Ben voilà, moi aussi je me replonge dans ma boîte remplie de cahiers. Au hasard, je sors mon Journal de 1995, mois de mai, j'étais alors au chômage.
Samedi 13 mai 95.
Contrat rompu d'un commun accord. Cela aura duré deux semaines, deux semaines de boulot et j'ai bousillé ma voiture; je n'aurai jamais dû accepter d'aller avec ma propre voiture (150 000 au compteur!) en mission deux jours pour cette boîte et à 350 kms. Je me sens complètement vidée, anéantie, au bout du rouleau. Oui et sérieusement déprimée. Toujours pas récupéré ma voiture; la note va être salée, je vais peut-être? non c'est sûr! être de ma poche et ce que je vais toucher pour deux semaines dans cette boîte ne paiera même pas les réparations. Pour l'instant je suis atone, incapable de penser à l'avenir ni à me défendre ni à quoi que ce soit. Ce monde de la pub m'emmerde au plus haut point.
Après la canicule il y a une semaine, températures hivernales, vent glacial. J'ai dû attraper cette crève en dormant fenêtre grande ouverte.
Mardi 16 mai 95.
20 h 45.
Dimanche et lundi j'ai relu mon Journal intime depuis 1977. Etonnement, de bonnes choses, d'autres puériles. A la relecture ce Journal est déprimant; c'est vrai que souvent je n'éprouve le besoin d'écrire que dans la tristesse. C'est dommage que je n'écrive pas mes moments de bien-être; c'est vrai aussi qu'il y en eût peu pendant les trois ou quatre années qui ont suivi ta mort. Mais j'ai trouvé quand même intéressant d'avoir noté des tas de sentiments que j'avais éprouvés. C'est la mémoire de ma vie.
...
Ce matin suis retournée chez ** pour récupérer mon chèque. ** était là, le nez plongé dans son journal. Mon Dieu il y a trop de cons dans ce monde...
Mercredi 17 mai 95.
Aujourd'hui passation de pouvoir. Mitterrand passe le relais de la Présidence de la République à Chirac.10 mai 81. Que de souvenirs forts avec toi.
Jeudi 18 mai 95.
Suis dans mon jardin, mon havre de paix. Suis déprimée depuis lundi. Envie de rien. Envie de rien faire. Grande fatigue. Je lis en ce moment Second Journal Parisien de Ernest Jünger. Ce livre faisait partie de ta bibliothèque, je ne l'avais jamais lu. Passionnant. La littérature m'aide à vivre. Va falloir que je retourne à la vie active, fréquenter le monde des cons. Pour l'instant envie de rien. Si, envie de rencontrer des êtres sensibles, humains, intelligents. Dans une semaine, 25 mai 95; 9 ans déjà que tu es mort.
Dimanche 28 mai 95.
14 h.
"Elle respirait la solitude; et pourtant personne n'avait essayé d'analyser cela; elle était comme ça, c'est tout". Un acteur américain parlant de Marilyn Monroe. J'ai le sentiment que moi aussi je dois "respirer la solitude".
Bonne fête maman chérie. Je t'aime. Aujourd'hui c'est la fête des mères.
Suis allée à Brest vendredi; déposé une plante et nettoyé un peu la tombe. Puis je suis allée chez J. mon amie d'enfance; elle m'a invitée à déjeuner; quelle maison magnifique et quelle vue incroyable sur le Fort de Bertheaume.
Suis arrivée avec la migraine; je me sentais très mal. J'avais pris le temps d'aller prendre un café serré avec deux cachets d'optalidon mais c'était trop tard, la crise était enclenchée.
Ai fait un effort mais elle a vu que j'étais mal; j'ai avalé son escalope à la crème avec écoeurement.
Suis repartie à 14 h 30. Nausée, mal de tête atroce. Me suis arrêtée sur une aire de repos vers Pont-de-Buis. Ai vomi. Ai tenu le coup jusqu'à la maison, la ventilation à fond dans ma voiture, des lancements des coups de marteau dans la tête. Que de moments gâchés dans ma vie par ces maux de tête.
Arrivée à la maison, ai été très malade, vomissements, migraine terrible. Me suis couchée à 17 h bourrée de médicaments - qui ne servaient plus à rien. Menthol et gant mouillé sur le front.
Essayé de me lever vers 20 h. Ne pouvais pas tenir debout.
Recouchée et dormi jusqu'à 9 h le lendemain.
Depuis vendredi j'ai la tête qui tourne. Pourtant je mange. J'ai des vertiges.
Lundi 29 mai 95.
16 h.
Je suis bien, délicieusement bien. Je lis Flaubert, son Journal : "Je me révolte et je ne me sens pas fait pour toute cette vie matérielle et triviale. Chaque jour au contraire, j'admire de plus en plus les poètes". Moi aussi, je n'ai envie de ne fréquenter que des poètes, des artistes.
Et bien voilà. Pas très gai tout ça, mais les années se ressemblent... (soupir). Bon, j'ai aussi dans mes cahiers intimes quelques épisodes plus guillerets et... amoureux, mais qui resteront dans le carton! 24 ans que tu es mort, c'est dingue comme les années défilent. Aujourd'hui quand je vais sur ta tombe, je n'ai plus la migraine et je ne vomis plus.
Donc, ceci est mon 400ème post! Encore 100 et j'arrête. Enfin, je pense; je m'étais dit 500 c'est un bon chiffre.