vendredi 1 janvier 2010

Philippe Annocque



Regard, d'après une photo de Olivier Roller

Un nom qu'on ne peut pas oublier quand on plonge dans un de ses livres. Et ces derniers jours j'ai eu du mal à sortir la tête du "Hublot" tellement j'étais à (au) fond dans son roman , Une affaire de regard*. Une nouvelle fois je jubilais en découvrant un écrivain et en fermant mon livre tout à l'heure je ne pensais qu'à une chose : vite, lire le suivant, parce que se dire en arrivant à la dernière page qu'on aimerait qu'il fut sans fin, c'est assez rare pour vouloir lire tous les autres! C'est donc que ma jubilation est grande puisqu'il m'arrive le même "truc" qu'avec Jean-Philippe Toussaint (mon chouchou contemporain) : vérifier que ses autres ouvrages me procurent le même plaisir. Philippe Annocque n'aimerait sans doute pas que je fasse un rapprochement avec Toussaint et il aurait raison car un écrivain est toujours quelqu'un de singulier, d'incomparable, mais, justement, c'est pour cela que je parle aussi de Toussaint en parlant de Annocque. (C'est confus ce que je dis mais je me comprends;o))
Une affaire de regard est le premier roman de l'auteur. Le narrateur parle de lui à la troisième personne "Il" et j'avoue que souvent j'avais très envie de croire au "Je". Dans les quelques critiques que j'aie lues de ce livre on parle parfois d'échec dans tout ce qu'entreprend le narrateur, de dérision de ce regard qu'il porte sur lui-même. Je n'ai pas vraiment ressenti cela, j'y ai vu comme une éducation sentimentale (je voudrai bien mais j'y arrive pas) au sortir de l'adolescence, avec ses inquiétudes, son humour, ses questions existentielles, son introspection, sans complaisance. "Il" apprend la vie avec tous ses questionnements, des plus simples aux plus fouillés. J'y ai lu de la douceur, de la délicatesse, de l'ironie sur ce regard porté sur lui-même, je suis rentrée à fond dans les pensées de ce narrateur, ses incertitudes et séduite par le style de l'auteur. Et j'ai ri et souri, souvent, y trouvant beaucoup de fraîcheur, une légèreté profonde et un humour bien particulier, qui m'a séduite.

"En même temps, il n'est pas là. Et il est content, d'une certaine manière de n'être pas là, d'être ailleurs, nulle part, disons quelque part en lui-même; là finalement on n'est pas mal, là finalement on est plutôt bien".

"Il est normal que l'on voie les choses sous un angle différent au réveil, que minuit et neuf heures du matin sont des heures de nature, trop différentes. Maintenant que l'un l'a rassuré un autre peut plaisanter sur l'heure qu'il faudra conseiller au lecteur, en 4ème de couverture, pour qu'il puisse apprécier l'oeuvre dans les meilleures conditions".

"Et il est bien amené à faire un sort au langage lui-même; il ne doute pas au fond de lui, il s'en rend bien compte, que la plupart des gens ne doivent pas, ne peuvent pas avoir une pensée de nature aussi verbale, et que le verbe qu'il nourrit en lui et qu'il exerce à exprimer au plus près de la réalité, en cela même qu'il est le verbe, le coupe de cette réalité et lui en évite les heurts".

"... et déjà il se voit écrire (...) il se voit (...) en train de poursuivre son oeuvre, disons de poursuivre, mais surtout en train de."

C'est difficile de sortir des extraits de leur contexte pour en saisir le ton qui est celui du roman dans sa totalité. Il faut absolument le lire, entièrement.

* Une affaire de regard, Philippe Annocque (Le Seuil, 2001). Ici