samedi 6 novembre 2010

En vous écrivant, ma main vous cherche encore

"Vous m’êtes venue de toutes parts et de nulle part me déloger de moi, traverser mon impasse, l’ouvrir vers le grand large. Et maintenant, chaque jour, je m’abats en vos pentes chaudes, entre vos formes douces, et je vois dans vos lèvres l’accès à l’infini. Ma joie sans précédent, c’est votre innovation, je suis votre fidèle, hors de vous point d’attaches, point d’autre concurrence que la femme que vous êtes en ses métamorphoses, pourvu qu’elle soient d’amour, de cet amour que vous et moi nous disons, nous faisons à n’en plus savoir qui nous sommes vraiment, comme si notre identité, délicieusement, se grisait à l’idée de nous rendre méconnaissable à nous-mêmes.
Ma main tremble à vous écrire tout cela. Ma main vous transperce d’amour pour vous écrire, et au bout, elle tremble avec le tremblement des mots. En écrivant, ma main vous cherche encore alors qu’elle vient de vous traverser. Ma main voudrait sauter des pages vierges de vous pour remplir votre peau de ses cantiques à venir. Mon écriture m’embarque vers votre archipel intime, mais par quelle île commencer en vous quand c’est pour toutes que j’ai quitté le port, et laissé derrière moi mon passé d’éclusier. Je jouis, j’interroge le ciel, mais en baissant les yeux, car ce ciel a chu en vous, qui en raflez les astres, le jour, et la nuit les taillez, lorsque s’ouvrent vos nymphes, se ferment vos paupières et que je m’éblouis de votre jouissance ? Mon jouir n’est rien s’il n’est le fruit du vôtre, s’il n’a su être ce mélange de terre, d’eau, et de feu dont votre ventre est fait et attend de l’amour sa cuisson. Mon plaisir est le potier tantôt ivre et tantôt angoissé de votre désir.
Je vous aime avec le brio propitiatoire des pauvres en raison, riches en inspiration. J’ai l’air de vous aimer à tâtons, en ratant des marches, au mépris des rampes, et pourtant si vous saviez comme est inflexible mon ouvrage d’amour de vous. Ses approximations sont plus dures que la pierre, plus stables que les équilibres, plus belles que les fleurons du compagnonnage. Vous m’obligez à l’indicible accord.
Je vous aime toujours séance tenante, et la séance en nous se prolonge. Je vous aime toujours toutes affaires cessantes, et les affaires ne cessent pas de cesser. Je vous aime parce que c’est un miracle que de commencer à aimer ainsi, et parce que cette fois, il efface toutes les fois où c’en était un qui n’avait pas la grâce, le duende, de rester un miracle.


Marcel Moreau, Nous, amants au bonheur ne croyant