Encore quelques mots sur Michel Houellebecq ou plutôt ces extraits, parce que vraiment, pour se détendre… c’est excellent ! Enfin, personnellement cela me fait rire aux éclats… à chacun son humour, j’adhère à celui de Houellebecq. La fin est plus sérieuse, disons qu’elle va vers ses interrogations sur la vieillesse, la mort, qui sont aussi ses sujets de prédilection, avec plus de sérénité que dans ses précédents romans. Mais ce soir j'ai le coeur à rire (à chaque jour suffit sa peine;o))
"Ils vécurent plusieurs semaines de bonheur (ce n’était pas, ce ne pouvait plus être le bonheur exacerbé, fébrile des jeunes, il n’était plus question pour eux au cours d’un week-end de s’exploser la tête ni de déchirer grave ; c’était déjà – mais ils étaient encore en âge de s’amuser – la préparation à ce bonheur épicurien, paisible, raffiné sans snobisme, que la société occidentale propose aux représentants de ses classes moyennes-élevées en milieu de vie). Ils s’habituèrent à ce ton théâtral que prennent les serveurs des établissements primo-étoilés pour annoncer la composition des amuse-bouche et autres « mises en appétit » ; à cette manière aussi, élastique et déclamatoire, dont ils s’exclamaient : « Excellente continuation, messieurs dames ! » à chaque changement de plat, et qui rappelait à chaque fois à Jed ce « Bonne célébration ! » que leur avait lancé un jeune prêtre, grassouillet et probablement socialiste, alors qu’ils entraient sous le coup d’une impulsion irraisonnée, Geneviève et lui, dans l’église Notre-Dame-des-Champs, au moment de la messe du dimanche matin, juste après avoir fait l’amour dans le studio qu’elle occupait alors boulevard du Montparnasse . Plusieurs fois par la suite il avait repensé à ce prêtre, physiquement il ressemblait à François Hollande, mais contrairement au leader politique il s’était fait eunuque pour Dieu."
Pages 98-99.
A un galeriste qui veut le représenter dans ses locaux, Jed répond :
- Mais je ne sais pas du tout ce que je vais faire. Je ne sais même pas si je vais continuer dans l’art en général.
- Vous ne comprenez pas… » dit patiemment Franz. « Ce n’est pas une forme d’art particulière, une manière qui m’intéresse, c’est une personnalité, un regard posé sur le geste artistique, sur sa situation dans la société. Si vous veniez demain avec une simple feuille de papier, arrachée d’un cahier à spirales, sur laquelle vous auriez écrit : "Je ne sais même pas si je vais continuer dans l’art en général", j’exposerais sans hésiter cette feuille. Et, pourtant, je ne suis pas un intellectuel ; mais vous m’intéressez.
Page 112.
"Le plafond nuageux arriva très vite, et avec lui ce rien qui caractérise un voyage aérien au-dessus du plafond nuageux. Brièvement, à mi-parcours, il aperçut la surface gigantesque et ridée de la mer, comme une peau de vieux en phase terminale."Page 133.
"En attendant sur les bancs du petit aéroport le départ du vol, Jed ouvrit le mode d’emploi de l’appareil photo qu’il avait acheté la veille à la FNAC. Le Nikon D3x qu’il utilisait d’ordinaire pour les clichés préparatoires à ses portraits lui était apparu trop imposant, trop professionnel. Houellebecq avait la réputation de nourrir une haine bien ancrée à l’encontre des photographes ; il avait senti qu’un appareil plus ludique, plus familial serait mieux approprié.
[…]
Le modèle Samsung ZRT-AV2 combinait, selon l’introduction du manuel, les innovations technologiques les plus ingénieuses […]
[…]
… Jed feuilleta rapidement, cherchant juste à repérer les informations essentielles. Il était visible qu’un optimisme raisonné, ample et fédérateur, avait présidé à la conception du produit. […] Au lieu par exemple des programmes « FEU D’ARTIFICE », « PLAGE », « BEBE1 » et « BEBE2 » proposés par l’appareil en mode scène, on aurait parfaitement pu rencontrer « ENTERREMENT », « JOUR DE PLUIE », « VIEILLARD1 » et « VIEILLARD2".
Pages 161-163.
Je sais, on ne devrait jamais donner à lire des extraits d’une œuvre qui, sortis de leur contexte, ne donnent qu’une idée fausse de ce qu’a voulu exprimer l’auteur et ici, dans cet ouvrage, il y a bien sûr autre chose que ces clichés, ces « portraits » qui ne manquent pas de piquants, de drôlerie, de modernité même. Le luxe est présent dans ce livre, en filigrane, comme une de ces choses que l’écrivain côtoie avec un certain dégoût, une répugnance et un certain plaisir ironique. Au début du roman Jed travaille sur un tableau qu’il titre : « Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l’art ». Quelle trouvaille ! Comment ne pas aimer Michel Houellebecq qui parvient à se moquer du monde contemporain (et de lui-même) avec talent et intelligence.
Sur la 4è de couverture on peut lire :
" L’art, l’argent, l’amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne". Un bon résumé.
Michel Houellebecq, La carte et le territoire, éditions Flammarion, 2010.