samedi 20 novembre 2010

Clown triste

Je ne me trouve rien d’aimable et je me demande pourquoi on m’aime, parfois. Je ne dois mettre que le bon, le beau côté de moi en évidence, sans m’en rendre compte. Je ne suis pas celle qu’on croie. Il faudrait vivre avec moi pour le savoir. Je l'ai déjà écrit, je radote. Il faudrait m’aimer d’un amour fou pour me supporter (même de loin). Toi tu me pardonnais tout, mes caprices, ma mauvaise tête des mauvais jours ; tu en riais et cela m'énervait mais me faisait t’aimer encore plus. Il y a en moi autant de douceur que de violence mais l’un n’équilibre malheureusement pas l’autre.

J’ai parfois l’impression de tout gâcher, de m’enfoncer dans ce gâchis. A vouloir tout dire je me détruis. Ma matinée fut lourde, triste. En début d’après-midi j’ai voulu faire le vide, j’ai allumé la télévision, zappé sur toutes les chaînes ; je ne peux plus regarder la télévision, ça m’ennuie mortellement. J’ai éteint, j’ai allumé la radio, France Culture, ma chère France Culture, 14 h 10, je tombe sur Pierre Etaix dans l’émission Projection privée, l’intégrale de son œuvre sort en DVD. Il parle de sa formation de clown, de son admiration pour Charlie Chaplin, Buster Keaton, oui vraiment, la radio c’est mille fois mieux que la télévision. Zut, j’aurais dû enregistrer le court métrage sur Arte hier soir Heureux anniversaire. Il ne faut pas que je reste enfermée aujourd’hui. Ma jambe est bloquée, tant pis, je vais aller la débloquer ou la tétaniser complètement au golf. Ça m’est égal, tout m’est égal aujourd’hui.

Je suis rentrée du golf, comme prévu, la jambe tétanisée, je ne pourrai donc pas faire la compétition demain. Dommage, ça m’aurait empêché de ruminer. Je lirai, si je peux, il faut avoir l’esprit libre, disponible pour la lecture. J’ai relu d’une traite l’autre soir La littérature à l’estomac de Julien Gracq, ça m’est un peu resté sur l’estomac comme quand je mange un truc amer. Il n’y va pas de main morte mais il a raison. La lecture a ceci de particulier, c’est qu’on la reçoit différemment selon nos états d’âme. Je pense que mes états d’âme en ce moment seront plus satisfaits par Joë Bousquet.

Chapitre I, première phrase :

"Enfant je devais être d’un naturel assez soumis. Je ne me suis pas révolté contre l’autorité paternelle avant la fin de ma treizième année ; mais, ce fameux dimanche là avec une violence, il est vrai, qui a pour toujours enlevé à ma famille l’envie de m’exaspérer. Et soit que son coup d’œil médical ait montré à mon père une névrose en marche dans mon accès de fureur, soit qu’il m’aimât assez pour me craindre, soit qu’il eût compris ses torts, il parût désormais avoir puisé une profitable leçon d’indulgence dans la scène d’hystérie qu’il avait involontairement déchaînée."
Joë Bousquet, in Le pays des armes rouillées, éditions Rougerie, 1982.
Voilà un début qui me parle. Julien Gracq se moquerait de moi. Ainsi dit-il :

"A partir du moment où il existe un public littéraire (c’est-à-dire depuis qu’il y a une littérature) le lecteur, placé en face d’une variété d’écrivains et d’œuvres, y réagit de deux manières : par un goût et par une opinion. Placé en tête-à-tête avec un texte, le même déclic intérieur qui joue en nous, sans règle et sans raisons, à la rencontre d’un être va produire en lui : il "aime" ou il "n’aime" pas, il est, ou il n’est pas, à son affaire, il éprouve, ou n’éprouve pas, au fil des pages ce sentiment de légèreté, de liberté délestée et pourtant happée à mesure, qu’on pourrait comparer à la sensation du stayer aspiré dans les remous de son entraîneur ;[…]".
Julien Gracq, in La LITTERATURE à l’estomac, Librairie José Corti, 1950.

La littérature, la musique parviennent à masquer mes chagrins… mais ne les apaisent pas.

Que sera ma soirée, je n’ai le cœur à rien, et surtout pas à lire. Je me sens comme un clown triste. Alors je vais revisionner mes enregistrements sur L’expressionnisme abstrait : Jackson Pollock, Robert Motherwell et Jasper Johns. Il y a au moins trois ans que je ne les ai pas revus. Oui, c’est une bonne idée. Littérature, musique, peinture, je peux toujours finalement satisfaire mes états d’âme, selon.