vendredi 19 novembre 2010

Futile apparence


Quelle femme vieillissante ne se sera postée devant son miroir, n’aura posé ses mains sur son visage et tiré ses joues vers ses oreilles pour tenter de supprimer ses rides, lisser sa peau flétrie.
Même toi maman, je m’en souviens, pourtant tu n’étais pas une femme qui semblait préoccupée par son vieillissement et tu n’avais pas à l’être, tu étais belle, avec tes rides.

Je n’oublierais jamais ce jour – c’était peu de temps, un an peut-être, avant que l’Alzheimer ne s’abatte sur toi - nous étions toutes les deux dans la salle-de-bains à nous démaquiller ; je devais avoir 37 ou 38 ans et tu fis ce geste quaujourd’hui il m’arrive de faire devant mon miroir en riant toute seule, me souvenant de notre éclat de rire quand tu lissas ton visage en tirant sur ta peau. On ne parlait pas encore à l’époque de lifting, de botox, de laser, de collagène, d’acide hyaluronique ! Ton seul soin de beauté c’était la crème que tu mettais matin et soir, le matin tu rajoutais un voile de poudre avec ta houppette. C’était pour l’époque une crème de luxe, que tu trouvais chère – Harriet Hubbard Ayer –, tu l'achetais chez mon parrain, il avait une parfumerie dans le centre ville ; le pingre, il aurait pu t’en faire cadeau ou une bonne réduction ! Je revois ce gros pot blanc et je sens encore son odeur. Cette marque existe toujours (merci Google).

Ce fut un moment joyeux bien plus que cette autre fois, deux ans plus tard, j’en suis sûre maintenant, deux ans plus tard. Mon Amour était mort entre temps. Je vivais toujours à Paris et je t’appelais tous les jours! J’avais trouvé que tu me répondais parfois bizarrement et j’étais inquiète. J’avais pu me libérer deux jours plus le week-end et j’étais venue te voir en Bretagne. Nous étions à nouveau avant de nous coucher dans la salle-de-bains à nous démaquiller. Je te revois comme si c’était hier, nous nous regardions dans la glace, ton regard était moins pétillant, plus perdu, tu me dis : et comment va ton mari ? Non seulement tu avais oublié son prénom mais oublié qu’il était mort quelques mois plus tôt. Inutile d’espérer que tu te souvins du tien, mon père, mort vingt ans plus tôt.

J’ai cru que j’allais pleurer mais je tins bon. Je compris que le pire venait d’arriver. Le lendemain soir tu me posas cette question : tu t’appelles comment ?

Alors l’apparence, les rides, n’est-ce pas, comme tout cela est futile.

Maman, tu étais drôlement belle. (Vous étiez drôlement beaux).

12 mai 1936

Ma petite maman… j’ai rêvé de toi cette nuit et c’était un beau rêve.

Tu étais gênée par le soleil, gênée aussi d'être prise en photo et pourtant heureuse, cela se voit. Je te tenais par la taille, je ne regardais pas l'objectif, je te regardais.
C'est mon Amour qui nous prenait. Nous étions à Jersey.