mardi 2 août 2011

Un écrivain Suisse, Alain Bagnoud

Bouh! que c’est difficile de parler d’un livre dont on a aimé TOUTES les pages !
Comme d’habitude, quand je parle d’un livre que j’ai aimé, je ne saurai sans doute pas dire l’essentiel mais tant pis, je veux tout de même en dire quelques mots, pas savants du tout, à ma façon.

Il s’agit de ce livre dont j’ai commencé à parler ici, avant lecture : La leçon de choses en un jour de "Alain Bagnoud, écrivain Suisse, né en 1959 à Chermignon, dans les vignobles valaisans (c’est bien mieux que dans un chou !). Ancien collaborateur au Nouveau Quotidien, il enseigne actuellement le français à Genève."
Ce livre serait donc un roman ! J’ai envie de croire qu’il est autobiographique.
Le narrateur (un jeune garçon) raconte une journée, celle de son anniversaire : « il va entrer dans l’âge de raison. Un état qu’il attend avec impatience… ». Je pourrai poursuivre en « récitant » ce que je lis sur la quatrième de couverture mais ce qui est dit ici est bien mieux.

Dès les premières lignes j’ai su que j’allais aimer la suite. Quelques extraits qui sont restrictifs, sortis de leur contexte. Pour en saisir la poésie, il faut lire l'ouvrage!

« Des heures ont passé. Le gris du jour monte dans le ciel. Un coup d’œil prudent à la fenêtre me persuade que le vieux Milon est parti. Derrière le jardin potager et les arbres autour du torrent encaissé, sous les maisons et la grande croix qui marque l’entrée du village, les vignes en terrasse quadrillent comme une robe aux motifs géométriques les courbes féminines du coteau. L’humidité froide et le murmure du torrent montent jusqu’à moi avec une odeur de feuilles et de terre. C’est l’heure bleue où les oiseaux de nuit se sont tus, où ceux du jour n’ont pas encore commencé leurs chants. Les arbres sont seuls, immobile dans l’attente que le jour commence. Que la vie, la vraie vie, ma vie commence ! »
Page 9.

« Notre petite maison, située tout au bas de la commune, dominait le Rhône. Elle avait été bâtie au XIXe siècle pour des Anglais qui construisaient un chemin de fer le long du fleuve. […]
En sortant, on se trouvait devant la cabane aux lapins, pressés les uns contre les autres, le nez contre le grillage. J’en possédais un qu’on m’avait offert le jour de Pâques, presque un an plus tôt, dont je m’étais occupé avec application pendant quelques semaines.
C’était mon Jeannot. Qu’il était gentil ! Je le sortais, je le prenais sur mes genoux. Grands yeux soumis, nez frissonnant et dents aiguës. Mes mains sur la fourrure douce, je chantonnais dans ses longues oreilles des refrains improvisés qui exaltaient les aventures magiques que je vivrais bientôt, demain, plus tard, quand je serais grand, quand le monde sera à moi. »
Pages 17 – 18

« Je dis merci pour le bon dîner à ma mère. Elle est appuyée contre la cuisinière, attendant que l’eau bouille pour le café. Je suis précoce, adulte, raisonnable.
- Vraiment, un vrai repas d’anniversaire ! C’était quoi, la viande qu’on a mangée ?
[…]
[…]
Mais déjà je m’étais jeté sur le lit. J’avais enfoui ma tête dans l’oreiller odorant. Je sanglotais sans vouloir me contrôler, trouvant une volupté âpre dans ces larmes, dans le chagrin qui me broyait la poitrine, dans le sentiment de perte qui m’étouffait. Cette affliction globale n’eut bientôt plus que des rapports confus avec […]. C’était un désespoir plus entier qui, semble-t-il, touchait à l’essence de ma vie, couvrait toute mon existence.
Par moments, une douceur emplissait ma poitrine. Je continuais à pleurer en me disant que rien n’allait comme je voulais, que tout était perdu. Cette pensée vague me donnait une plénitude d’autant plus agréable que je savais bien, au fond, que ce n’était pas vrai.
Si la vie paraissait quelquefois, comme une simple suite de déceptions, en réalité, elle menait vers autre chose. »
Pages 95 – 97.

