jeudi 10 juin 2010

Paul Nizon


Immersion
Procès-Verbal d'un voyage aux enfers

Je me vois debout dans la salle de séjour d'un appartement quatre-pièces. A Zurich. Un homme d'une trentaine d'années qui prend congé de sa femme.
Et je me vois debout sur le quai de la gare à Barcelone à côté de l'express international. Un homme d'une trentaine d'années qui prend congé d'une autre femme.


Ainsi débute ce livre.

Je me vois dans notre appartement quatre-pièces traînant sans but. Un homme revenant de voyage. Il est seul, seul avec les meubles, un mobilier qui le désespère par sa touchante précarité.Page 61.

J'aurai souhaité me retrouver dans le train, ne pas avoir de but. Me contenter de rouler, parvenir à force de rouler à m'effacer, à me laisser écarteler dans le ferraillement des roues sur les rails, dans les minutes scandées par le ferraillement, à me confondre avec le roulement du train, à faire corps avec ce processus d'autodestruction du temps, corps avec la corrosion et la consomption, la succion et le tintamarre. Me fondre, dans son silence intérieur.
Tous ces gestes prodigués en vain, me disais-je. Et je me mis à songer au voyage."Le voyage en tant que remède", notai-je sur ma feuille blanche et je continuai d'écrire jusqu'au milieu de la nuit, sans me relire, poussé par le seul désir de retrouver cet état que j'avais connu durant mon voyage, cet état où l'on peut tout perdre et gagner sans pour autant rien posséder, cet état indéfinissable - être immergé* pour enfin exister.
Lorsque j'eus achevé d'écrire, toujours assis à la même place, je me retrouvai soudain perdu dans un étrange état de perméabilité.
Ce n'étaient pas tellement des pensées, c'étaient plutôt des images qui me traversaient en tout sens, qui me visitaient.
Pages 64 - 65.

Immersion
de Paul Nizon est un livre de 95 pages, de ces courts romans que vous ne pouvez lâcher sans vouloir le lire d'une traite. Le narrateur se dédouble, se voit en spectateur de lui-même - "je me vois". Je - il... J'avais découvert cet écrivain avec La fourrure de la Truite et je me remets à le lire. Plaisir et jubilation. J'ai emprunté à la bibliothèque Canto, Immersion, Stolz, Chien et La fourrure de la Truite que j'ai envie de relire. Ce sont tous des livres d'une centaine de pages, format que j'apprécie, mais surtout ce sont les thèmes abordés qui me touchent : ses héros sont des marginaux qui tentent de se retrouver, de se rejoindre, dans leur solitude, faisant l'éloge de leur liberté. L'écriture est belle, aérienne. Mais je reviendrai sans doute sur chacun d'eux. Je les lis dans l'ordre de leur publication.
Je viens de commander chez mon libraire du même auteur Le livret de l'amour, Journal de 1973-1979. Je n'emprunte jamais les Journaux, les Correspondances, je les achète, besoin de les avoir sous la main. Je vais donc être en immersion avec Paul Nizon dans les semaines qui viennent.

"La plupart de ses livres sont publiés en France par les éditions Acte Sud et Jacqueline Chambon. Si Paul Nizon est aujourd'hui un écrivain de réputation internationale, c'est d'abord à Stolz qu'il le doit. Ce roman en effet - lors de sa parution en Allemagne en 1975 - porte Nizon au premier rang des auteurs de sa génération. Il lui valut aussi le prix France Culture de la littérature étrangère en 1988.

Né en 1929 à Berne, Paul Nizon vit à Paris. De multiples prix littéraires lui ont été décernés en Suisse, en France et en Allemagne."


Voir ici un entretien avec Paul Nizon. Je relève ces phrases de l'écrivain :
"Mon rêve serait de faire un grand livre sur rien* c'est-à-dire sur tout en développant un système langagier qui ressemblerait plutôt à un tissu ou une partition. Des mots clés sont richesses et intensité."

Je pense au Journal d'un artiste-vagabond-blogueur... : le rien, le tout, les mots-clés.

*Les mots en caractères gras sont de mon fait.