L’injection est faite. Attendre deux heures maintenant.
Un homme, la cinquantaine ? la soixantaine ? (difficile de donner un âge quand on est en robe de chambre et en charentaises) arrive sur un fauteuil roulant. L’accompagnateur place son fauteuil près du couloir (dans les courants d’air, il fait froid dans ce centre de médecine nucléaire) et près des revues. Il lui dit : voilà, ça ira ? Vous avez des magazines : Le Point, L’express, Le Nouvel Observateur (en bien piteux états), je reviens vous chercher tout à l’heure.
L’homme, en robe de chambre et charentaises donc, a le visage enflé, rouge, souffreteux, un tuyau dans la gorge ; il a une moustache et un bon regard ; je me dis : c’est bien, on lui laisse sa personnalité, sa petite moustache. Puis il sort un livre de sa poche faisant fi des magazines. Il l’ouvre, le marque-pages est à peu près à la moitié et il plonge dans sa lecture. Je ne sais pas pourquoi mais je suis contente qu’il ait un livre et pas besoin de feuilleter ces revues malmenées. Je reprends ma lecture de Romain Gary (c’est elle qui m’a soufflé ce mot : souffreteux).
R.G*. : […] J’ai toujours essayé de me lier avec des types qui n’ont rien de commun avec moi, c’est bon pour mes illusions, c’est bon pour ma foi dans l’humanité…
F.B. : Qu’est-ce qui te déplaît tellement chez toi ?
R.G. : Le côté souffreteux.
F.B. : ?
R.G. : Oui, Je souffrote tout le temps. Finalement, qu’est-ce que j’en ai à foutre, des Noirs, par exemple ? Rien. Je n’ai rien à en foutre, ils sont pas différents. Mais comme je suis souffreteux, ils me font mal au ventre. J’ai un côté complètement faiblard. J’ai tout le temps mal chez les autres, un côté pédé, enfin, je ne dis pas ça au péjoratif, les pédés, je les respecte, mais j’ai un côté qui est plus efféminé que féminin, tu sais, du genre "cinquante mille Ethiopiens qui sont encore morts de faim". C’est baveux. Il n’y a vraiment aucune raison pour qu’un type décoré pour sa valeur militaire manque à ce point de santé morale. Enfin bref. Je sortais la nuit sur ces barques de pêche, avec des types cons et simples, avec de vraies épaule de machos et de vraies tête de cons pleines de santé morale, mais dès qu’ils se mettaient à me faire des confidences, ils cessaient brusquement d’être cons, il n’y a plus moyen de croire à rien. Quand tu as une espèce de géant qui se met à t’ouvrir son cœur, et qui est tout tendre à l’intérieur, c’est démoralisant au possible.
L’homme souffreteux émit un son rauque à ce moment de ma lecture, je le regardais discrètement, il semblait avoir du mal à respirer et ce son étant déchirant. Il sortit de sa poche un tube, sa main tremblait, et le porta à sa bouche pour l’inhaler. Il avait l’air un peu gêné, il m’a regardé ; je lui ai souri ; il m’a souri. J’ai posé mon livre, je lui ai demandé s’il n’avait pas froid (moi j’étais glacée, j’avais remis ma parka et mon écharpe) et s’il ne voulait pas que je déplace son fauteuil vers le milieu de la pièce, il aurait moins de courants d’air. Je veux bien m’a-t-il dit en me remerciant ; je l’ai déplacé (un souvenir m’a traversé comme un éclair) et nous nous sommes replongés sans rien dire d’autre dans nos livres respectifs ; je n’ai pas réussi à voir ce qu’il lisait.
Je pensais à sa solitude – ou peut-être à la mienne ? Je me disais : il ne doit pas avoir de femme, c’est dur d’être seul et de n’avoir qu’un accompagnateur plutôt qu’une compagne, quand la santé est défaillante.
Vite, je repris ma lecture qui me faisait sourire et même rire.
De retour à la maison. Bien-être de retrouver my sweet home, plus envie de me plaindre de quoi que ce soit.
Et Philippe Sollers me divertit !
Ah! Philippe Sollers, ce que vous me faites rire.
Remaniement :
"Je suppose que vous êtes comme moi ; à force de gesticulations, vous n’arrivez plus à prendre au sérieux le spectacle politique. […] Le bon vieux temps, celui où la France "s’ennuyait", est loin, très loin, et disons-le carrément sans exagérer : la France, désormais, s’emmerde. Les médias ont beau tourner à plein régime, un seul candidat émerge de cette bouillie : Mediator. Je le prends comme tranquillisant, tant pis pour les effets secondaires."Bordeaux :"On l’aura remarqué ; quand la France s’effondre, elle se replie sur Bordeaux.
[…] Reprenons courage : n’est-ce pas le président chinois Hu Jintao qui, dans un toast porté à l’Elysée, a déclaré que la France n’était pas seulement le pays de l’Airbus et du TGV, mais aussi celui de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, de Hugo, d’Alexandre Dumas ? On a fait boire ce soir-là à cet honorable banquier chinois, un bordeaux 1942, date de sa naissance. S’il y avait eu un second toast, nul doute, il aurait fini par citer mon nom. Comme l’a dit le président Mao : "L’avenir est radieux, mais le chemin est tortueux.""
* Voir mon précédent billet, La nuit sera longue. Ce dernier extrait sorti de son contexte (shame on me) aurait mérité d'être plus explicatif, pour en saisir, et la brutalité et la douceur. Se reporter à l'ouvrage et le lire, sans plus attendre.
"Comme dans La Promesse de l'aube, Romain Gary parle ici de ce qu'il a vu, connu, aimé. De Vychinski à Groucho Marx, de Chruchill à de Gaulle, des héros de la France Libre aux ambassades et à Hollywood, c'est une suite de rencontres, de portraits et d'événements, une chevauchée de coureur d'aventures qui semble avoir vécu plusieurs vies : aviateur, diplomate, écrivain, cinéaste, toujours passionné, toujours amoureux de l'éternel féminin".
4è de couverture.