lundi 13 février 2012

"JE DIS TOUT, TOUT, TOUT"

Cette phrase de Marie Bashkirtseff : "je dis TOUT, TOUT, TOUT", cela n'est possible que dans un journal intime, pas un journal extime comme celui que j'expose ici.
En fait, je ne livre dans ce blog/journal que ce qui me concerne. Je ne peux aller plus loin et parler de ceux qui sont concernés, sauf s'ils sont morts.
J'ai tenu pendant des années mon journal intime, dans des cahiers tenus secrets. J'en ai déjà parlé.

Marie Bashkirseff écrivait ceci dans son Journal, dans la Préface qu'elle a tenu à écrire elle-même :

"D'abord j'ai écrit très longtemps sans songer à être lue, et ensuite c'est justement parce que j'espère être lue que je suis absolument sincère."
Cette phrase répond peut-être à ce que j'écrivais aujourd'hui à un ami :
"Je pourrais reprendre mon journal intime sans passer par mon blog me direz-vous ? Oui, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai besoin de faire semblant d’être lue, allez savoir pourquoi."


Marie B. avait 25 ans quand elle est morte et il y avait dans ce qu'elle écrivait la fraîcheur de l'âge :
"Non seulement je dis tout le temps ce que je pense, mais je n'ai jamais songé un seul instant à dissimuler ce qui pourrait me paraître ridicule ou désavantageux pour moi.  - Du reste, je me crois trop admirable pour me censurer. "
Cette phrase que je souligne me fait sourire, c'est en elle que je trouve cette fraîcheur, cette innocence.

"Si j'allais mourir comme cela, subitement, prise d'une maladie !... Je ne saurai peut-être pas si je suis en danger ; on me le cachera et, après ma mort, on fouillera dans mes tiroirs ; on trouvera mon journal, ma famille le détruira après l'avoir lu et il ne restera bientôt plus rien de moi, rien... rien... rien !... C'est ce qui m'a toujours épouvantée. Vivre, avoir tant d'ambition, souffrir, pleurer, combattre et, au bout, l'oubli !... l'oubli... comme si je n'avais jamais existé. Si je ne vis pas assez pour être illustre, ce journal intéressera les naturalistes ; c'est toujours curieux, la vie d'une femme, jour par jour, sans pose, comme si personne au monde ne devait jamais la lire et en même temps avec l'intention d'être lue ; car je suis bien sûre qu'on me trouvera sympathique... et je dis tout, tout, tout. Sans cela, à quoi bon ? Du reste, cela se verra bien que je dis tout..."

mardi 16 avril 1876

Quoi que je devienne, je lègue mon journal au public.


Tous les livres qu’on lit sont des inventions, les situations y sont forcées, les caractères faux, tandis que ceci, c’est la photographie de toute une vie. Ah ! direz-vous, cette photographie est ennuyeuse, tandis que les inventions sont amusantes. Si vous dites cela, vous me donnez une bien petite idée de votre intelligence.


Je vous offre ici ce qu’on n’a encore jamais vu. Tous les mémoires, tous les journaux, toutes les lettres qu’on publie ne sont que des inventions fardées et destinées à tromper le monde.


Je n’ai aucun intérêt à tromper. Je n’ai ni acte politique à voiler, ni relation criminelle à dissimuler. Personne ne s’inquiète si j’aime ou je n’aime pas, si je pleure ou si je ris. Mon plus grand soin est de m’exprimer aussi exactement que possible. Je ne me fais pas illusion sur mon style et mon orthographe. J’écris des lettres sans fautes, mais au milieu de cet océan de mots, j’en laisse échapper sans doute beaucoup. Je fais en outre des fautes de français. Je suis étrangère. Mais demandez-moi de m’expliquer dans ma langue, je le ferais peut-être plus mal encore.


Mais ce n’est pas pour dire tout cela que j’ai ouvert le cahier. C’est pour dire qu’il n’est pas midi, que je suis livrée plus que jamais à mes tourmentes pensées, que ma poitrine est oppressée et que je hurlerais volontiers. D’ailleurs, c’est mon état naturel.



Son journal manuscrit (106 cahiers et carnets, 19000 pages) est pour l'essentiel conservé aujourd'hui au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.

Marie meurt à Paris le 31 octobre 1884, à l’âge de 25 ans des suites d’une phtisie. Son oeuvre comprend une centaine de tableaux qui sont aujourd’hui exposés à Saint Petersbourg, Moscou, Athènes, Chicago, Amsterdam en passant par la France avec Paris (Musée d’Orsay, Petit Palais…) et Nice (Musée Jules Chéret).

Quelques liens ici. 

Ce billet m'a été inspiré par mes doutes : je ne dis pas TOUT évidemment, j'ai souvent envie de TOUT DIRE, je souhaite que mon blog reste confidentiel et j'ai besoin quand j'écris de savoir que je vais être lue. Tout cela est bien contradictoire. Je suis un paradoxe. Pour être honnête et sincère, je ne fais ici que combler ("enchairir"?) ma solitude. Une chose est sûre, je ne suis pas un écrivain, j'aime seulement me retrouver parfois dans leurs mots :

" Je suis un être de langue, et non un distributeur de contenus (c'est-à-dire un embouteilleur d'histoires, un athlète de l'emballage), tel a été mon tout premier cri de guerre. Je voulais souligner par là que mon moteur était un besoin de dire, mais aussi une difficulté à dire, sans autre engagement. Je ne suis que dans la mesure où je peux le dire et me dire."
Chapitre : Donner la vie, p. 264.
Paul Nizon, in Le Ramassement de soi.