vendredi 2 décembre 2011

Les "Potins" de Madame de Sévigné


A M. de Coulanges (1).

A Paris, lundi 15 décembre 1670.

Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’à aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie ; enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n’est-il pas juste ; une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon (2) ? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d’Hauterive (3) ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire, devinez-la, je vous la donne en trois ; jetez-vous votre langue aux chiens ? Hé bien ! Il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner ! c’est Mme La Vallière. Point du tout madame. C’est donc Mlle de Retz ? Point du tout : vous êtes bien provinciale. Ah ! vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous ; c’est Mlle Colbert. Encore moins. C’est assurément Mlle de Créqui. Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle mademoiselle de… mademoiselle devinez le nom : il épouse MADEMOISELLE, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! MADEMOISELLE, la grande MADEMOISELLE, fille de feu monsieur (4) MADEMOISELLE, petite fille de Henri IV, Mlle d’Eu, Mlle de Dombes, Mlle de Montpensier, Mlle d’Orléans, MADEMOISELLE, cousine germaine du roi, MADEMOISELLE, destinée au trône, MADEMOISELLE, le seul parti de France qui fut digne de MONSIEUR. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous. Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

Madame de Sévigné, in Lettres Choisies.

(1). Femme d’Emmanuel de Coulanges, cousin germain de Mme de Sévigné.
(2). M. et Mme de Coulanges étaient alors à Lyon.
(3). Qui toutes deux avaient fait des mariages d’inclination avec de simples gentilshommes.
(4). Gaston de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII

Je lisais cette lettre de Mme de Sévigné en me disant que les potins de celle-ci étaient bien provinciaux mais je trouvais cependant cette lettre savoureuse.
Je pensais soudain à cette expression « Les Potins de la Commère » que j’avais entendue quelque part. Après quelques recherches, j’appris que ce fut le titre d’une chronique mondaine d’une certaine Carmen Tessier et qui fit les beaux jours de France Soir dans les années soixante. Poursuivant plus avant, je découvre le nom de Romain Gary associé à ces « Potins » et je tombe sur ce document très intéressant.
Foin de Mme Tessier, je me suis aussitôt éloignée de Mme de Sévigné pour retourner une fois de plus vers mon cher Gary.