mardi 25 mai 2010

Le pouvoir des mots

J'envie ceux qui savent exprimer ce qu'ils ont dans le ventre, tenir un vrai Journal, qui n'intéresse que soi, n'écrire que pour soi, pour seulement, un jour peut-être, éclairer une âme perdue qui se retrouverait dans ces mots. C'est pourtant ce que je crois faire mais je sais que ce n'est pas vrai. Si c'était cela, je ne laisserais pas lire mon blog. Un inconnu m'a écrit récemment, me disant être tombé par hasard sur mon blog et là je le crois. Je me demande comment peut-on tomber par hasard sur mon blog? Mais bien sûr! on ne peut tomber ici que par hasard, à part la poignée de lecteurs à qui j'ai donné le lien. D'ailleurs, pourquoi leur ai-je donné le lien? N'est-ce pas la preuve que, malgré tout, j'ai envie d'être lue? et cette envie n'est-elle pas plutôt, envie de briser un peu cette solitude?

Je crois dans le pouvoir des mots qu'a cessé de gouverner la raison. Je crois dans le pouvoir des mots qui, d'un coup de rein, jettent bas la pensée guindée et corsetée. [...] Je crois au pouvoir des mots qui sont braves au combat pour sauver l'écriture de la mort.[...] Je crois au pouvoir des mots qui, n'ayant plus personne à aimer, ont encore à dire des choses vertigineuses sur l'absence d'amour. Je crois au pouvoir des mots qui t'évitent d'être immoral par médiocrité et moral par faiblesse craintive de Dieu ou des lois. Je crois au pouvoir des mots qui te rappellent que tu n'es pas un saint, pas un pur, pas une créature qu'une grâce miraculeuse dispenserait à tout jamais de la tentation du crime et de l'injustice. Je crois au pouvoir des mots qui ôtent à tes imperfections la tentation d'être vulgaires, stériles, insignifiants. Enfin, je crois au pouvoir des mots qui surmontent ton "misérable tas de petits secrets" (Malraux) par de foudroyantes tailles de diamant dans les yeux de l'être aimé. Car je crois aussi au pouvoir des mots de rendre l'homme meilleur, de meilleure qualité en toutes choses humaines. Au fil du temps se sont déposés dans nos profondeurs des mots que l'on dit insensés. Ce sont ceux de notre exubérance injustement mutilée. Ces mots ne sont pas vieux, ils ne peuvent pas vieillir. Il suffirait d'un vent dévergondant pour que soudain ils rajeunissent merveilleusement. Ils descendent des anciennes civilisations du désir. Ils se refusent d'être des rêves, se souvenant avoir été des assauts. [...] C'est sur ce qu'ils savent de ta folie que tu devras compter si tu veux être toi-même.
[...]
Les mots que tu tires du fond de toi sont les seuls authentiques. Là où tu vas les chercher, là d'où tu les arraches, ils sont le "marqueur" convulsif de ton identité.

Marcel Moreau, La libération de la parole.