Au retour donc, en attendant la navette, à l’abri de la pluie, je lisais ce texte que je ressentais avec acuité sur le processus de l’écriture et sa mise en condition nécessaire à l'écrivain.
« Quand j’écris […] j’ai ma propre méthode de discipline, d’hygiène et de mise en condition. En font partie les pièces de travail ou les séjours de travail, qui sont exclusivement dévolus à la création. La chambre qui appartient à des étrangers et ne contient que mes instruments de travail devient le cadre, le boîtier, l’étui du monde en devenir, je n’y mange pas, je n’y bavarde pas, il n’y a pas de tableaux au mur, pas de visites, pas de flirts, rien ; les esprits doivent y demeurer en paix, tout doit (pouvoir) rester tel quel sur la table pendant la nuit, et quand je reprends le travail le lendemain, je dois retrouver tout comme je l’ai laissé à "l’heure de la sortie". Et chez moi, le soir, j’observe une rigoureuse discipline, je ne bois pas, je ne sors pas vraiment, je ne me laisse pas aller. Il faut que pendant mon sommeil ait lieu ce beau remue-ménage, que la chose naissante puisse replonger dans le subconscient ou le semi-conscient avant d’être, si tout va bien, miraculeusement ramenée à la surface le lendemain.
C’est ce que décrit Virginia Woolf dans La Tour penchée : le travail sur la machine à écrire n’est que la partie de l’acte créateur, l’essentiel est cette gestation, dont relève également la maturation par le sommeil, une technique que d’ailleurs je pratique même de jour, de façon très ciblée, quand je suis vraiment lancé. Et elle passe encore par d’autres objets rituels, comme le papier, toujours le même, déjà utilisé au verso, un papier brouillon vendu en blocs, oui, et puis les mallettes et autres tabernacles, les tables, table de repasseuse, table de tailleur – chez Schiller c’étaient les pommes pourries.
Et à la fin la chambre redevient vide, car inutile, et la chose écrite glisse hors de son étui. »
Paul Nizon, Le livret de l’amour, Journal 1973-1979 – pages 257 – 258.