Vendredi 11 juin.
J'écris...:
"Quand j'ai ouvert les yeux ce matin, les premiers mots que j'ai eu en tête : Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie!
Chaque matin j'ai peur de vivre.
10 h 20. Je me sens très lasse.
10 h 21. Je vais me faire un café.
[...]
J'ai joué cet après-midi avec un allemand et un autre membre du club. A un moment, l'allemand allait putter et sur sa ligne de putt il y avait un joli insecte! Au lieu de le chasser avec la main, il l'a écrasé avec son putter, l'autre partenaire et moi on a crié : oh! et l'allemand a reposé son putter sur l'insecte pour l'écraser encore plus, quel con mais quel con. Et, bien fait pour lui, il raté son putt à 60 cms du trou. L'autre et moi on s'est regardé tout contents. En plus cet allemand parlait très fort et quand nos coups étaient très moyens il s'exclamait : bravo, c'est très bien, très joli coup; il se réjouissait de nos coups ratés. Quel con mais quel con!
Bref, je n'ai pas mal joué mais ce soir j'ai mal au dos."
23 h. Cette angoisse qui m'étreint.
23 h 30. Je lis Stolz (Nizon), c'est étrange, ça m'apaise, ça me rassure la littérature qui me parle de ce que je ressens moi-même. Et là, cet extrait qui me parle beaucoup :
C'était un samedi et il s'était fourvoyé dans une exposition de peinture. Le nom de Chaïm Soutine ne lui disait rien, mais tous ces portraits : boniches, soubrettes, cuisinières, concierges et garçons d'ascenseur, les portraits d'enfants miséreux. Ce n'était pas que des individus anonymes, dans leur cadre ils venaient à sa rencontre, gauchement, presque timidement, mais en même temps avec un extraordinaire dynamisme : on aurait cru un appel adressé à lui du fond des ténèbres, issu d'une terre mystérieuse et illimitée.
On voyait également de petits paysages banlieusards, au premier plan un arbre entouré d'un banc, pour permettre de contempler la vue, de se reposer après le travail, de jouer de l'harmonica le dimanche. L'arbre, le banc, les maisons dégringolaient sur lui, comme sous l'effet d'une secousse sismique, ils gémissaient, jubilaient de toute leur carcasse, de toute leur texture, mettant à nu toutes leurs fibres. Il se rendait compte que ce qui arrachait si précipitamment ces objets quotidiens vers la lumière, qui déchaînait tout ce branle-bas, était un séisme du coeur, un phénomène dont l'épicentre était le peintre en personne. Oui, c'étaient, il le voyait bien, les yeux avides et affamés du peintre qui conféraient à ces domestiques insignifiants leur apparence de jamais vu, qui faisaient qu'ils se tenaient là comme des arbres au bord de la longue route de la vie et qu'ils criaient vers vous.
Chaïm Soutine, j'aime sa peinture, je revois son poulet dont j'ai lu la belle histoire : alors qu'il crevait de faim on lui avait offert un poulet. Il ne l'a pas mangé; il l'a plumé, attendu quelques jours, puis il l'a peint.
Samedi 12 juin.
9 h. Le miroir me renvoie une image inquiétante : mes yeux n'ont plus cette lumière de la jeunesse, je les fixe, je vois du vide.
Tête lourde, vite un Propofan avant que la migraine s'installe.
11 h 30. Fait quelques courses au S. U express. Il fait beau, je sens cette douceur de l'air qui commence à me pénétrer, tout me semble soudain moins vide, moins noir.
12 h 30. Sur ma terrasse, je m'offre un apéro : jus de tomate et quelques olives pimentées. Je lis la presse : foot foot foot. Même France Culture s'y met à parler du foot, des dieux du stade. Pfff! C'est bon de sentir le soleil, je revis, je ne suis donc pas complètement éteinte.
13 h. Je regarde "Mr. Bean au "lavomatic"" : suis écroulée de rire.
Comme toujours, mon humeur varie au rythme du temps breton, elle passe par toutes les nuances en une journée.