Je croyais avoir oublié tout ça, avoir enfoui dans ma mémoire les derniers instants de ta vie, si profondément, que ça ne reviendrait jamais. Je ne pensais plus à toi qu'avec les bons moments et voilà que ressurgit ces images, ces photos que j'avais déchirées pour ne plus jamais y penser.
Au téléphone ce matin elle me parlait tout bas, pour qu'il n'entende pas. Ils avaient vu l'oncologue hier. Je ne retenais que quelques bribes de phrases, de mots, comme ceux-ci : morphine, soins palliatifs. Je les trouvais pour ma part rassurants. Ne dit-on pas qu'on est choyé, qu'on ne souffre pas et même que les malades n'ont pas envie de mourir dans ces endroits-là? Mais non, lui ne veut pas, il veut rester chez lui, même s'il n'a plus la force de regarder son jardin qu'il aime tant, à travers la baie vitrée. Il lui a dit : je veux mourir chez moi. Mais cela veut dire aussi toute une organisation médicale à mettre en place; une épouse n'est pas une infirmière, jamais de la vie. Et puis il faut qu'elle garde toutes ses forces pour les durs moments à venir.
Alors, oui, je pense à tout ça, à tes derniers mois dans ce centre magnifique où tu as été accompagné merveilleusement quand je n'avais plus la force de t'aider à te relever quand tu perdais l'équilibre. Tu ne pouvais plus rester dans ton atelier.
Tout cela est si loin et la mémoire garde tout. Au moins je n'ai pas (encore) la maladie d'Alzheimer.