Dans ma voiture cet après-midi, sur la voie express, j'allume la radio sur MFM. Des mois que je n'ai pas écouté cette radio. Des mois donc que je ne suis plus amoureuse, que je ne chante plus à tue-tête des chansons de midinette.
Merde! J'ai vraiment pris un coup de vieux? Non! je refuse l'idée de ne plus jamais être amoureuse. Mon coeur ne bat plus la chamade, mes yeux ne brillent plus de mille feux, mes joues ne s'enflamment plus d'amour. Plus de palpitations, plus d'attente, plus rien... enfin si, l'amitié, mais ce n'est pas du tout suffisant.
Merde! C'est foutu si je dois vivre sans aimer et cette fois je crois que le compte est bon.
Ô mon Dieu, comme j'ai encore une âme de midinette.
Et si j'arrêtais d'écouter France Culture? Pfff! (Pourtant c'était super ce matin et on peut même voir la maison de Victor Hugo, Hauteville house à Guernesey en vidéo, belles images).
Ce soir je danserai devant mon miroir et je chanterai I feel pretty!
Et s'il suffisait de se croire amoureuse pour l'être... ou de vouloir l'être pour ne pas mourir... ou d'aller dans ma voiture pour chanter à tue-tête et... devenir amoureuse? J'y vais. Yes!
Midinette ? Oui, même Simone de Beauvoir le fut dans sa relation amoureuse avec Nelson Algren. En lisant ses lettres j’avais été un peu déçue ; je trouvais qu’elles manquaient d’ardeur. Je pensais alors à celles d’Anaïs Nin à Henry Miller, bien plus passionnées. Voilà que je radote, je l’ai déjà dit ici. Mais sans doute était-ce parce qu’elle n’écrivait pas dans sa propre langue, selon ce qui est écrit ci-dessous :
"De cet amour, il reste une belle correspondance. Malheureusement seules les lettres de Beauvoir, traduites par Sylvie Le Bon de Beauvoir, ont pu paraître en 1997, les ayants droit d’Algren ayant interdit la publication des siennes. Cet « amour transatlantique » a provoqué un curieux sursaut de haine dans la presse à l’égard de Beauvoir, tant ces lettres enflammées contredisent le cliché de Beauvoir « bas-bleu », « raisonneuse », « sèche ». A moins, bien sûr, que ce n’en soit la raison ! Une Beauvoir frustrée, mal aimée, ce serait le juste retour de tant de lucidité et d’intelligence ! Il n’en est rien… Et il faut vraiment avoir peu vécu, et peu aimé, pour prétendre, comme l’ont fait certaines, qu’une intellectuelle se dégrade en « midinette » en inventant, comme tous les amoureux, un langage codé avec son « amant crocodile », son « petit mari ». Elle ne craint pas d’écrire : « Je vous aime le plus sottement du monde ces jours-ci. » En outre, utilisant une langue qui n’est pas la sienne, elle se contrôle moins qu’à l’ordinaire. Elle déplore souvent de devoir s’exprimer d’une manière trop simple, qui ne la satisfait pas pleinement, mais l’effet libérateur de l’anglais sur son style procure à ses lecteurs un plaisir inattendu.
Amoureuse, elle l’est comme jamais, elle désire le corps « chaud et confortable » d’Algren, « mon mari à moi », elle, pauvre « grenouille » française qui n’imaginait pas qu’elle écrirait un jour tant de mots déraisonnables à un « jeunot du cru », qui a tout juste un an de moins qu’elle et la rend « idiote ». « Vos lèvres me manquent, vos mains, tout votre corps chaud et fort, votre visage et vos sourires, votre voix, vous me manquez durement. » L’ironie, toutefois, n’a pas disparu : « Nelson, mon amour. Rien n’arrive, toujours le même amour pour vous, très fastidieux. » Pas plus que la volonté de faire partager ses enthousiasmes littéraires : « Connaissez-vous Casanova ? Voilà un type qui savait baiser, du moins l’affirme-t-il dans ses Mémoires, mais il ne méprisait pas les femmes pour cela ».
[…]
De l’amour de Simone de Beauvoir pour Nelson Algren demeure aussi la trace dans un beau roman, prix Goncourt 1954, Les Mandarins."
Portrait : L’aventure d’être soi par Josyane Savigneau, dans le Hors-Série Le Monde, Une vie, une œuvre, Simone de Beauvoir, Une femme libre.
Chère Simone de Beauvoir, merci d’avoir été une midinette, en plus d’être belle et intelligente.