J'avais 20 ans quand notre père est mort et elle, ma petite soeur, n'avait que 12 ans. Elle n'a pas pleuré, elle ne pleure jamais, elle garde tout à l'intérieur, elle encaisse tout, depuis toujours. Quand on parle de papa en famille, j'aime quand elle dit : j'étais sa préférée, il me l'a dit! Il me l'avait dit aussi! C'est merveilleux de croire qu'on est la préférée mais je suis sûre qu'il l'avait dit à chacun de nous (les trois filles et le garçon). Mais tu étais la petite dernière, celle qui n'aura pas eu son content d'amour paternel, et je veux que tu sois la préférée.
Quand tu es née j'avais 8 ans et notre mère tenait une épicerie de luxe avec notre soeur aînée. Maman n'avait pas beaucoup de temps pour s'occuper de toi et tu étais ma poupée pour de vrai. Je jouais avec toi, tu étais mon bébé, mon Bézo; c'est ainsi que je t'appelle encore. A un an et demi, je t'emmenais au jardin public, à cinq minutes de la maison : on va à bibique tu disais! Toute seule, j'avais à peine dix ans et une grande responsabilité; maman disait que j'étais une petite fille adorable. J'y retrouvai des petites copines. Nous jouions à la poupée!
Aussi quand, exceptionnellement, des larmes surgissent de tes yeux, que tu essaies encore de les retenir - mais le trop plein finit toujours par déborder - je suis bouleversée, parce que je sais que ce sont des larmes coupantes, des larmes de pierre. Incapable de te consoler par les mots, je te serre dans mes bras; je te sens réticente, tu n'as pas l'habitude d'être câlinée, puis tu te laisses aller.
Tu ne t'es pas assez lâchée mon Bézo et depuis un an tout ce trop plein de ta vie t'engloutit. Tu craques. Je vais t'aider, à pleurer. J'en connais un rayon, je pleure facilement et cela m'a sauvé.
Je n'ai pas eu d'enfant mais j'ai eu un bébé;-)