mardi 23 février 2010

10 Mai 81


La Bastille Mai 1981

Cardinaux, Affiches tirées d'une huile sur toile, 1981


La journée mémorable du 14 juillet 1789 - Gravure populaire



A chaque fois que des élections se profilent à l'horizon j'ai la nostalgie de l'époque où je m'intéressais - je devrai dire me passionnais pour - à la politique. Dès les années 65/70 mon coeur penchant à gauche, je fréquentais les rebelles de cette époque. Nous nous associions aux idées défendues dans les journaux et revues dites de gauche : Combat, puis Le Matin de Paris en 1977 qui était le quotidien du Nouvel Observateur, Le Nouvel Observateur évidemment, le Canard enchaîné (même si celui-ci se voulait politiquement indépendant). Parmi nous il y avait une jeune fille que j'admirais et qui lisait Témoignage Chrétien; je pensais que c'était un journal de cathos trop bien-pensants et j'ai voulu comprendre pourquoi elle le lisait. C'était aussi un journal de gauche qui appelait à voter Mitterrand.
Bref, je parle de mes premières années de jeunesse! Ensuite je suis restée une rebelle qui s'est un peu assagie mais mon coeur penchait toujours du même côté.


Puis je t'ai rencontré, plus tard, bien trop tard... et pas du tout dans une manif, d'ailleurs tu t'en fichais de la politique, tu jouais un peu sur tous les tableaux si j'ose dire, penchant vers ceux qui porteraient un regard sur les tiens! Et il y en eut de droite, de gauche!
Cependant j'avais fini par t'influencer malgré tout, tu m'aimais tellement, il fallait bien que tu me fasses croire que tu devenais un peu socialiste, toi, que notre cher voisin d'atelier appelait : le peintre capitaliste parce que tu claquais tes "recettes" en havanes, château-margaux, vinaigre de xérès Fauchon, pains au chocolat, brioches au beurre de chez Dalloyau et j'en passe! J'en ris encore quand je repense comment tu m'as séduite et à toutes ces folies qui nous faisaient ensuite bouffer des pâtes et des patates pendant des semaines.

Des élections régionales donc dans un peu moins d'un mois, la campagne ronronne!


Oui, on est bien loin de cette agitation, cette effervescence que fut - il est vrai qu'il s'agissait de présidentielles - la campagne des élections de 1981! Du moins pour celles et ceux qui, comme moi, avait le coeur à gauche. J'étais tellement excitée que j'avais réussi à te transmettre mon enthousiasme! Et, rentrant un soir de mon boulot, que vois-je sur le chevalet, une sorte de prise de la Bastille, avant l'heure si je puis dire - je parle ici de la liesse qu'il y eut à la Bastille quand Mitterrand fut élu le 10 Mai 1981 et à laquelle je t'avais entraîné - je vois donc une grande toile bleu blanc rouge que tu contemplais assis dans ton fauteuil. J'étais debout derrière toi et je la regardais, scotchée; tu devais sentir mon coeur battre dans ta nuque. Au fond de moi, je me disais : je veux la garder cette toile. C'était la Révolution! Je t'ai dit : elle est belle et re-belle! Tu m'as dit (et je n'ai pas vu tout de suite le rapport) : j'ai invité Philippe à dîner avec sa femme demain soir, je vais leur faire un rôti de veau à la ventrèche et au foie gras! Très léger, Philippe va adorer... t'ai-je dit en riant.

Le lendemain soir, je le pressentais, Philippe a eu un coup de foudre pour le tableau, il faut dire qu'il était lui aussi en pleine excitation avec ces élections; néanmoins je n'étais pas sûre que ce soit que le côté révolutionnaire de la toile qui lui plaisait mais plutôt les couleurs, le mouvement, il était amateur depuis longtemps de ta peinture . Il n'est pas reparti avec le tableau, il fallait qu'il sèche un peu, mais il l'a acheté et payé! Quand on s'est retrouvé tous les deux, tu as vu ma grimace! Bon, j'étais contente mais j'aurais bien voulu le garder. Pendant le dîner il ne fut question que de l'élection de Mitterrand - et de ta recette fabuleuse tendre et onctueuse - mais surtout pour Philippe des élections législatives qui allaient suivre.
Le Point n'était pas franchement un magazine de gauche!

Trois jours plus tard, Philippe avait fait prendre le tableau par le coursier du
Point. Oui, Philippe était à cette époque le directeur du magazine. Puis une semaine après, il t'a appelé pour te demander l'autorisation de faire des affiches de ce tableau qui seraient exposées à la soirée du Point lors des résultats et dans quelques endroits stratégiques de la capitale. Il en ferait aussi la Une du Point. Il avait donc vu tout de suite le côté Révolution de cette toile et avait sans doute déjà une idée derrière la tête en l'achetant. En mauvais homme d'affaire que tu fus, tu lui as dit oui tout de suite, sans négocier quoi que ce fut! C'était tout bon pour Le Point. Philippe t'avait dit que çà te ferait une bonne pub et cela t'avait suffi. Je râlais quand tu m'appris la nouvelle mais sans en rajouter; je sentais que tu étais content et j'avais seulement envie de t'embrasser, de te dire que de toute façon je t'aimais.
Voilà, l'histoire de cette affiche un peu gondolée (de 1,50 m x 1,15 m)... qui est surtout un tableau bien plus beau (sans ce logo du Point) : 10 Mai 81. Aujourd'hui mon coeur ne sait plus trop pour qui pour quoi il bat, il bat pour des idées généreuses plus que pour des partis et je suis restée rebelle.