lundi 28 décembre 2009

***

Arriverai-je un jour à accepter de me montrer - du moins de me laisser deviner - aux autres telle que je suis, sans pour cela me mentir juste pour me faire aimer?

J'ai ce sentiment-là depuis que tu n'es plus là, depuis 26 ans que je me cherche; je me suis perdue en te perdant. Depuis, je joue à être une autre, à mon corps défendant, à ne rien laisser paraître de mon ignorance et, j'y arrive. Avec toi je n'avais peur de rien, tu m'avais embellie et j'étais devenue belle; tu m'avais retiré mes peurs et j'étais devenue comme un poisson dans l'eau dans un monde que je croyais réservé à d'autres, j'étais gaie, futile, tu me donnais de l'importance. J'avais pris goût à ce luxe que tu me faisais découvrir, dans ta folie - car ce n'était pas vraiment ton monde non plus - je rentrais avec toi dans les boutiques aux marques célèbres, en fait c'est toi qui jubilais, et je trouvais divin de voir les vendeuses se mettre en quatre pour nous fourguer le truc le plus cher et toi tu ne voulais pas que j'en sache le prix. Au restaurant quand nous fêtions chaque année notre anniversaire de rencontre - dans les plus grands - tu indiquais au sommelier que c'était moi qui goûtais le vin car non seulement tu savais que j'avais un nez et un palais sans faille mais que j'y prenais un plaisir fou. C'est toi qui m'avais appris le rituel : vérifier sa robe, le humer, le garder en bouche et je faisais cela avec autant de bonheur et gourmandise que d'allumer ton havane à la fin du repas. Toi, tu le choisissais, tu le passais sous ton nez, tu le roulais entre tes doigts près de ton oreille, il ne fallait pas qu'il soit sec, c'est pour cela qu'on les conserve dans des caves humidifiées me disais-tu.

Non, je ne vis pas dans le passé, 26 ans ce serait trop long et du temps perdu, j'ai vécu depuis et je vis. Aujourd'hui je ris quand je pense à ta folie, à ce luxe dont nous profitions ponctuellement lors d'une vente d'un tableau, pour nous satisfaire avec autant de volupté - quand nous étions un peu dans la dèche - de côtes de porc boulangères ou de tes tartes carottes/navets pas fades du tout car tu les assaisonnais d'épices extraordinaires. Aujourd'hui c'est moi qui cuisine, avec moins d'enthousiasme. Aujourd'hui je vis sans nostalgie, je croise encore des regards qui me font vibrer et qui ne se détournent pas. C'est donc que le mien n'est pas éteint. Il ne le sera jamais.