samedi 3 avril 2010

Premier jour

Jeudi 25 mars.

Zut, je ne suis pas dans le sens de la marche : place 24 en "duo". Qui vais-je avoir en face durant le voyage (4h30)? Elle arrive, mastodonte; je lui dis bonjour, elle ne me répond pas, visage fermé, déplaisant. Tant mieux; elle ne va pas me soûler, comme l'autre, un siège plus loin en "duo", qui déjà raconte sa vie à son (sa) vis-à-vis. D'emblée elle lui demande presque en hurlant : vous allez jusqu'à Paris? Oui répond l'autre à voix basse. Eh bien formidable, nous allons faire le voyage ensemble alors!
Bigre, je préfère encore avoir la trombine renfrognée de mon vis-à-vis que de me fader celle-là. J'ai envie de pouvoir lire Mrs. Dalloway dans le calme.

Les paysages défilent, la verte Bretagne est sous un ciel gris.
Je pense à ma vie et quelques souvenirs défilent aussi. Il ne faut pas que je pense trop, je sens déjà mes yeux s'embuer, à moins que ce soit la brume du paysage. Pourquoi mes pensées sur ma vie provoquent-elles cette mélancolie? Ne l'ai-je pas bien remplie? N'ai-je pas été suffisamment heureuse? suffisamment aimée? (oh si, mais pas assez longtemps). Allez, vite, arrêtons de penser, de regarder le paysage; je vais lire Mrs Dalloway qui commence ainsi :

"Mrs. Dalloway dit qu'elle achèterait les fleurs elle-même.
[...]
Comme l'air était frais et calme alors, dans le petit matin, plus immobile qu'à présent bien sûr; comme le claquement d'une vague; le baiser d'une vague; froid, vif et pourtant (pour la jeune fille de dix-huit ans qu'elle était alors) solennel, pour elle qui, debout devant la fenêtre ouverte, sentait que quelque chose de terrible allait arriver...
[...]
"Oh si elle pouvait recommencer sa vie se dit-elle en montant sur le trottoir, ressembler même à quelqu'un d'autre...
[...]
Elle se sentait très jeune; et en même temps, indiciblement âgée. Elle passait au travers des choses comme une lame de couteau; et en même temps elle était en dehors de tout, et elle regardait. Elle avait perpétuellement la sensation, tout en regardant les taxis, d'être en dehors, très loin en mer et toute seule; elle avait toujours le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne serait-ce qu'un seul jour".


J'ai fermé mon livre quelques heures pour regarder autour de moi. Un adorable bambin de deux ans et demi (j'ai entendu son père dire son âge), très éveillé, le regard vif, le sourire craquant, demande au monsieur qui revient dans son compartiment : t'es allé faire popo? Je n'ai pas entendu la réponse mais il lui souriait. Je riais. La mastodonte revêche en face de moi avait entendu et, sans sourire, s'est enfoncée un peu plus dans son "sudoku"!

Le train entre en gare de Montparnasse...