samedi 13 novembre 2010

La Vie derrière soi

Ce samedi.
Matinée.
Je vois à peine à travers les fenêtres battues par les trombes d’eau. Je comprends bien en voyant mes vitres ton expression imagée : avoir de la glycérine aux mirettes.
Ce sera encore une journée à passer en "mon fort intérieur". Je suis imprégnée du langage de monsieur Cousin. Je ne vais pas pouvoir passer à autre chose tout de suite. Je crois que je vais dans un premier temps lire tout Ajar (œuvre composée de quatre romans, voir ci-dessous) puis peut-être Vie et mort d’Emile Ajar par Romain Gary. J’ai, en cours de lecture La nuit sera calme de Romain Gary.

" Début des années 1970. Romain Gary est un écrivain connu. Depuis 1945, il est publié par Gallimard. Il est le lauréat 1958 du prix Goncourt (Les racines du ciel). 19 romans plus tard, il recherche le frisson du débutant. Il s'embarque alors dans une nouvelle aventure, celle d'Emile Ajar. Sous ce pseudonyme, Gary publie quatre romans : Gros-Câlin (refusé par Gallimard, publié par les éditions Mercure de France dirigées par Simone Gallimard), La Vie devant soi qui reçoit le prix Goncourt (1975), Pseudo et enfin L'angoisse du roi Salomon.
C'est à la suite du suicide de Romain Gary en décembre 1980 que par un communiqué de l'AFP l'identité d'Emile Ajar est dévoilé".

Deux prix Goncourt dans une carrière d’écrivain, il faut le faire! Il pouvait conclure en effet dans Vie et mort d’Emile Ajar le 21 mars 1979, par : "Je me suis bien amusé. Au revoir et merci ".

J’écoute Répliques : Amour conjugal et passion amoureuse. Il me semble que c’est une rediffusion.

Après-midi.
Toujours avec France Culture, ce n’est plus par hasard, l’émission Tentatives Premières ; la semaine dernière le sujet était la mélancolie, aujourd’hui : le sexe ! France Cul(ture) se diversifie dans ses programmes mais ce n’est pas nouveau. Interview d’une certaine Paloma, opératrice de téléphone rose qui parle du crushing pour satisfaire un de ses « clients ». Et la voilà dans la campagne en promenant son chien pour ramasser des escargots et des scarabées pour… non mais… la suite peut s’écouter ici. Quand le téléphone rose devient une alternative crédible à la psychiatrie.

Bon, je préfère revenir à mes amours !

" […] je murmurais « je vous aime » et le murmure est peut-être ce qu’il y a de plus fort au monde".
Emile Ajar, in Pseudo.

J’ai donc poursuivi cette après-midi bien sombre à l’extérieur, par de la lecture et me suis replongée courageusement dans La vieillesse de Simone de Beauvoir. Je tombe sur ce chapitre : Temps, Activité, Histoire, qui, coïncidence me ramène un moment au titre du roman de Emile Ajar (je n’en sors pas) : La vie devant soi.

"L’âge modifie notre rapport au temps ; au fil des années, notre avenir se raccourcit tandis que notre passé s’alourdit. Les conséquences de ces changements se répercutent les unes aux autres pour engendrer une situation, variable selon l’histoire antérieure de l’individu, mais dont on peut dégager des constantes.
Et d’abord, qu’est-ce qu’avoir sa vie derrière soi ? Sartre l’a expliqué dans L’Être et le Néant : on ne possède pas son passé comme on possède une chose qu’on peut tenir dans sa main et regarder sous toutes ses faces. Mon passé c’est l'en-soi que je suis en tant que dépassé. […] Il y a dans le passé une sorte de magie à laquelle on est sensible à tout âge. Le passé a été vécu sur le mode du pour-soi et pourtant il est devenu en-soi ; il nous semble atteindre en lui cette impossible synthèse de l’en-soi et du pour-soi à laquelle aspire toujours vainement l’existence (1). Mais ce sont surtout les gens âgés qui l’évoquent avec complaisance. "Ils vivent plus par le souvenir que par l’espoir" notait Aristote."
(1) "De là vient que le souvenir nous présente l’être que nous étions avec une plénitude d’être qui lui confère une sorte de poésie. Cette douleur que nous avions, en se figeant au passé elle ne cesse de présenter le sens d’un pour-soi, et cependant elle existe en elle-même avec la fixité silencieuse d’une douleur d’autrui, d’une douleur de statue." (Sartre, L’Être et le Néant).

C’est sans doute aussi grâce à cette magie, à cette poésie que bien souvent nous embellissons nos souvenirs pour occulter cette "douleur d’autrui". Et pendant que j'écrivais ces quelques lignes je m'entretenais de sentiments intimes, de la solitude et de l'inconscient avec un ami. Tout cela faisant un mélange... d'une exquise douleur. Cet oxymore convient parfaitement mais je pourrais dire aussi, d'une exquise douceur.

J’ai mérité de me faire un bon thé en fermant mon livre parce que celui-là je le lis à dose homéopathique. Bon, il me plaît de temps en temps de faire de mes lectures des éléments de réflexion positive. Mais en aucune façon, je ne me laisserais influencer par la phrase d’Aristote et submerger par les souvenirs, ni non plus par l’espoir (c’est au-dessus de mes forces). Simplement vivre le présent, vivre de désir si possible. Je sais que le désir et le manque ne font qu'un mais c’est un stimulant pour la vie. Tant qu’il y a désir, il y a vie.