jeudi 24 septembre 2009

Mustapha

Le ministre de l'immigration et de l'identité nationale doit me recevoir dans son majestueux bureau. Brice Hortefeux arrive, me tend la main, sourit et lâche : "Vous avez vos papiers ?"

A plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander : "Vous êtes le prévenu ?" par l'huissier ou le gendarme en faction devant la porte du tribunal.

A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit pas. Certains n'hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu'"un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde !"

Je pensais que ma "qualité" de journaliste au Monde allait enfin me préserver de mes principaux "défauts" : être un Arabe, avoir la peau trop basanée, être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des "crochets" balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences.

(Extrait de l'article de Mustapha Kessous paru dans Le Monde d'hier).

...
Il y a quelques années, vivant à la campagne, j'avais fait nettoyer (karchériser si ce mot n'avait aujourd'hui un sens si détestable) la façade de ma maison par un démarcheur qui me demandait un prix raisonnable. Le travail fut soigneusement fait, les plantes sauvegardées. Cet homme était bien aimable, souriant, poli. Je lui ai offert un café après qu'il eut terminé et nous avons parlé de son pays, le Maroc, et de Fès sa ville natale.
Lorsqu'il fut parti, je regardai avec satisfaction ma façade devenue lumineuse. Une paysanne qui rentrait d'avoir mené ses vaches au pré s'arrêta et me dit : c'est le "bougnoule" qui t'a fait çà? J'étais incapable de répondre, j'avais une boule au ventre; j'ai fui, je suis rentrée dans ma maison. Je n'allais pas lui cracher à la figure. Le silence est le plus grand des mépris.

Plus récemment, la semaine dernière je séjournais chez des amis. Nous prenions le petit déjeuner avant d'attaquer une journée difficile. Le matin au réveil j'ai envie de douceur. Je tartine mon pain, le goûte et je dis à la maîtresse de maison : ton pain est vraiment bon. Et quelqu'un autour de la table de renchérir : oui, vraiment. Elle répond : oui ce boulanger est extra, c'est pour çà que je le prends là (le pain) et je m'en fous que ce soit un arabe.
Là, je n'ai pas pu me taire. Je connaissais déjà sa répulsion pour tout ce qui n'est pas "blanc". Je lui dis : je trouve choquant ce que tu dis, c'est du racisme. J'avais le coeur qui battait, je ne sais pas trouver d'arguments pour défendre ce qui devrait être indéfendable. Mais la journée commençait mal. Je ne raconte pas la suite. Ce fut le début de mes vertiges.