vendredi 15 octobre 2010

De l'audiovisuel et du livre

En attente de recevoir quelques nouveaux livres, je relis ces pages d’un de mes auteurs fétiches, Marcel Moreau. Cet ouvrage date de 1979, qu'en dirait-il aujourd'hui?

"L’audiovisuel n’est pas un instrument destiné à la cause de l’être, c’en est un conçu pour l’abrutissement des masses avant qu’il ne s’applique à leur domestication. Certes l’audiovisuel peut précipiter l’une ou l’autre connaissance, élargir à l’universel des regards par trop particuliers. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ? L’audiovisuel ne te conduit qu’à des savoirs épidermiques, qui font fulminer ton "savant" des entrailles. Tout le flot des images bellement martelantes n’aura jamais sur la part sombre, fertile, inquiétante, luxuriante de ton inconscient le pouvoir détonateur de quelques mots témérairement assemblés et violemment vrais. Nous sommes de plus de discours que de regards. Tout en nous est parole : parole simple au niveau du communicable, parole composée au niveau du créatif, parole mutilée, bâillonnée mais insurrectionnelle au niveau de l’instinctif. […] On peut se transpercer d’un bout de phrase de livre et s’en faire l’archer dont le regard porte plus loin que le visible. L’audiovisuel assène l’image, il ne nous donne pas le temps de la transformer en conscience et encore moins en libération de mots libérateurs.
[…]
Dans notre soumission à l’audiovisuel, nous sommes condamnés à prendre des raccourcis de sensation à sensation, alors que nos sensations intimes, comme "matrice" de connaissance et de sens, et cela, seul le livre le peut, ont le désir de se montrer sous tous leurs aspects, de s’exposer à la scrutation, d’être déroulées, ramifiées, de s’élever lentement (arborescence noire) de nos profondeurs. L’audiovisuel est une place publique, une foire aux illustrations et déballages où les enchaînements rapides font perdre connaissance, alors que le livre, le livre secoueur, bien entendu, se veut notre repaire, presque devenu secret où nous donnons rendez-vous à nos hontes, à nos inhibitions, à nos complexes pour en recueillir, par les mots, les savoirs retardataires, désormais éclairants, même inusités. Nous devons accepter de certain livre qu’il nous perde avant qu’il ne nous sauve. Mais l’auteur qui s’est lui-même mis en danger pour l’écrire sait que la force libératoire de ce livre, te dit le Verbe, et le Verbe a raison, était à ce prix."


Marcel Moreau, Discours contre les entraves, 1979. Edtions Denoël, 2005.

En ce moment, je suis incapable d’aligner trois phrases personnelles. Mes pensées ont toutes la même direction. Pensées pas toujours apaisées mais j’aime aussi les tempêtes, celles qui me font avancer avec force contre le vent cinglant et dont je ressors plus vivante que jamais.