vendredi 19 février 2010

Folie ou déraison

Antonin Artaud


En écoutant ce matin pour le dernier jour de la semaine l'émission consacrée à Michel Foucault et dont le sujet était : Foucault et la folie, j'ai eu ensuite envie de replonger dans quelques pages d'Antonin Artaud. Il n'existe pas pour moi de meilleur écrivain ayant pu et su analyser sa folie avec autant de lucidité, à part Nietzsche peut-être et Céline?

Et si c'était être fou que de se croire non fou?
"Là où il y a oeuvre il n'y a pas folie". Michel Foucault

Dépression, mélancolie, folie, mort, on me prend pour une folle quand je dis que ces sujets-là me passionnent.

"La paralysie me gagne et m'empêche de plus en plus de me retourner sur moi-même. Je n'ai plus de point d'appui, plus de base... je me cherche je ne sais où. Ma pensée ne peut plus aller où mon émotion et les images qui se lèvent en moi la poussent. Je me sens châtré jusque dans mes impulsions. Je finis par voir le jour à travers moi-même, à force de renonciations dans tous les sens de mon intelligence et de ma sensibilité.
[...]
Il me parle de Narcissisme, je lui rétorque qu'il s'agit de ma vie. J'ai le culte non pas du moi mais de la chair, dans le sens sensible du mot chair. [...] Rien ne me touche, ne m'intéresse que ce qui s'adresse directement à ma chair. Et à ce moment il me parle du Soi. Je lui rétorque que le Moi et le Soi sont deux termes distincts et à ne pas confondre, et sont très exactement les deux termes qui se balancent de l'équilibre de la chair.
[...]
Quand je me pense, ma pensée se cherche dans l'éther d'un nouvel espace. Je suis dans la lune comme d'autres sont à leur balcon. Je participe à la gravitation planétaire dans les failles de mon esprit".

Antonin Artaud, Fragments d'un journal d'enfer.

Il a une très belle correspondance avec Jacques Rivière qui refusera de publier son premier recueil en 1923 puis qui éditera leur correspondance dans la NRF.

"Une chose me frappe : le contraste entre l'extraordinaire précision de votre diagnostic sur vous-même et le vague, ou, tout au moins, l'informité des réalisations que vous tentez. J'ai eu tort sans doute, dans ma lettre de l'an dernier, de vouloir vous rassurer à tout prix : j'ai fait comme ces médecins qui prétendent guérir leurs patients en refusant de les croire, en niant l'étrangeté de leur cas, en les replaçant de force dans la normale. C'est une mauvaise méthode, je m'en repens.
[...]
Je ne suis pas optimiste par système; mais je refuse de désespérer de vous. Ma sympathie pour vous est très grande; j'ai eu tort de vous laisser si longtemps sans nouvelles.
Je garde votre poème. Envoyez-moi tout ce que vous ferez."
Jacques Rivière à Antonin Artaud, Paris, le 25 mars 1924.

Il entretient aussi une correspondance avec son médecin, dans laquelle Artaud analyse son état mental avec une lucidité impitoyable.

"Cher Docteur,
J'ai été surpris et émerveillé de la façon dont vous deviniez mon état, dont vous repériez avec précision et une folle justesse les troubles profonds, désarmants, démoralisants dont je suis depuis si longtemps affligé et je vous enviais en même temps la façon synthétique que vous aviez de les présenter, sous leur angle vrai, les ayant SENTIS tels qu'ils se présentent et à leur place, faculté dont je suis éminemment privé.
Si donc je vous écris, c'est simplement dans l'anxiété d'avoir oublié tout de même un fait caractéristique et qui vous permettrait de voir encore plus profond et plus clair dans mon abominable état..."
Antonin Artaud au Docteur George Soulié de Morant, le 17 février 1932.
"Cher Monsieur,
Il y a amélioration depuis votre dernière séance de piqûres; mais seulement dans le domaine physique, du côté douleurs leur intensité a diminué.
Mais j'ai toujours dans l'esprit cette sensation de chose bouchée, de pensée ralentie, gelée, en prison quelque part.
[...]
Seul je m'ennuie mortellement, mais en général je me trouve dans un état pire que l'ennui, extérieur à toute pensée possible. Je ne suis nulle part, et tout ce qui me représente s'évanouit, et ce qui me représente est un état d'ébullition imagée, où je touche avec effervescence les aspects concrets de toute question possible. Entendant parler des gens, j'en arrive à être étonné de la multiplicité des aspects qui demeurent vivants en eux, des aperçus qu'ils sont capables d'émettre sur les idées et sur la vie.
C'est vous dire si par moments je tombe bas. le néant et le vide, voilà ce qui me représente, et tout de même après quelques séances de piqûres mon scaphandre personnel est remonté au jour des idées."...
A.A. au Docteur George Soulié de Morant, Paris, 7 novembre 1932.

(et Antonin Artaud poursuit cette correspondance en décrivant son état sans aucune complaisance; c'est tout simplement extraordinaire et passionnant).

"La vérité de la vie est dans l'impulsivité de la matière. L'esprit de l'homme est malade au mileu des concepts. Ne lui demandez pas de se satisfaire, demandez-lui seulement d'être calme, de croire qu'il a bien trouvé sa place. Mais seul le Fou est bien calme".
A. A. à Roger Vitrac, Manifeste en langage clair, extrait.

Antonin Artaud.
En 1947 (un an avant sa mort) il écrit un poème beau et violent, extrait:
"Je ne crois plus aux mots des poèmes
car ils ne soulèvent rien
et ne font rien."