dimanche 23 mai 2010

Stress 2

Il m'a appelé hier soir, sur un ton qui m'a fait battre le coeur, de peur; il m'a dit :
- J'attendais ton coup de fil. Tu m'avais dit que tu me rappellerais!
Je n'ai pas tenté de lui répondre :
- Oui, mais j'attendais encore un peu, le temps que tu te calmes.
Et puis, il ne savait pas qu'entretemps j'avais appelé sa femme pour prendre de ses nouvelles. Alors je lui ai dit d'une voix étranglée :
- Je n'osais pas.
Il marmonnait des mots que je ne comprenais pas, en ricanant, il n'avait pas l'air calme. Je ne savais que lui dire, je sentais qu'il aurait fallu peu de choses, un seul mot malheureux, mal choisi, qui ne lui aurait pas plu, pour que cela dégénère, comme la dernière fois. J'étais tétanisée.
J'ai poursuivi calmement mais j'avais peur qu'il se mette à crier.
- Arrêtons d'en parler, on ne va pas ressasser notre dernier coup de fil lui ai-je dit en tremblant.
Je n'allais pas lui dire que je n'en avais pas dormi de son "Oh toi ON te connaît".

(Crois-tu que je ne t'aime plus? Même si tu me fais peur car oui tu me fais peur mais je ne suis pas ta mère ni ta femme pour me laisser anéantir par ton foutu caractère qui n'a pas changé d'un iota malgré ton cancer. Est-ce un bien? Je ne le pense pas, la maladie, la fragilité du temps (et pas seulement pour toi) qu'il nous reste à vivre, devraient nous rendre meilleur, pour les autres. A quoi bon leur mener la vie dure alors qu'il nous faut essayer - contre vents et marées - de la finir le plus sereinement possible?)

Parenthèse, je reprends donc, au téléphone hier soir... J'étais bloquée, les mots ne venaient pas. Je ne pouvais pas te demander comment tu allais bien sûr.
Alors j'ai dit :
- Je vais venir te voir, pas ce dimanche mais l'autre. Je viendrai passer l'après-midi avec vous, pas déjeuner...
Il m'a coupé :
- Mais si, tu viens déjeuner! C'était tout de même une injonction qui interdisait toute réplique. Cependant, j'ai senti qu'il était moins nerveux, peut-être même était-il content?
Je ne sais pas, je ne sais plus. Je sais que j'ai peur de l'affronter quand il est comme çà. Je sais que je vais y aller la peur au ventre, qu'il va falloir que je trouve les mots. Surtout ne pas laisser le silence s'installer, c'est horrible en famille les silences, c'est souvent terriblement pesant. Je prendrai un calmant avant de partir. Je n'ai pas envie de redevenir sourde, comme après ce stress énorme il y a quatre ans quand j'appris sa maladie. J'ai des acouphènes depuis, cela suffit.

C'est à cela que je pensais en lisant le divin Marcel Proust cet après-midi.
"A cause de la violence de mes battements de coeur on me fit diminuer la caféine, ils cessèrent. Alors je me demandai si ce n'était pas un peu à elle qu'était due cette angoisse que j'avais éprouvée quand je m'étais à peu près brouillé avec Gilberte, et que j'avais attribuée, chaque fois qu'elle se renouvelait, à la souffrance de ne plus voir mon amie, ou de risquer de ne la voir qu'en proie à la même mauvaise humeur."
Puis j'ai mis de la musique, du blues, et j'étais bien, délicieusement bien, dans ma solitude.