dimanche 24 juillet 2011

Bas les masques

"Tout ce qui est profond aime le masque. Les choses les plus profondes de toutes ont même en haine images et symboles. La contradiction seule ne serait-elle pas le véritable déguisement sous lequel s’avancerait la pudeur d’un Dieu ? Question problématique. Il serait étonnant que quelque mystique ne se soit pas risqué à ce genre de chose sur lui-même. Il y a des procédés d’un genre si délicat, que l’on est bien inspiré de les ensevelir sous une grossièreté, pour les rendre méconnaissables. Il y a des actes d’amour d’une générosité débordante à la suite desquels, il n’y a rien de plus recommandable que de se saisir d’un gourdin et d’en rosser le témoin oculaire ; on lui brouillera ainsi la mémoire. Plus d’un est passé maître dans l’art de brouiller et de brutaliser sa propre mémoire, pour se venger du moins sur cet unique complice ; la pudeur est inventive. Ce ne sont pas les pires choses qui suscitent la pire des hontes, il n’y a pas que de la ruse perfide derrière un masque, il y a tant de bonté dans la ruse. J’imaginerais volontiers qu’un homme ayant à abriter quelque chose de précieux et de fragile, traverse la vie en roulant, mal dégrossi et rebondi, tel un vieux tonneau à vin, verdâtre, cerclé de lourde ferraille ; c’est ce que veut la finesse de sa pudeur. Qu’un homme ait de la profondeur dans sa pudeur, et ses destinées et ses délicates décisions le rencontreront également sur des chemins, où bien peu parviennent jamais, et dont les hommes qui lui sont les plus proches et les plus intimes ne peuvent absolument soupçonner la présence. Son danger mortel se dérobe à leurs yeux. […] Un tel être caché qui par instinct a besoin de la parole pour se taire et pour taire, inépuisable pour ce qui est d’esquiver la communication, veut, et fait en sorte qu’un masque à son effigie vagabonde à sa place dans le cœur et la tête de ses amis. Et, à supposer qu’il ne le veuille pas, ses yeux lui feront voir un jour que c’est malgré tout, un de ces masques qui s’y trouve et que c’est tant mieux. Tout esprit profond a besoin d’un masque, plus encore, un masque pousse continuellement autour de tout esprit profond, du fait de l’interprétation constamment fausse, à savoir, plate de toute parole, de tout pas, de tout signe de vie émanant de lui."

Friedrich Nietzsche, in Par-delà le bien et le mal, paragraphe 40.

Le masque est une façon de dire l’indicible. La vérité est pudique. La vérité toute nue est obscène.
Il n’y a de réalité que pulsionnelle.

Je dédie ce "paragraphe 40" à un ami nietzschéen.

«Quiconque a sondé le fond des choses devine sans peine quelle sagesse il y a à rester superficiel. C’est l’instinct de conservation qui apprend à être hâtif, léger et faux.»
[Friedrich Nietzsche] - Extrait de Par-delà le bien et le mal.

« Nietzsche qui tout comme Schopenhauer accordait une grande importance aux arts, se désignait lui-même comme un immoraliste. Pour lui les valeurs de la morale chrétienne traditionnelle étaient l'expression de faiblesse et d'une pensée décadente. Il analysa les idées de nihilisme, du surhomme et de l'éternel retour de la répétition sans fin de l'histoire.
Selon Nietzsche, l'état normal du nihilisme, qui est la négation de l'être, est une manière divine de penser, en ce sens qu'elle est un rejet définitif de tout idéalisme (du nihilisme au sens faible) et de ses conséquences (la morale chrétienne entre autres).
« Le Surhomme de Nietzsche est un dieu épicurien ramené sur terre. Il ne doit pas se soucier des hommes, ni les gouverner : sa seule tâche est la transfiguration de l'existence. »
« Nietzsche n'a pas commencé par tracer une figure théorique, idéale, du Surhomme. Il n'a pas non plus supposé que le Surhomme ait déjà existé, mais que, s'il est vrai que les hommes tendent à se surmonter, alors il a pu exister déjà des hommes présentant les caractéristiques de la surhumanité. Il s'est donc tourné vers les grands hommes, et les a scrutés, en en retirant des leçons de dépassement de soi, tout comme il s'est tourné vers les moralistes français pour explorer la psychologie humaine. Il est toutefois notable que pour Nietzsche le chemin à parcourir avant l'émergence de surhommes est encore long, comme l'indique ce passage de Ainsi parlait Zarathoustra : « Jamais encore il n'a existé de Surhumain. Je les ai vus nus tous les deux, le plus grand et le plus petit des hommes. Ils se ressemblent encore trop. En vérité, le plus grand m'a paru - par trop humain. »

Le peu que j’ai glané ici et là, trop superficiellement, ne me permet pas de parler de Nietzsche en experte. Parfois ce que je lis m’enthousiasme, souvent m’anéantit. J’ai un sentiment bizarre en le lisant, il me semble qu’il faut être inébranlable (indestructible?) pour saisir toute la profondeur de ses aphorismes mais aussi pour en supporter la puissance et en sortir aguerri.

Voilà, ce vendredi 22 juillet 2011 c’était donc la dernière émission sur les Généalogies de la morale mais aussi la dernière émission des Nouveaux Chemins de la Connaissance présentée par Raphaël Enthoven. J’ai dit ce que j’en pensais, ma déception, mon regret et, si j’en crois ces commentaires, je ne suis pas la seule à être attristée par ce départ.

Je me souviens,
de cette conférence à laquelle j'ai assistée avec émotion le 31 janvier 2009 puis de la séance de dédicace qui suivit pour son livre : Un jeu d'enfant - La philosophie, La philosophie à portée de main, pour lequel j'ai bien entendu fait la queue pour avoir la mienne,
de ma timide voix un peu traqueuse en lui disant que je l'écoutais chaque jour avec bonheur,
puis en lui donnant mon prénom,
de son regard quand il m'a dit, avant de mettre sa  dédicace : savez-vous que vous avez le prénom de la femme de Camus? J'ai rougi en lui disant que non, je ne le savais pas.
Plus tard j'ai consulté diverses biographies d'Albert Camus, il a eu beaucoup de femmes dans sa vie dont une en effet pouvait avoir mon prénom. En fait c'est un petit nom qui est devenu mon prénom, pas très commun mais ordinaire.
Mon livre sous le bras, je me suis précipitée pour lire les premiers mots, en exergue une phrase de Albert Camus : "Le monde est beau et, hors de lui, point de salut". L'ouvrage commence ainsi :

"C'est une duchesse brisée d'osier sec, posée sur des ardoises, face à l'océan, dont les coussins tâchés par la résine accusent un bleu douteux. Elle surplombe une terrasse en graviers qui regarde l'Ile du Levant. Un petit lézard tombé du lit tente une sortie, à quatre pattes, puis rebrousse chemin sous les feulements de Taïpi, le gros chat centenaire qui hante la maison. C'est l'aube, et le début paisible du printemps. Rien ne bouge hormis la fumée d'une première cigarette, la mousse fragile et pugnace d'une bonne tasse de café, les ailes étiques des papillons de nuit, les épines et les pousses de lin penchées sur des briques encore fraîches."

Je m'en remets une petite louche avec cette vidéo :