Le 1er janvier me fut particulièrement douloureux cette année-là. Tout l'est sans doute, qui fait date et anniversaire, quand on est malheureux. Mais si c'est par exemple d'avoir perdu un être cher, la souffrance consiste seulement dans une comparaison plus vive avec le passé. Il s'y ajoutait dans mon cas l'espoir informulé que Gilberte, ayant voulu me laisser l'initiative des premiers pas et constatant que je ne les avais pas faits, n'avait attendu que le prétexte du 1er janvier pour m'écrire : "Enfin, qu'y a-t-il? je suis folle de vous, venez que nous nous expliquions franchement, je ne peux pas vivre sans vous voir".
[...]
Quand on aime l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ et c'est ce choc, en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous.
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu II, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Autour de Mme Swann.
Et voilà que j'éprouve un grand plaisir à lire Proust, enfin. Les seuls moments de paix, de plénitude dans ma vie aujourd'hui, je ne les trouve que dans la littérature? C'est pourquoi je me détache de plus en plus du monde qui m'entoure.