jeudi 21 octobre 2010

Le bonheur une impossible quête



Je poursuis un peu sur Romain Gary et le bonheur.
Il avait des bonheurs d’écriture pour dire son dégoût du bonheur.

"Moi je ne me suis jamais sucré, j’ai fumé la marie quelquefois avec des copains pour être poli et pourtant à dix ans, c’est l’âge auquel les grands vous apprennent des tas de choses. Mais je ne tiens pas à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur c’est une belle ordure et une peau de vache. Il faudrait lui apprendre à vivre, on n'est pas du même bord lui et moi et j’ai rien à en foutre. J’ai encore jamais fait de politique parce que ça profite toujours à quelqu’un, mais le bonheur, il devrait y avoir des lois pour l’empêcher de faire le salaud. Je dis seulement comme je le pense et j’ai peut-être tort, mais c’est pas moi qui irais me piquer pour être heureux, merde !"

Il disait que le bonheur requiert l’homme, le somme d’être à sa mesure et cette quête du bonheur est quelque chose d’extrêmement pesant et douloureux. Effectivement, le bonheur devient cette notion petite bourgeoise, quelque chose de restreint, de contenu à une sphère délimitée, alors que Gary est l’homme des grandes aspirations. "Il est le conquérant nostalgique, à l’avance, de ce qu’il ne parviendra jamais à conquérir". (Dixit R. Enthoven). Son dégoût de l’idéalisme va de pair avec son goût de l’absolu.

"Il faudrait changer le monde pour l'envoyer se faire foutre".


"Est-ce qu’au fond il n’est pas dans l’impossibilité de parvenir à l’objet qu’il se donne à conquérir, et en même temps incapable par définition, de renoncer à cet objet ?" (R. Enthoven).
Nostalgie ou utopie ?
Et l’on entend Romain Gary dire ceci de sa belle voix grave :

"Don Juan a eu un très grand nombre de femmes. J’ai eu un très grand nombre de pays, d’univers, de peaux (sic), de voyages, de milieux, de diversités. Mais dans ce cadre-là, je considère qu’on ne peut pas être plus heureux que Don Juan ne l’a été avec les conquêtes féminines. Voilà ce que je veux dire. Et je ne veux pas non plus vous faire de la philosophie bon marché qui consiste à dire : mon enfant, enferme-toi dans ta petite boîte, vie ta vie, t’occupes de rien, tu seras plus heureux comme ça. Le véritable bonheur exige une continuité de vie."

Il attend sans fin le messie qui ne viendra pas. S’il y a une unité dans sa vie multiple, il n’a jamais été infidèle à ce qu’il appelle son messianisme. Cet impossible à atteindre, c’est ce qui le réduit à ce qui est déjà donné, ce qui ne dépend pas d’un effort de création. C’est ce qu’il a sans doute cherché par ses identités multiples : "J’éprouve parfois le besoin de changer d’identité, de me séparer un peu de moi-même…".
"Une vie ne suffit pas pour en avoir des milliers, sauf peut-être par le biais de la littérature. Ce qui est raté c’est l’existence à laquelle j’aspire, c’est celle-là que je rate et qui me rejette dans la littérature à chaque fois pour repartir à la conquête d’une autre vie et d’une autre identité."

"S’il n’avait pas passé ses journées à écrire, il se serait tué plus tôt" confie Myriam Annisimov auteur de la biographie Romain Gary, le caméléon (Denoël). Il lui avait dit : ce qui me maintient en vie, c’est la sexualité et la littérature.