samedi 6 février 2010

Quelques heures de lecture heureuse

Se méprend du tout au tout quiconque fait voeu de taciturnité dans l'espoir d'y trouver un apaisement. Passer des jours et des jours à se taire ne délivre pas de la malédiction de la parole, c'est au contraire la subir avec un surcroît de douleur.
[...]
Sans doute eût-il fallu, pour garder en soi un fond de gaieté, ne rien voir du monde ni entendre qui vienne de son versant le plus sombre, rien que les éclaircies au sommet et la musique parfois d'une ineffable beauté, mais c'est là encore rêver tout haut, car croirait-on avoir occulté l'innommable qu'il bondirait hors de l'ombre pour rentrer le rire dans la gorge.

Louis-René des Forêts, Ostinato.

Relecture, pas vraiment gaie, mais écriture tellement belle et troublante.

Pour sourire, rire et éclater de rire, je suis retournée vers ces pages :

Tout le jour, les basques de leur redingote flottant au vent, Bouvard et Pécuchet surfent sur Wikipédia.

Parfois je m'assieds, le crayon à la main, mais je n'ai pas envie de faire du Chevillard encore; j'attends donc qu'il se lasse d'attendre; c'est alors tantôt du Montaigne qui me vient, tantôt du Proust, du Borges ou du Nabokov; à la fin, tout de même, ma vanité d'auteur reprend le dessus et je signe ces pages de mon nom.

Eric Chevillard, L'autofictif.

Je regarde par la fenêtre derrière mon écran et je me réjouis de voir qu'il fait encore bien jour à 18 h 40! Pensées optimistes d'une banalité affligeante : nous allons vers les beaux jours.

J'ouvre encore ce livre dont je me demande si j'arriverai un jour au bout, mais cela n'a aucune importance, c'est le genre de livre que l'on peut laisser sur sa table de salon des années, on sait que l'on y trouvera toujours quelque chose, juste écrit pour vous, tellement pour vous, que vous pensez l'avoir vous-même écrit quelque part, bien avant de l'avoir lu :

Je voulais écrire sur la mort, mais la vie est intervenue, comme toujours. Je m'aperçois que j'aime questionner les gens sur la mort? Je me suis mis dans la tête que je ne vivrai pas jusqu'à 70 ans. "Supposons, me dis-je l'autre jour, que cette douleur que je ressens à l'endroit du coeur m'étreigne soudain violemment, comme on tord une lavette, et que je meure." Je somnolais, j'étais indifférente et calme, en sorte que je pensais que cela n'aurait pas beaucoup d'importance, excepté pour L. Et puis quelque oiseau de lumière, où le fait de mieux me réveiller me fit soudain désirer vivre - désirer surtout marcher le long du fleuve en observant toutes choses.

Virginia Woolf, Journal Intégral (vendredi 17 février 1922).

Juste se taire après cela, exquise Virginia.