Je connais aussi un homme qui ne peut supporter de voir manger ni qu'on le voie manger, et il cherche à éviter toute présence, plus quand il s'emplit que s'il se vide.
Dans l'Empire du Grand Turc on voit un grand nombre d'hommes qui, pour exceller sur les autres, ne se laissent jamais voir quand ils prennent leur repas, qui n'en font qu'un dans la semaine, qui se déchiquettent et se balafrent la face et les membres, qui ne parlent jamais à personne. Ce ne sont là que des fanatiques qui pensent honorer leur nature en se dénaturant, qui s'estiment de se mépriser et croient s'améliorer en se détériorant.
Michel de Montaigne, in Essais.
En écoutant ce texte ce matin, je pensais que finalement, je n'aimais pas trop non plus que l'on me voie manger. Je connais une amie qui m'aurait encore dit ce soir, si elle m'avait vue : "toi, tu es courageuse, tu ne crains pas d'aller toute seule au restaurant". Eh oui! je n'ai pas craint pas de me "montrer en public" en train de "mâcher" et de mettre mes doigts - avec grâce - dans mon chaudron de moules! Il faut reconnaître que le test du restaurant lors d'une rencontre amoureuse peut être fatal!
Ce soir j'ai assisté à une projection vidéo sur un artiste étonnant sur lequel je reviendrai : Guy de Cointet. Il m'a donné faim, il était tard, j'avais envie de mettre les pieds sous la table. Oui, je sais, c'est mieux à deux mais "mieux vaut être seule que..." blablabla! Et puis, dans ma tête je ne suis jamais seule. De plus, la brasserie était pleine, et les moules à l'andouille (je n'invente rien) délicieuses!