Encore et encore...
Hier donc, à la bibliothèque, je pensais revenir les mains vides puisque j'ai mon Proust mais je n'ai pas pu m'empêcher de fouiner et j'ai trouvé le livre de cet auteur que j'admire et j'aime (pléonasme), Marcel Moreau : Féminaire. Il est beau au toucher et son papier est épais comme ce papier Ingres d'Arches sur lequel on dessine ou on peint, ce qui n'est pas innocent car l'écriture de Marcel Moreau, en dehors d'être un chant, une danse, une chorégraphie est aussi une peinture. Peintre de la Femme dans son adoration. Les pages sont "scellées" (quel privilège, pas un lecteur de la bibliothèque ne l'a pris dans ses mains) et c'est avec délicatesse et fébrilité que je les tranche au coupe-papier.
Féminaire : Un mot qui va, un mot qui vient, dans ma bouche décadente, laquelle eut son âge d'or, et s'en souvient. Un mot qu'on ne ravale, ni ne recrache, qui se grefferait sur la langue jusqu'à la fin de vivre. Un mot que l'on prononcerait avec la force de "bestiaire", alors qu'il a la douceur de "sanctuaire". Un mot qui serait plus séminal que "séminaire", sans les reliques de "reliquaires". Un mot qui chercherait, dans ses profondeurs, ce qu'il lui reste d'inachevé à écrire sur mon amour inachevé de la Femme et des mots.
Mon Féminaire, je pourrais croire l’avoir déjà écrit, de livre en livre. Il y court en haut des passions escarpées, il y coule au fond des passions encaissées. Que ce soit par soubresauts ou par saccades, rien n’y fait : elle n’a jamais cessé, ma louange de la femme. Même quand j’avais dans l’âme plus d’horreurs que d’agréments, elle n’a jamais cessé. Je pourrais croire l’avoir déjà écrit, ce livre, et pourtant je ne l’ai jamais vraiment commencé.
On ne commence pas un mystère, on en est la remorque, essoufflée et brinquebalante. Émerveillée d’abord.
M.M. 4ème de couverture.
Je ne pouvais attendre plus longtemps pour en commencer la lecture qui, je le savais, me transporterait dans cet ailleurs qui nous isole et nous transcende : l'amour. Marcel Moreau vieillissant sait que son "corps charnel" n'est plus qu'une illusion mais que son "corps verbal" lui, est toujours bien vivant, bien vibrant.
"Toi, corps charnel, ta lucidité sait ce qu'il en est de l'illusion de séduire, quand on séduit plus par l'histoire que l'on traîne derrière soi que par celle que l'on pousse devant. Moi, corps verbal, ma déraison sait ce qu'il en est de cette histoire entre la femme et toi, qui ne se terminera qu'avec ta mort. Je suis ton corps verbal, ton corps de possédé du verbe, c'est-à-dire celui en qui, parmi tant de dévorantes passions, s'est fécondée, à jamais, la plus vertigineuse de toutes : l'amour". [...]
Une femme lui écrit. Il écrit à une femme.
[...]
Ainsi commença ton amour de Laba. Quand tu reçus d'elle, étrangère, une lettre recommandée. Ce n'étaient que quelques mots, d'une graphie élégante, sensuelle, qui donnait une peau aux consonnes et un regard aux voyelles, et à la page une respiration calme, de corps entrebâillé. Son langage était tactile et vallonné, un "ailleurs", à la française, dans un pays dont le parler nous est mystère. Tu remarquas que les jambages de ses "M" étaient grands ouverts. Tu en ressentis un vague désir. Elle écrit : "De toute ma chair, je vous lis..." Et ce qui suit, ce ne sont ni compliments ni louanges. C'est, immédiatement, une voix dans ta voix, des yeux dans tes yeux, une façon de dire et, enfin, son corps verbal tourné vers le tien qui se tourne vers lui. Soudain, vous vous rencontrez sans vous être vus, et cela est beau. Cela ne s'explique pas, ce charme d'entre tous les charmes, ce bruissement inaugural de la parole qui fait que soudain deux corps s'orientent l'un vers l'autre, deux âmes, peut-être deux blessures, deux chuchotements confus d'une intuition à nulle autre pareille : "Je vous attendais".
Marcel Moreau, Féminaire suivi de La libération de la parole, Les éditions Lettres Vives, collection Entre 4 yeux. Pages 8 et 10.
A lire ici pour un point de vue plus pro... car je ne fais que commencer ce livre. Je suis une inconditionnelle de Marcel Moreau et je sais que je ne serai pas déçue.
Je remercie encore le jeune ami qui m'a fait découvrir cet écrivain il y a quelques années.
