dimanche 19 décembre 2010

Exquise journée dominicale

Ce fut un des ces dimanches à rêvasser en écoutant de la musique, un de ces dimanches à m’interroger pendant une heure pour savoir ce que j’allais faire entre mes rêveries, et je rejetais tous mes projets avec des prétextes non argumentés pour ne pas sortir. Je regardais le ciel par la fenêtre, je trouvais qu’il était beau, suffisamment beau pour vouloir mettre le nez dehors; mais j’entendais le vent comme une tornade dans le conduit de ma cheminée, cela me faisait frissonner bien que la pièce fût très chauffée. Il était déjà presque 11 heures, j’entendais les cloches battant le rappel de la messe pour les fidèles et heureux croyants. Le vent commençait à défaire les voiles de protection de mes plantes et je dus aller resserrer le cordon pour ne pas retrouver mon « emballage » sur le toit du voisin ou dans la rivière de l’Odet.


Cela m’occupa un peu, l’heure du déjeuner approchait. Rien de spécial, mes petits déjeuners tardifs m’autorisent à me suffire d’un potage, d’un yaourt, d’une clémentine et d’un café ! C'était dimanche et j'étais loin de ceux familiaux de mon enfance, la maison embaumait dès le matin, du repas du déjeuner et je n'oublierai jamais cette odeur de la tarte du dimanche dans le four qui me faisait sortir de mon lit. Je déteste cuisiner le midi, je réserve cela pour le dîner. En dégustant mon délicieux potage « thaï » (merci Knorr) j’écoutais Les Papous. Fin de l’émission, vaisselle faite, je m’interrogeais à nouveau sur mon programme, le vent n’avait pas faibli et quelques nuages étaient venus colorer le ciel, ma cheminée sifflait toujours autant. Et si j’allais en ville écouter les crieurs de Noël, voir les patineurs près de la cathédrale ? Mmmm, non. Et si j’allais voir l’expo au musée des Beaux-Arts ? Des portraits et autoportraits, voilà qui devrait m’intéresser ? Mmmm, non. Une autre fois.
Je sentais que je m’enfonçais un peu plus dans mes coussins. Je me levais alors, je mis un CD des Quatuors de Schubert, je retournais dans mon canapé et j’ouvris mon livre :

L’élève Bérénice

C’aura été la mode, dans ces dernières années, que de porter au poignet un ou plusieurs de ces bracelets dits brésiliens, étroits lacets de laine aux couleurs diverses, qu’on nouait en formant un vœu muet et ne devait ôter qu’ils ne tombent d’eux-mêmes. Quand Bérénice noua à mon poignet un de ces frêles bijoux, tressé par ses soins, elle était mon élève depuis plusieurs mois, et ce qu’il fallait bien appeler notre histoire avait pris un pli singulier. C’était une de ces froides journées de mars au cours desquelles on se prend à chercher du bout des lèvres, un peu de douceur. Et je me rappelai, ce jour-là, la douceur de septembre, de cette matinée où, nouveau venu dans l’établissement, j’avais pris possession de cette classe de troisième, un peu hébété par deux mois de retraite entre le granit et l’eau et une histoire d’amour à enfouir en moi plus difficilement qu’en une terre.
Je ne l’ai pas remarquée tout de suite – ou, si je l’ai fait, c’était pour chercher entre son nom et son visage des correspondances qui me satisfaisaient sans pour autant détacher cette élève de ses condisciples les plus évidemment jolies. Qu’elle s’appelât Bérénice ne pouvait que ravir un rêveur exigeant de noms et de visages ; elle descendait par sa mère d’une famille levantine et je ne me lassais bientôt plus d’interroger cette très jeune fille de treize ou quatorze ans, pour la seule lumière de son prénom qui sonnait comme un orient basculé dans le français racinien, avec pour Césarée le souvenir de mes errances adolescentes dans Antioche, Apamée, Palmyre ou Baalbek. Elle n’était d’ailleurs pas belle que de son prénom : le patronyme méridional, évoquait, très sonore, une terre dans le Laurageais ; et le visage, d’un ovale parfait, entouré de longs cheveux châtains, clairs et fins, semblait vivre autour d’yeux d’un marron si chaud qu’on finissait par ne plus attacher d’importance au reste du corps, menu, d’une taille médiocre, quoique bien fait, et trop sage sans doute (de cette sagesse tendre des timides, des amoureuse, des réprouvées) pour que mon cœur ait eu devant elle ces petits rebondissements que savaient si bien susciter d’autres filles de la classe, d’une beauté arrogante, offerte et dérobée tout à la fois, et dont je m’empressais de boire tout le charme.


Richard Millet, in Cœur blanc, Nouvelles, éditions P.O.L. 1994.

J'ai déjà dit ici et ce que je pensais de Richard Millet, je continue de le lire, avec un plaisir certain.

Ont suivi dans cette journée, une pause tea-time, et après Schubert, un CD de jazz.

A 18 heures, il faisait nuit, plus un souffle de vent, j'enfilais mon gilet pour aller sur la terrasse, j'apercevais l'Odet, je frissonnais, tout était calme, luxe et volupté.


Ce fut une exquise journée dominicale. J'eus une pensée pour Jacqueline de Romilly qui venait de disparaître. Je l'écoutais religieusement lorsqu'il m'arrivait de l'entendre (très rarement) à la radio. Je n'ai lu qu'un livre d'elle : Les roses de la solitude, un livre de souvenirs que j'avais trouvé émouvant. Ce livre était à ma portée, je ne suis pas sûre que ses autres ouvrages le fussent.

Il est 22 h 30 et j’écris ceci.