lundi 5 juillet 2010

Imagination, rêverie (suite)




Hier soir j'ai revu un film de Eric Rohmer : L'amour l'après-midi. Je peux revoir les films de Rohmer sans aucune lassitude. Ils ne vieillissent pas, les sujets sont intemporels.
Je trouve dans Télérama cette critique et cette phrase qui me fait sourire à propos du film :
"Genre : les mots sont faibles devant la chair."

Pourtant, Frédéric ne succombera pas à la tentation si je puis dire. Il n'ira pas jusqu'au bout de son désir, le remord (c'est ainsi que je l'entends) le fait s'enfuir pour retourner auprès de sa femme, qu'il aime et j'ai trouvé la dernière scène très belle, surtout quand il lui dit (à Hélène sa femme) : tu m'intimides... parce que je t'aime. C'est tellement ça l'amour : être intimidé, bafouiller, avoir le trac, se taire. Rester intimidé l'un par l'autre, c'est très troublant.

Dans la première partie du film, Frédéric qui a une vie parfaitement réglée, organisée semble s'ennuyer dans son confort bourgeois sans pour cela nier le bonheur qu'il a trouvé auprès de sa femme. Dans cette scène où il est attablé à une terrasse, il se parle et des images de femmes lui apparaissent (ce sont les actrices fétiches de Rohmer) :

"Je sens que ma vie passe et que d'autres vies se déroulent parallèlement à la mienne et je suis comme frustré d'être resté étranger à ces vies, de n'avoir pas retenu chacune de ces femmes, ne serait-ce qu'un instant. Et je rêve, je rêve que je les possède toutes, effectivement. Depuis quelques mois j'aime à me complaire - à mes moments perdus - dans une rêverie qui se précise et s'étoffe de jour en jour.
Rêverie enfantine et probablement inspirée par une lecture de mes dix ans; j'imagine que je suis possesseur d'un petit appareil qu'on suspend à son cou et qui émet un fluide magnétique capable d'annihiler toute volonté étrangère. Je rêve que j'exerce son pouvoir sur les femmes qui passent devant la terrasse du café : indifférente, pressée, hésitante, occupée, accompagnée, solitaire (et l'on voit chacune des ces femmes...).
Tandis qu'il poursuit son rêve, l'appareil magnétique au cou exerce son effet. Françoise Fabian (la magnifique) passe d'un pas vif, il l'interpelle :
- Pardon madame, êtes-vous très pressée?
- Franchement monsieur, non... pas très.
- Puis-je vous demander si vous avez une heure à perdre?
- A la vérité, oui.
- Vous serait-il agréable de la perdre avec moi?
- A vrai dire je n'en sais rien?
- Faisons-en l'expérience, comme ça vous saurez.
- C'est vrai, je le saurai, excellente idée."


Puis, il va vers une autre femme... et sa rêverie continue...
J'ai aimé cette séquence mais tout le film est passionnant, j'aime ce cinéaste des mots, de l'introspection.

Chloé, cette amie (qui devient amoureuse de lui) vers qui il se sent attiré sans oser transgresser son désir, lui dit :


"Tu es ma seule raison de vivre, tu me fais du bien et si je ne t'ennuie pas c'est magnifique, même si tu n'es pas d'accord ça fait du bien de parler. Il lui répond :
Toi aussi tu me fais du bien, tes soucis très réels me délivrent de mes angoisses imaginaires".


Ce film L'amour l'après-midi est dans la série des Contes moraux de Rohmer, tout est suggéré et d'autant plus sensuel et la fin est évidemment morale (moraliste?).

Dans la dernière scène où l'on croit (ou j'eusse aimé qu'il succombât;o)) qu'il va succomber au plaisir de la chair avec Chloé, il s'arrête soudain, figé et s'enfuit.


Il revient vers sa femme, c'est une très belle scène. J'ai aimé qu'il retourne vers sa femme mais j'ai aussi pensé au chagrin de Chloé qui l'aimait.

Je suis une inconditionnelle des films de Eric Rohmer.