mercredi 1 juin 2011

Charles Ferdinand Ramuz

Ce matin le vent s'est levé et souffle en tempête depuis hier.
Je me réfugie à la médiathèque d'Evian comme hier. J'avais espéré que mon ami Suisse prît le temps de me voir mais il avait d'autres centres d'intérêt.
Qu'importe, j'ai passé dix jours merveilleux dans les Alpes et en Savoie.

La médiathèque C.F. Ramuz.


C'est la première fois que je lis quelques lignes du Journal de Ramuz, mais ce ne sera pas la dernière.


Charles Ferdinand Ramuz
9 septembre 1895

"Quel dommage que notre belle Suisse soit devenue en quelque sorte un carrefour cosmopolite où se rencontrent sur un terrain neutre tous les peuples du monde, des Anglais flegmatiques aux Méridionaux exaltés, des Américains pratiques aux Russes rêveurs. La Suisse est maintenant en quelque sorte un vaste amphithéâtre dont les décors superbes attirent un public blasé des plaisirs à la mode qui reste insensible à la beauté de nos montagnes mais qui est satisfait pourtant de pouvoir dire qu'il a vu la Suisse. C'est maintenant "le grand chic" de passer quelques semaines d'été dans les stations alpestres dans quelque hôtel mondain. C'est maintenant la mode de gravir quelque haute cime au risque de s'y casser le cou et de publier ou tout au moins de raconter ensuite ses impressions en faisant frémir les mondaines qui vous écoutent.
Les chalets autrefois habités par les pâtres seuls et leurs troupeaux sont maintenant remplis le jour durant de touristes armés d'alpenstocks, la tête couverte du passe-montagne gris et qui font crier les dalles de granit sous leurs gigantesques souliers constellés de clous énormes. Ces personnages viennent faire des cures de lait, se gorgent de crème, se gavent de fromages, payent et s'en vont contents.
Il va sans dire que les bergers y trouvent leur compte. Ils exigent une assez forte somme pour le plus petit service, ils pratiquent l'industrie des étrangers. Aussi sont-ils les premiers à attirer chez eux des clients dont les poches sont si bien garnies et les amoureux de la montagne ne savent où aller pour ne pas rencontrer ces caravanes criardes d'étrangers en vacances.
J'ai lu je ne sais dans quel journal que les hôtels allégeaient leurs clients d'une somme de quatre cents millions par an dont la plus grande partie sort des poches de nos voisins français allemands et anglais. Je commence à comprendre pourquoi les hôtels de toute nature se multiplient si bien qu'on en rencontre jusque sur les sommets des hautes montagnes dans le domaine des chamois. Quatre cents millions c'est déjà quelque chose. Cependant je préférerais de beaucoup voir la Suisse pauvre, habitée par un peuple d'agriculteurs et de pâtres, honnête et bon, que de la voir transformée en un énorme "Gasthof" en une vaste hôtellerie à la mode."

[...]
13 mai 1897
"[...]
Lire un beau livre c'est contempler un beau paysage. Les mêmes impressions nous envahissent, les mêmes sentiments de calme et de paix bercent l'agitation "puérile" de tout notre être et le même idéal de beauté se dresse devant nous comme une statue sortie en un instant du ciseau d'un Phidias invisible."

C.F. Ramuz, in Journal, tome 1, 1895 - 1903, éditions Slatkine, Genève.