mercredi 11 novembre 2009

Une journée pluvieuse

Ma journée aurait pu s'arrêter sur ce poème, de Sully Prudhomme dans Tendresses et Solitudes, qui en reflétait le climat :

Pluie

Il pleut. J'entends le bruit égal des eaux;
Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,
Se penche et brille en pleurant sous l'averse;
Le deuil de l'air afflige les oiseaux.

Le bourbe monte et trouble la fontaine,
Et le sentier montre à nu ses cailloux.
Le sable fume, embaume et devient roux;
L'onde à grands flots le sillonne et l'entraîne.

Tout l'horizon n'est qu'un blême rideau;
La vitre tinte et ruisselle de gouttes;
Sur le pavé sonore et bleu des routes
Il saute et luit des étincelles d'eau.

Le long d'un mur, un chien morne à leur piste,
Trottent, mouillés, de grands boeufs en retard;
La terre est boue et le ciel est brouillard;
L'homme s'ennuie : oh! que la pluie est triste.


Alors pour sortir de cet ennui et de cette grisaille poisseuse, j'ai pris mon "pavé". Je sais pourquoi je mets tant de temps à le lire : il pèse 1 kg 800! et pour le lire je dois caler mon dos et poser un coussin sur mes genoux pour ne pas le tenir dans mes mains. Et je lis et je souris :

Samedi 24 janvier 1920.

"... visite à Mrs Clifford. Celle-ci a dû s'offrir de nouvelles dents depuis la dernière fois que je l'ai vue, il y a vingt ans; et ses cheveux tout frisés sont, à coup sûr, artificiellement brunis; mais elle est restée la même autrement - grands yeux de morue et l'allure type des années 1890 - velours noir - morbide - exaltée, joviale, vulgaire - écrivassière, jusqu'au bout des ongles, avec un rien de la comédienne. (...) Et puis, ayant connu un succès il y a des années, elle n'a pas cessé depuis de tirer les ficelles pour s'en arranger un autre, et elle s'est endurcie, ce faisant. Ses pauvres lèvres de vieille font la moue dans l'espoir d'un peu de beurre, mais la margarine fera aussi bien l'affaire. Elle en conserve sa très rance provision personnelle sur quelques-uns des guéridons qui encombrent cet intérieur, affligeant. (...) Croyez-moi, j'ai peine à écrire cela."

Samedi 31 janvier 1920.

"Voici mon emploi du temps : mardi les Squire, Wilkinson, Edgar à dîner, mercredi thé chez Elena; jeudi déjeuner avec Nessa, thé à Gordon Square; vendredi Clive et Mary ici; et samedi passé au coin du feu, hantée par la crainte morbide et, je l'espère, non fondée, que certaines bestioles* infestant Lottie et Nellie puissent commencer à s'agiter sous ma peau."


Virginia Woolf, Journal.
*Il s'agissait de poux.

Que j'aime ce quotidien transcendé par sa trompeuse simplicité.