Salle d’attente. Je suis seule. Cinq minutes plus tard un autre patient arrive.
Je n’ai pas le temps d’ouvrir mon livre, la porte s’ouvre.
Il me serre la main avec un sourire, s’installe derrière son bureau, regarde sur son écran la date de ma dernière visite et sans me dire son habituel : comment allez-vous ? il me parle des grèves, des manifestations, du manque d’essence et me demande : vous pensez quoi de tout ça ? Vous avez regardé sur Internet ce qui se dit ? Vous avez de l’essence ? Mais oui j’ai de l’essence cher Docteur. Les cuves sont vides dans les hypermarchés me dit-il. Bon, il s’enfonce dans son fauteuil, pour un peu il mettrait ses pieds sur le bureau. Je sens qu’il est parti pour une conversation pas du tout médicale et je lui dis :
- Il n’y a pas que dans les stations que ça bouchonne ! Dans mes oreilles aussi. Il a ri :
- Ah bon ? je croyais que vous veniez comme ça, pour le plaisir.
Je n’ai rien répondu car c’était aussi pour le plaisir que je venais le voir.
- Installez-vous ici que je regarde ça et gare à vous si vous n’avez pas de bouchons !
Son téléphone sonne, il ne répond pas.
Hop, oreille gauche, hop oreille droite…, toujours la même chose, vos conduits sont très étroits c’est normal que ça bouchonne. Je n’étais pas venue pour rien. Confirmé !
Nous retournons nous asseoir, lui derrière son bureau. Il s’enquiert de mes acouphènes : j’arrive à les occulter, à vivre avec. De toute façon, il faut accepter de vivre avec ce qui nous ennuie. C’est terrible de vieillir et hop nous voilà reparti pour converser. Le téléphone sonne à nouveau, il ne décroche pas.
C’est la première fois qu’un toubib m’écoute parler de la mort, de la vieillesse, de l’euthanasie sans passer à autre chose, sans détourner son regard.
- Je n’ai pas peur de la mort.
- Vous êtes croyante ? Vous avez la foi ?
- Non pas du tout.
- J’ai peur de la mort m’a-t-il dit.
Et tout d’un coup j’ai eu peur de l’ennuyer, lui qui est confronté chaque jour à la maladie, aux cancers de ses patients et avant de poursuivre j’ai ressenti le besoin de m’excuser de lui parler de tout cela alors que je suis à peu près en bonne santé etc… Mais voilà c’est lui qui insistait maintenant pour en parler comme si cette discussion, même sur des sujets sérieux, allait le détendre, le sortir de ses consultations habituelles certainement moins relaxes. Nous en avons parlé très sérieusement sur un ton léger. Pour conclure je lui dis :
- J’irai à Zurich !
Je plaisantais mais au fond de moi la question se posait, lointaine, mais je savais qu’un jour je me la poserai vraiment.
Avant de le quitter, avec un sourire il me serre la main :
- N’attendez pas un an, je vous revois dans six mois pour un bilan auditif.
- Mais j’entends très bien docteur !
- Allez en paix, je vous suiciderai.
J’ai éclaté de rire.
- Ok mais dans vingt ans alors !
Il m'a gardé trente minutes dans son cabinet, pour parler.
Au retour dans ma voiture je me disais que j’exagérais de penser tout le temps à la vieillesse qui allait venir et que je devrais vivre pleinement, au jour le jour, avec bonheur, parce que je pouvais aussi mourir demain de… n’importe quoi. Ah ! et mourir d’amour ? Non, ce serait cruel, je préfèrerais vivre d’amour.