mercredi 13 janvier 2010

L'éternité ou presque

"Son âme se détachait de son corps. Jeune, jamais elle n'avait pensé que l'âme et le corps fussent distincts. Mais son âme, qui acceptait difficilement les changements et continuait à rêver d'avenirs radieux, prenait désormais ses distances avec ce corps si vulnérable à l'épreuve du temps. Pour combler ce retard, son âme recherchait de nouvelles forces spirituelles capables de pallier ce que le corps n'était plus en mesure de faire. Mais il y avait un lien subtil entre puissance vitale et créativité et peut-être fallait-il donner à la fertilité cette seule signification.
Celui qui pouvait tomber amoureux d'elle aujourd'hui devait être séduit par son âme avant de l'être par son corps. Elle était toujours très étonnée par ces femmes qui mettent leur corps en avant, quel que soit leur âge, exhibant bras, jambes, seins flétris avec le même orgueil qu'à vingt ans. Mais l'amour n'avait jamais été l'affaire des âmes, pas plus que celle des corps. C'était, selon les philosophes de l'Antiquité, une affaire de
synolon, lien indissoluble entre l'âme et le corps, l'un ne pouvant exister sans l'autre. C'était peut-être ce contretemps qui faisait croire à l'immortalité de l'âme, cette transformation lente, d'une lenteur qui semblait s'accentuer encore avec l'âge, alors que le corps, lui, vieillissait à une vitesse extraordinaire. Viendra un jour, lui avait dit sa gynécologue, où cette incapacité de l'âme féminine à gérer les changements pactisera avec ce corps, et là, dans un sprint final, elle aura le dessus sur les hommes, dont le corps et l'âme vieillissent plus doucement, mais dans un même mouvement continu."
Antonella Moscati, L'éternité ou presque (éd. arléa).

J'ai lu ce livre d'une traite cet après-midi (75 pages) comme si je voulais encore rajouter à la mélancolie qui commençait à me gagner. J'ai pourtant un autre livre en cours de lecture mais j'éprouvais le besoin d'un respiration, tant il m'engloutit dans ses eaux profondes (tiens, je crois avoir déjà dit cela à propos de Virginia Woolf).

Née à Naples, Antonella Moscati est philosophe et traductrice. Elle a publié Verbali chez Léo Scheer. Elle partage sa vie entre Sienne et Paris.
En quatrième de couverture :
Qu'est-ce que l'expérience du temps? Quand finit la jeunesse et où commence la vieillesse?
Celle qui se pose - et nous pose - ces questions est une Italienne de plus de quarante ans*, qui voit peu à peu le regard des hommes se détourner d'elle*. Elle songe alors à sa jeunesse, si proche, si présente et pourtant perdue. Elle n'éprouve aucune nostalgie mais une peur panique et furieuse de ne pas vivre toujours.
Dans ce singulier récit philosophique et méditatif, Antonella Moscati aborde les différents âges de la vie avec une vivacité toute napolitaine. Elle tente de débusquer l'éternité dans le temps qui passe et s'interroge sur cet "étrange décalage entre ce qu'elle pensait être encore et ce qu'elle était déjà".


* J'ai du mal à croire que le regard des hommes ne s'attardent plus sur les femmes de quarante ans! Les stigmates de la vieillesse apparaissent bien plus tard et à la quarantaine la femme d'aujourd'hui est toujours séduisante et se sent bien plus libre qu'à 20 ans. Elle parle aussi de fertilité disparue et qui serait la cause de son vieillissement. "Mais comment vivre avec ce corps infécond privé de ce qui faisait sa force?". Je me demande du coup, si le fait de ne pas avoir eu d'enfant n'a pas préservé ma jeunesse;o)? J'ai remarqué que beaucoup de femmes de mon entourage, qui ont eu des enfants, pensent aussi cela : devenir infertile c'est être vieille.
Finalement, ma mélancolie s'est dissipée en refermant le livre. Et pourtant mes 40 ans sont très loin derrière moi. Mais il me plaît de savoir que l'amour est une affaire de synolon, ce lien indissoluble entre l'âme et le corps.