Un billet a retenu mon attention ce soir en lisant un blog et m'a donné envie de m'attarder chez Philippe Sollers et sur cet entretien avec Ferdinand Couzon :
De la conversation criminelle.
F.G. : Vous envisagez l'érotisme comme une manière infinie d'accéder aux cinq sens...
Philippe Sollers : ... Voilà ! Le contraire de l'expropriation du corps.
F.G. : Et donc, qu'est-ce qu'un corps qui jouit? Ce qu'au fond, vous ne cessez de décrire dans vos livres: la conversation, avec une femme de préférence - c'est-à-dire l'ouïe, la voix contre cette survalorisation de l'œil, du regard, de l'image - mais aussi la jouissance d'un ciel bleu, d'une fleur, du monde qui nous anime, ou encore l'extase procurée par une œuvre d'art, bref tout ce qui a à voir avec le langage, la gratuité, la sensation, la contemplation. L'érotisme comme savoir sur la question de la jouissance ?
Philippe Sollers : Ce qui me paraît compliqué, c'est de répéter tout le temps le mot jouissance. J'ai écrit un texte qui s'intitule : « Je sais pourquoi je jouis. » Je préfère le savoir sur cette chose à la répétition du mot jouissance qui nous entraînerait dans une confusion. Ce qu'il faut se demander, c'est pourquoi y a-t-il une telle déflation dans le pouvoir dire plutôt que de se préoccuper de savoir jouir. Vous avez cité Dante qui dit quelque part que dire ça devient jouir. Les expériences dites érotiques, avant d'être le contact de deux physiologies, c'est dans le dire que ça surgit. C'est fondamentalement quelque chose d'asocial, de clandestin qui passe par le surgissement d'une langue secrète ou ce que les Anglais, bien inspirés pour parler de l'adultère, nommaient conversation criminelle. Comment ça se dit ? Dans quelle situation ? Pourquoi ? La question est là, sous vos yeux. Et c'est cela qui va être censuré : cette expérience-là et plus précisément une façon d'être dans la liberté. Vous avez dans mon livre Femmes le premier relevé du tournant de l'époque spectaculaire. Comme dans un tableau de Mendeleïev, vous avez les négatives et les positives. Les négatives, on les remarque éventuellement mais les positives : rien. Ce sont en général des personnages dont on peut remarquer la musicalité et une certaine vivacité de langage. Donc, je veux bien qu'on parle de jouissance mais en dehors du dire je ne sais pas ce que ça veut dire. En passant, il ne faut pas non plus oublier le plaisir nous ne sommes pas obligés d'aller vers une jouissance réitérée. Tout cela est de toute façon le fruit d'une expérience singulière. Toutes les choses dites érotiques qui ne sont pas dites doivent être considérées comme n'existant pas. C'est dans le dire que ça se passe, c'est-à-dire dans le langage qui se trouve aujourd'hui subir une torsion le plus souvent obscure ou obscurantiste. L'embarras physique se traduit par des embarras de langue ou de langage, voilà. Il y a très peu de choses que nous pouvons goûter avec les cinq sens à la fois et c'est ce que je nommerais relation érotique ou amoureuse. Cela va absolument à l'encontre de ce que Dieu, devenu Société et non plus le drame de la mort de Dieu se représentant dans la crise hystérique, ne peut pas supporter. C'est ce que j'appellerais tout simplement : une incarnation. Plus ça désincarne, mieux ça vaut pour le Dieu social et ses mannequins : suivez mon regard...
Et il va sans dire, que j'adhère à ces "dires" et à la "conversation" de Philippe Sollers.
(Les caractères gras sont de mon fait).