Hier donc, à la bibliothèque, je pensais revenir les mains vides puisque j'ai mon Proust mais je n'ai pas pu m'empêcher de fouiner et j'ai trouvé le livre de cet auteur que j'admire et j'aime (pléonasme), Marcel Moreau : Féminaire. Il est beau au toucher et son papier est épais comme ce papier Ingres d'Arches sur lequel on dessine ou on peint, ce qui n'est pas innocent car l'écriture de Marcel Moreau, en dehors d'être un chant, une danse, une chorégraphie est aussi une peinture. Peintre de la Femme dans son adoration. Les pages sont "scellées" (quel privilège, pas un lecteur de la bibliothèque ne l'a pris dans ses mains) et c'est avec délicatesse et fébrilité que je les tranche au coupe-papier.
Féminaire : Un mot qui va, un mot qui vient, dans ma bouche décadente, laquelle eut son âge d'or, et s'en souvient. Un mot qu'on ne ravale, ni ne recrache, qui se grefferait sur la langue jusqu'à la fin de vivre. Un mot que l'on prononcerait avec la force de "bestiaire", alors qu'il a la douceur de "sanctuaire". Un mot qui serait plus séminal que "séminaire", sans les reliques de "reliquaires". Un mot qui chercherait, dans ses profondeurs, ce qu'il lui reste d'inachevé à écrire sur mon amour inachevé de la Femme et des mots.
Mon Féminaire, je pourrais croire l’avoir déjà écrit, de livre en livre. Il y court en haut des passions escarpées, il y coule au fond des passions encaissées. Que ce soit par soubresauts ou par saccades, rien n’y fait : elle n’a jamais cessé, ma louange de la femme. Même quand j’avais dans l’âme plus d’horreurs que d’agréments, elle n’a jamais cessé. Je pourrais croire l’avoir déjà écrit, ce livre, et pourtant je ne l’ai jamais vraiment commencé.
On ne commence pas un mystère, on en est la remorque, essoufflée et brinquebalante. Émerveillée d’abord.
M.M. 4ème de couverture.
Je ne pouvais attendre plus longtemps pour en commencer la lecture qui, je le savais, me transporterait dans cet ailleurs qui nous isole et nous transcende : l'amour. Marcel Moreau vieillissant sait que son "corps charnel" n'est plus qu'une illusion mais que son "corps verbal" lui, est toujours bien vivant, bien vibrant.
"Toi, corps charnel, ta lucidité sait ce qu'il en est de l'illusion de séduire, quand on séduit plus par l'histoire que l'on traîne derrière soi que par celle que l'on pousse devant. Moi, corps verbal, ma déraison sait ce qu'il en est de cette histoire entre la femme et toi, qui ne se terminera qu'avec ta mort. Je suis ton corps verbal, ton corps de possédé du verbe, c'est-à-dire celui en qui, parmi tant de dévorantes passions, s'est fécondée, à jamais, la plus vertigineuse de toutes : l'amour". [...]
Une femme lui écrit. Il écrit à une femme.
[...]
Ainsi commença ton amour de Laba. Quand tu reçus d'elle, étrangère, une lettre recommandée. Ce n'étaient que quelques mots, d'une graphie élégante, sensuelle, qui donnait une peau aux consonnes et un regard aux voyelles, et à la page une respiration calme, de corps entrebâillé. Son langage était tactile et vallonné, un "ailleurs", à la française, dans un pays dont le parler nous est mystère. Tu remarquas que les jambages de ses "M" étaient grands ouverts. Tu en ressentis un vague désir. Elle écrit : "De toute ma chair, je vous lis..." Et ce qui suit, ce ne sont ni compliments ni louanges. C'est, immédiatement, une voix dans ta voix, des yeux dans tes yeux, une façon de dire et, enfin, son corps verbal tourné vers le tien qui se tourne vers lui. Soudain, vous vous rencontrez sans vous être vus, et cela est beau. Cela ne s'explique pas, ce charme d'entre tous les charmes, ce bruissement inaugural de la parole qui fait que soudain deux corps s'orientent l'un vers l'autre, deux âmes, peut-être deux blessures, deux chuchotements confus d'une intuition à nulle autre pareille : "Je vous attendais".
Marcel Moreau, Féminaire suivi de La libération de la parole, Les éditions Lettres Vives, collection Entre 4 yeux. Pages 8 et 10.
A lire ici pour un point de vue plus pro... car je ne fais que commencer ce livre. Je suis une inconditionnelle de Marcel Moreau et je sais que je ne serai pas déçue.
Je remercie encore le jeune ami qui m'a fait découvrir cet écrivain il y a quelques années.