vendredi 8 janvier 2010

Par temps clair


"Tu es mort.
... depuis toujours, tu meurs."

Ce sont les premiers et les derniers mots (j'ai lu tumeur) de ce livre que je viens de terminer : Par temps clair* de Philippe Annocque. Un livre que l'on a du mal à refermer tant qu'il n'est pas terminé, et même là, on ne le ferme pas; les pensées de Paul nous poursuivent.
Cet écrivain a une écriture, un style très particulier une manière de disséquer ses pensées dans les moindres détails, avec une pointe d'humour et de dérision. Je n'ai lu que deux livres de l'auteur, avec le même plaisir. Encore de la jubilation à venir j'en suis sûre avec Les chroniques imaginaires de la mort vive et Liquide.
"Lire, c'est comme s'assoupir : le livre dans les mains, alors qu'il reste encore tant d'autres choses à faire, s'ouvre au hasard; le titre d'un chapitre accroche le regard. Quand tu t'en rends compte, tu as déjà lu trois pages; à quoi bon s'arrêter?
Il te parle de toi, bien sûr. Ce subit réveil du dipneuste africain*, quand tombe la première averse depuis des mois, depuis des années (lui qui tout ce temps s'était évanoui, enkysté dans la vase; dont même la discrète respiration, pulmonaire, démentait l'existence d'un poisson); c'est le tien, bien sûr, ce réveil - le mien, plutôt, celui d'un compagnon virtuel et latent convoqué par l'évidence, soudaine comme la saison des pluies, de ta solitude."


Toujours le même problème avec cet auteur pour parler de son roman; trouver l'extrait adéquat, quand c'est tout le livre que vous voudriez souligner.

"Tu te sens trop penser, en quelque sorte tu t'entends presque, très souvent; et çà n'est pas bien agréable.
(...)
Ta pensée s'est tue un instant, tu t'en es rendu compte, dans un sursaut tu l'as relancée, voilà : tu l'entends de nouveau".

"C'est comme çà que tu te perds de vue, que tu te perds : regarde comme un mot, pour peu que tu le répètes au-delà de ce que la raison tolère, voit son sens se défaire, se dissoudre.
Dans la répétition s'opère la perte du sens et la naissance du rite".


Dans une interview, l'auteur parle de son livre :
"Ce qui m'intéressait dans Par temps clair, c'était de montrer comment on devient égoïste, ou lâche, sans s'en rendre compte, à son corps défendant, par un simple réflexe d'autoprotection qui dégénère au fil des années. Montrer que ce qu'on est à un moment n'est pas l'ébauche reconnaissable de ce qu'on sera plus tard, qu'on reste le jouet d'une évolution qui nous dépasse et qui n'a pas de sens - d'où la référence à Steven Jay Gould en exergue, et les allusions à l'évolution biologique qui parcourent le texte".

* Par temps clair, Philippe Annocque (Melville, Ed. Léo Scheer, 2006)

* J'avoue qu'il m'a fallu chercher la signification de ce "dipneuste africain"!
Le dipneuste respire à l'air libre et peut descendre jusqu'à 30 mètres de profondeur. Il peut ramper dans la boue (Neoceratodus fosteri d'Australie). Certains dipneustes (Protoptère d'Afrique et Lépidosirène d'Amérique) s'enkystent en été : ils creusent un terrier dans la vase en début de saison sèche, et sécrètent un mucus qui les enferme dans un cocon.