Au fur et à mesure que j’avançais dans ma lecture, je notais des passages entiers en me disant : c’est celui-là que je citerai, puis à peine quelques pages plus loin, je notais un autre passage et encore un autre. Puis, je suis arrivée à la fin du livre, notant et soulignant de plus en plus de textes que j’aimais. J’étais touchée, émue - mais j’ai souvent souri et ri - par cette écriture, les sentiments, la sensibilité, les rêveries de cet enfant de sept ans qui a soif de reconnaissance et qui s’invente des qualités humaines, espérant ainsi qu’on le remarquera, le félicitera, l’aimera. L’histoire de Dogane, ce petit immigré, est un des « personnages » de ce « roman » (hum !) dont le narrateur - l’enfant donc (l’auteur ?) - parle, qui m’a particulièrement touché. Ce regard qu’il porte sur lui, c'est celui, méprisant, que certains villageois portent sur les étrangers.
Alors qu’il reçoit pour son anniversaire un merveilleux cadeau qu’il sera impatient de lire : Heidi. Quelle ne fut sa surprise quand il apprend que Dogane connaît ce livre et qu’il les a tous lus : « Heidi, Heidi grandit, Heidi jeune fille, Heidi et ses enfants, Heidi grand-mère… »

« Il me paraît évident que j’ai mal entendu.
Comment ces étrangers auraient-ils connu une héroïne qui nous était réservée ? Et même s’ils avaient été renseignés depuis qu’ils vivaient chez nous, il était impossible que Dogane ait lu ces livres avant moi ! Moi qui étais d’ici.
[…]
Cet étranger détenir un tel trésor romanesque, qui plus est un trésor confédéral ? »
Page 261.

A la fin du récit de cette longue journée, il peut enfin lire l’ouvrage reçu en cadeau pour son anniversaire :

« « Sur ce chemin étroit, par un clair matin ensoleillé de juin, une jeune et solide fille du pays conduisait par la main une fillette aux joues d’un rouge tellement éclatant que leur couleur perçait à travers le hâle… »
Mais ce décor, ce trajet, je les reconnaissais ! […]
[…]
Le décor de l’alpage également me rappelait des souvenirs.
[…]
Pourtant, les murailles de pierre que j’avais vues étaient moins impressionnantes que celles du livre, qui devenaient spectaculaires à cause des mots rares qui les décrivaient. Des mots qui étaient merveilleux parce que personne ne les utilisait. Escarpés. Arides.
Je devinais leur sens mais je savais que je ne les utiliserais pas. Le seul lieu dans lequel ils pouvaient vivre naturellement était le livre, où ils contribuaient à rendre l’histoire riche, complète, profonde. Ils auraient été déplacés dans ma bouche. Ils auraient crevé la page des mes compositions comme des termes étrangers.
[…]

[…] Heidi, elle, buvait les rayons d’or du soleil, se gorgeait de la fraîcheur de l’air, aspirait le délicat parfum des fleurs et ne désirait rien d’autre que rester toujours ainsi.

Pourtant, cette plénitude que je n’avais pas ressentie sur place, je l’éprouvais dans ma lecture. »
Pages 286 - 289 - 290.

Alain Bagnoud, in La leçon de choses en un jour, éditions de L'Aire, Vevey, 2006.

Cette dernière phrase je la trouve belle parce que j’ai souvent éprouvé cela avec la littérature. Mais il ne faut rien dévoiler de plus de ce joli « roman », de la fraîcheur et de l’innocence de ce petit garçon qui m’a fait rêver avec sa Leçon de choses en un jour.
On comprend mieux un auteur si l’on connaît son enfance. Que serait Alphonse Daudet sans Le petit chose ?

J’ai passé quelques heures délicieuses avec ce livre; émotion, rires, sourires : « Alléluia, allé-hé-luia… ». J’ai découvert qu’un peintre avait « inventé un mouvement pictural, le sensationnisme ». J’étais contente de trouver le verbe « boulotter » dans la bouche de cet enfant : « Magnifiques petits fauves. Tellement attachés à leur maître qu’ils allaient le boulotter quelques années plus tard, à sa mort, quand il ne les nourrirait plus. ».

Je ne vais pas en rester là, je viens de commander… la suite ? : Le jour du Dragon et Le blues des vocations éphémères.

Le blog de l'auteur ici.