s’enfonce, il voit qu’il se rapproche d’elle davantage ; pendant qu’on l’appelle encore, mais il n’entend plus.
Elle s’élève, il descend vers elle.
Et elle n’a plus été vue, mais lui, non plus, il n’a plus été vu, parce qu’il avait crevé l’eau en même temps qu’elle crevait l’air. »
Pages 198 - 199.

Il serait reconnu aujourd’hui pour "la modernité de son écriture". Je ne nie pas que Le garçon savoyard est un beau sujet philosophique : Ramuz dresse le portrait d’un homme épris d’absolu, désarmé et gouverné par l’absurdité de la vie. L’apparition d’une acrobate incarne pour lui la perfection, la beauté mais aussi l’artifice. Il n’aura de cesse de la retrouver mais il lui faudra choisir entre le rêve et la réalité.

Ce que l’on dit de cet ouvrage :

"Ce roman sur l’artifice et l’onirisme est l’un des plus achevés, des plus ambitieux du grand Ramuz."
Quatrième de couverture.

Le garçon savoyard.
Lausanne: Mermod (Aujourd'hui); La Guilde du livre, 1936.
Lausanne: Plaisir de Lire, 1977
Paris: Grasset, coll. Les Cahiers rouges (246)

Le garçon savoyard est tourmenté, comme Bolomey [Adam et Ève], du même désir d'échapper à la prison des corps. Mais tandis que le paysan vaudois accepte, pour finir, d'être victime de la malédiction que fait reposer sur nous le péché originel, Joseph, le garçon de Savoie, trouve dans le crime et dans la mort, enfin, la liberté. Tout le roman - et c'est l'un des plus admirables de Ramuz - est traversé d'une sorte de passion vengeresse. Cet amour humain, qui nous leurre, qui jamais ne s'égale à notre besoin d'infini, Joseph veut le tuer. Il ne sait rien, lui, de la malédiction biblique.
Guyot, Charly. Comment lire C.F. Ramuz. Paris: Éditions Aux étudiants de France, 1946, p.80).

Ramuz a noté dans son Journal sous la date du 7 janvier 1902 :
"Je m'amuse à copier des bouts de textes qui sont, lus le matin, un enchantement pour tout le jour. Non pas seulement des pensées, mais de simples notations, où la seule inflexion de la phrase est en jeu, la seule succession des objets envisagés, mais tournées de telle sorte qu'elles éveillent en vous quelque sentiment essentiel, qui y réponde, y participe et, en quelque façon, y collabore."

Les œuvres complètes de C.F. Ramuz, éditions Gallimard, coll. La Bibliothèque de la Pléiade, 2005. 2 vol.

mercredi 10 août 2011

Signature artistique

Ceci est une oeuvre d'art!
Euh! Non, c'est une signature.

N'est-elle pas magnifique? Avec quelle dextérité, quelle légèreté dans le geste, il a signé sa prescription. Ce toubib est un artiste, c'est sûr. D'abord, il fallait voir comment il m'a questionnée, décortiquée, déchiquetée pour entrer dans les moindres détails, non pas de mon anatomie qui n'avait guère l'air de l'intéresser, mais de mon cerveau. Il m'a laissé parler, assez peu car dès que je lui parlais concrètement de mes maux, il me disait : ce n'est pas ça qui m'intéresse. Tsss! Alors il s'est mis à me poser des tas de questions qui n'avaient rien à voir avec le pourquoi du comment qui m'avait dirigé chez lui. Des questions que jamais un toubib ne m'avaient posées. J'y répondais avec DE LI CE. Enfin un médecin dont la spécialité n'est ni la psychiatrie, ni la psychanalyse, s'intéresse à mon cerveau et, nous savons bien que le cerveau est le siège de toutes les commandes de l'organisme. Ah ah!
Il a rempli deux feuilles pendant ce temps avec des gribouillages mais aussi des arabesques aussi gracieuses que sa signature.
Bref, ses questions et, mes réponses, je les garde pour moi.

Résultat, il m'a prescrit du poison, enfin, disons un médicament qui en contient, à dose homéopathique, à prendre le dimanche. Rires de baleine, je lui demande : tant qu'à faire, vous ne pourriez pas m'en prescrire pour tous les jours de la semaine, une dose mortelle quoi, qu'on en finisse? Il a rigolé... Ben oui, quand il m'a demandé si j'avais peur de mourir, je lui ai dit : pas du tout! Et j'étais sincère. "Mourir... la belle affaire...".
Prescription pour 6 mois.


Il était 12 h 30 quand je suis sortie de son cabinet. Je rentre à la maison, pas envie de préparer une salade. Je ressors. Le temps est propice à un déjeuner en terrasse...
Les restaurants sont pleins, les terrasses aussi et les plus fréquentées sont bruyantes, beaucoup de touristes et des jeunes enfants qui piaillent. Flûte j'ai envie de calme. Mon Dieu qu'il fait bon. Chouette, une table ici, dans cette ruelle à l'ombre. Je n'y avais jamais déjeuné. Je prends ces photos de l'endroit où je suis attablée, la lumière n'est pas bonne, mais j'essaie d'être discrète.



Près de ma table, un couple en est déjà à l'addition. Le mari s'absente pour aller régler et la femme entame la conversation avec moi, je lui avais adressé un sourire.
Nous sommes venus voir l'exposition me dit-elle, comme s'il n'y avait qu'une seule expo à voir en ce moment à Quimper. Il faut dire que celle-ci vaut le déplacement de... Loire-Atlantique. Il sont venus pour la journée à Quimper et l'ont donc visitée ce matin : De Turner à Monet. Pas le temps de nous étendre sur le sujet, dommage, il était déjà 14 heures (il est vrai que je suis arrivée tard dans ce restaurant), ils allaient reprendre la route et le mari était revenu.
Une adresse à retenir, c'était excellent : La maison des Cariatides. En sortant je photographie la façade.


Ci-dessous, une carte postale ancienne. Cette maison date du 16e siècle. Il semblerait que le timbre date de 1917 (sans aucune certitude).


Crédit photo : Mairie de Quimper.